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Article paru dans l’édition du 20 Octobre 2009 – page 8 En Turquie, le premier
ministre, Recep Tayyip Erdogan, exploite un sentiment d'hostilité vis-à-vis
d'Israël
Par
Guillaume Perrier Une
semaine après l'annulation d'un exercice militaire commun, les dirigeants
turcs ont justifié leur décision d'écarter leur allié israélien des
manoeuvres aériennes prévues au-dessus de la plaine anatolienne par un
désaccord sur les opérations israéliennes menées à Gaza entre le 27 décembre
et le 17 janvier. Assurant que les relations
privilégiées entre les deux pays, liés par une alliance stratégique depuis
1996, ne seraient pas remises en cause par une crise présentée comme
passagère, le président de la République, Abdullah Gül, a
déclaré que "cela ne veut pas dire que la Turquie ne fera pas
entendre sa voix contre les erreurs qui peuvent être commises". "On
ne devrait pas penser que la Turquie restera silencieuse", a-t-il
ajouté pour défendre la position de son gouvernement. M. Gül a invoqué le rapport
Goldstone, adopté par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies le
16 octobre mais rejeté par Israël, qui recommande que des enquêtes soient
menées sur les opérations militaires de l'hiver. L'argument de la
"tragédie de Gaza" a été également avancé en des termes moins
diplomatiques par le premier ministre Recep Tayyip
Erdogan, pour expliquer ce rafraîchissement dans les relations
turco-israéliennes. "La Turquie n'a jamais été du côté des
persécuteurs mais a toujours défendu les opprimés", a-t-il lancé
samedi. M. Erdogan a expliqué que, en repoussant ces exercices militaires, il
s'est fait "le porte-parole du peuple". Ces déclarations ont
provoqué la colère en Israël, où un mouvement de boycottage des produits
turcs a été lancé. Les touristes israéliens avaient déjà boudé les plages
turques cet été. En janvier, au forum de
Davos, M. Erdogan avait brutalement quitté la scène faute de pouvoir répondre
au chef de l'Etat israélien, Shimon Pérès,
qui avait défendu l'offensive à Gaza. En septembre, le ministre des affaires
étrangères, Ahmet
Davutoglu, a annulé un voyage en Israël après le refus israélien de
l'autoriser à se rendre à Gaza. Même les chefs d'état-major turc et israélien
ont échangé des reproches, laissant paraître une crise plus profonde. Le 14 octobre, la diffusion
sur une chaîne de la télévision publique turque (TRT) de la série Ayrilik
("La Séparation"), montrant des soldats israéliens en train
d'abattre froidement une petite fille ou de procéder à des exécutions
sommaires, a ravivé l'émoi. Le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor
Lieberman, a convoqué l'ambassadeur turc pour protester contre cette
fiction, qualifiée d'"incitation à la haine". "Modèle de réussite
des juifs" Le terrain est propice en
Turquie, où 53 % des habitants, selon une enquête parue début octobre, se
disent hostiles à l'idée d'avoir un voisin juif. Un sentiment antisémite que
le premier ministre est accusé d'attiser à l'occasion. Dans un discours
prononcé devant les étudiants de l'université technique Yildiz
d'Istanbul, le 8 octobre, il a ainsi expliqué avoir "observé le
modèle de réussite des juifs", affirmant que grâce à "leur
sens des affaires", "les juifs peuvent faire fructifier leur
argent en restant assis". Les tensions avec Israël
traduisent aussi des objectifs divergents au Proche-Orient. A peine installé,
le gouvernement de Benyamin
Nétanyahou a rejeté l'offre turque de poursuivre sa tentative de
médiation entre la Syrie et Israël. De son côté, la Turquie a
accéléré son rapprochement avec Damas, mettant fin à des années de brouille.
Les gouvernements ont même organisé le 13 octobre, pour la première fois, un
conseil des ministres commun à Alep, et les visas entre les deux pays ont été
supprimés. Des manoeuvres militaires communes sont prévues prochainement.
Avec l'Iran, Ankara a adopté une position conciliatrice, s'opposant à des
sanctions internationales sur le dossier du nucléaire. Et le premier ministre
Erdogan doit se rendre à la fin du mois à Téhéran. |