Article paru le 15 Octobre 2009 page 23
Regards arabes sur le génocide
Par FRANÇOISE
GERMAIN-ROBIN
LES ARABES
ET LA SHOAH, de Gilbert Achcar. Éditions Actes Sud, Sindbad, 2009, 522 pages,
24 euros.
C’est à une tâche monumentale que
s’est attelé Gilbert Achcar avec la publication de cet essai sur la
perception arabe de « la persécution et la destruction des juifs
d’Europe par le régime nazi ». Tâche d’une urgente utilité, à voir les
amalgames auxquels se livrent l’historiographie occidentale et la vulgate
journalistique sur la question, mettant dans le même sac, antisémite et
pro-nazi, la plupart des Arabes de la planète. Un travail qui rappelle celui
d’Amin Malouf lorsqu’il nous donna à voir « les croisades vues par les
Arabes ».
On apprend beaucoup en lisant cet
essai fourmillant de références et de citations d’auteurs de toutes origines,
mais surtout arabes. Gilbert Achcar a revisité les journaux arabes du temps
de la montée du nazisme – qui est aussi celui de la mise en oeuvre du
sionisme en Palestine, avec le feu vert de la puissance coloniale
britannique. On y voit que l’opposition au sionisme, qui n’a rien à voir avec
l’antisémitisme, est née dans la communauté juive d’Europe mais a commencé en
Palestine et dans l’Orient arabe bien avant 1933 et l’accession de Hitler au
pouvoir. Il s’agit alors pour les Arabes de lutter contre un nouvel
envahisseur et une nouvelle forme de colonialisme.
Les Arabes sont loin d’avoir tous la
même perception du régime nazi. Si certains, avec le mufti de Jérusalem Amin
Al Husseini, collaborent avec Hitler, la plupart des notables et
intellectuels, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, rejettent au contraire
avec vigueur les théories et les pratiques du nazisme. À la fois pour des
raisons éthiques et politiques. Ils sont nombreux à comprendre que
« c’est à la Shoah que l’État juif doit d’avoir vu le jour » (p.
52). Et, très vite, l’idée s’impose que les Palestiniens « n’ont pas à
payer pour les crimes commis en Europe ». Des Arabes, et non des
moindres, s’indignent de voir les puissances occidentales – États-Unis en
tête – refuser les réfugiés juifs d’Allemagne et d’Autriche. Ils se disent
prêts à en accueillir de forts contingents, à condition que cela soit
concerté. Dans le même temps, des dirigeants sionistes magouillent avec les
autorités nazies pour hâter l’émigration juive en Palestine.
L’apport essentiel du livre est dans
l’analyse des positions des divers courants qui traversent les pays arabes,
des « libéraux occidentalisés » aux marxistes, en passant par les
nationalistes et les islamistes. C’est dans cette dernière catégorie que se
recrutent antisémites et négationnistes les plus notoires. Les positions des
autres partis sont diverses et évoluent en fonction du conflit. Car, pour
l’auteur, « l’antisémitisme est une importation occidentale » que
deux éléments ont fait prospérer, contribuant à ce qu’il appelle « un
nouvel antisémitisme » : l’aggravation de la colonisation
israélienne et « l’industrie de l’Holocauste ». Elle a d’abord
suscité un négationnisme odieux – surtout en Égypte et en Jordanie.
Aujourd’hui, les Palestiniens retournent le raisonnement en se disant
eux-mêmes « les juifs d’Israël ». Un effet miroir qui interpelle
les « justes » d’Israël, pour peu qu’ils échappent à la pensée
unique. Ce livre et les débats qu’il ne manquera pas de susciter pourraient y
être une puissante contribution.
(1) Historien et philosophe, Gilbert Achcar
est professeur à l’école des études orientales de l’université de Londres. Il
a publié avec Noam Chomsky la Poudrière du Moyen-Orient. .
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