|
|
|
Pierre Stambul :
"Ce qui vient de se passer est pire qu’une erreur d’analyse."
http://www.aloufok.net/spip.php?article946 vendredi 9 octobre 2009, Al-Oufok Entretien accordé par Pierre Stambul, de l’Union juive française pour la paix, au "Le jour d’Algérie" Vous avez été parmi les nombreuses personnes, dont des Juifs, ayant condamné cette guerre et soutenu la population de Gaza. Quel est votre sentiment par rapport à la réalisation de ce rapport ? Une des principales causes de cette
guerre qui dure depuis des décennies, c’est l’impunité des dirigeants
israéliens. C’est le fait qu’à diverses périodes de l’histoire, ils ont pu
violer frontalement le droit international, tuer sans procès, « nettoyer
ethniquement » des territoires, interdire aux Palestiniens le retour
dans leur pays, raser le Sud-Liban ou commettre des crimes de guerre et des
crimes contre l’humanité à Gaza. Il n’y a jamais eu de sanctions alors que
partout dans le monde, des dirigeants ou des Etats ont été sanctionnés pour
moins que cela. Pour l’establishment israélien, l’absence de sanctions
équivaut à un permis de tuer, au permis « d’achever la guerre de
48 » comme ils le disent si bien en « transférant » les
Palestiniens au-delà du Jourdain. Faute de sanctions, les dirigeants
israéliens peuvent continuer face à leur opinion publique à se considérer
comme des victimes. Quel est votre sentiment par rapport au report de son étude par l’assemblée générale de l’ONU ? Je partage totalement l’étonnement et la colère de toutes les ONG palestiniennes. Il y avait avec le rapport Goldstone une occasion unique de démontrer aux yeux de tous qu’Israël a un comportement d’Etat voyou. Il y avait une occasion unique de traîner en justice les responsables du massacre de Gaza. Il faut savoir que les Israéliens voyagent beaucoup et que 15% d’entre eux vivent à l’étranger. Ils sont politiquement, économiquement ou moralement extrêmement sensibles à ce qui se dit d’eux. La prise en compte du rapport Goldstone aurait pu (et aurait dû) être un tournant majeur annonçant l’isolement de ce pays et l’inculpation de ses dirigeants. On pouvait espérer que, comme Pinochet arrêté en Angleterre pour ses crimes commis au Chili, des dirigeants israéliens seraient enfin appelés à répondre de leurs crimes. On vient d’assister à un terrible gâchis, aux conséquences graves, qui nous ramène en arrière et qui offre une victoire facile à Nétanyahou. Certains ont accusé la direction politique palestinienne de "trahison" après ce report ? Que s’est-il réellement passé selon vous pour que ce rapport ne soit pas discuté en cette date à l’assemblée générale de l’ONU ? Il n’est pas facile pour une
association juive française de dire qui sont les bons ou les mauvais
Palestiniens. Mais la décision politique de l’Autorité Palestinienne de
contribuer à enterrer le rapport Goldstone est à la fois une catastrophe et
une faute politique majeure. Notre sentiment est partagé par toutes les ONG
palestiniennes, par les milliers de manifestants qui ont essayé de défiler à
Ramallah, et bien sûr par les survivants de Gaza pour qui ce report est une
insulte. L’étude de ce rapport par l’assemblée générale de l’ONU aurait-elle, d’après vous, pu arriver à une condamnation de cette guerre par l’opinion publique internationale et l’institution onusienne ? Oui, bien sûr. Depuis la guerre du
Liban et encore plus depuis le massacre de gaza, les opinions publiques
évoluent. On voit des associations de la société civile, des syndicats se
rallier à l’idée du boycott d’Israël. Plus personne ne peut ignorer
l’occupation et le maintien contre la Palestine d’une domination de forme
coloniale. Plus personne ne peut ignorer que les dirigeants israéliens ont
choisi la fuite en avant, l’annexion et l’occupation sans fin. Les opinions
publiques ont fortement évolué alors que les gouvernements, surtout en
Europe, ont fait la démarche inverse. Une condamnation juridique
internationale des crimes de guerre israéliens serait le moyen d’obliger ces
gouvernements à cesser ce soutien indigne, au colonialisme et à la
destruction de la Palestine. L’étude de ce rapport aurait-il pu, comme le disent certains responsables israéliens, porter préjudice à la relance des négociations de paix ? J’ai envie de dire, c’est quoi la
paix ? Quand les dirigeants israéliens parlent de paix, ça veut dire
souvent « foutez-nous la paix ». Il y a 60 ans, la grande majorité
des Palestiniens a été expulsée de son pays. Négocier la paix, c’est
reconnaître ce « crime fondateur » et examiner par la négociation
les moyens de « réparer ». Cela ne peut se faire que sur la base du
droit international et d’une totale égalité des droits dans la région.
Jamais, les négociations n’ont été faites sur cette base et c’est la raison
de l’échec total du processus d’Oslo. Négocier en parlant de la sécurité de
l’occupant et en n’attaquant pas frontalement les questions de l’occupation,
des colonies, des prisonniers ou des crimes commis ne mène nulle part. Tous
les gouvernements israéliens veulent imposer comme préalable le fait
accompli. Sur cette base-là, une fois de plus on exigera une capitulation des
Palestiniens et s’ils refusent (comme Arafat à Taba et Camp David), on les
condamnera à mort et on cherchera des dirigeants plus dociles. Ce n’est pas
une « relance des négociations de paix » qu’il faut viser. C’est
l’application du droit international qui fixera les bases de la négociation. Quelle est la position de l’Union Juive Française pour la Paix, dont vous êtes membre, par rapport à ce rapport de l’ONU ? L’Ujfp a salué l’honnêteté et la rigueur de ce rapport. Une analyse de ce rapport figure sur notre site ujfp.org. La militante qui a écrit cette analyse avait fait partie d’une mission à Gaza juste après le massacre. Le contenu du rapport confirme complètement tout ce qu’elle-même avait pu observer et tous les témoignages reçus. L’Ujfp s’est toujours battue pour que les criminels soient jugés. Nous soutenons à la fois les initiatives symboliques comme le tribunal Russell et les recours auprès de la Cour Pénale Internationale, que ce soit à propos de la guerre du Liban ou du massacre de Gaza. Comment qualifiez-vous les événements et les affrontements qui se déroulent, actuellement, autour de la mosquée Al Aqsa en Palestine ? Cela fait partie de la fuite en avant
des dirigeants israéliens. Ce qui se passe rappelle la provocation d’Ariel
Sharon sur l’esplanade des mosquées qui avait déclenché ce qu’on appelle la
deuxième Intifada. Quelles seraient les visées des autorités israéliennes quant aux travaux menés autour de ce lieu sacré ? Quelles seraient les visées de ces mêmes autorités quant à l’interdiction faite à des Palestiniens d’y accomplir leurs prières ? Jérusalem est depuis des siècles une
ville où vivent des Musulmans, des Juifs, des Chrétiens et qui abrite les
lieux saints de ces trois religions. Depuis 1967, le vote par la Knesset (la
Parlement israélien) de l’annexion de Jérusalem Est et l’extension de la
ville qui s’étend désormais sur 4% de la Cisjordanie depuis Ramallah jusqu’à
Bethléem, l’obsession des dirigeants israéliens est de « judaïser »
la ville. Les destructions de maisons et l’extension des colonies intégrées
dans Jérusalem sont permanentes. Les provocations sur l’esplanade des
mosquées prolongent ce processus. Le même processus a déjà été à l’œuvre à
Hébron où plusieurs centaines de colons extrémistes sont installés depuis de
nombreuses années (sous protection permanente de l’armée israélienne) en
plein cœur de la ville. On se souvient du massacre commis dans le Caveau des
Patriarches et de la popularité de l’assassin parmi les colons. Le président de l’Autorité Palestinienne a déclaré que les pays arabes étaient informés et consentants quant au retrait de ce rapport de l’assemblée générale de l’ONU. L’Egypte l’a contredit en annonçant que ce pays n’était pas informé. Qu’en est-il exactement, selon vous ? Tout le monde se renvoie la balle et
c’est assez consternant. Les pays arabes et en particulier l’Egypte ont eu
dans la dernière période un comportement de complices de l’occupant. Il n’y
aurait pas de blocus de Gaza si l’Egypte qui contrôle le passage de Rafah n’y
participait pas. Les pays arabes (je parle des gouvernements, pas des
peuples) pourraient faire 100 fois plus, politiquement et économiquement,
s’ils étaient réellement solidaires de la Palestine. Cette duplicité est
hélas ancienne et quand on examine le rôle des armées arabes pendant la
guerre de 1948, on constate qu’elles se battaient pour leurs propres intérêts
mais pas pour défendre la Palestine. |