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Article paru dans l’édition du 21 Octobre 2009 – page 23 "Rachel" :
autopsie d'une disparition à Gaza
par Jacques Mandelbaum Dans la bande de Gaza, le 16 mars 2003, Rachel Corrie,
une Américaine de 23 ans, trouve la mort en s'interposant devant un bulldozer
israélien affecté au déblaiement de la zone frontalière avec l'Egypte. La
jeune femme faisait partie d'une organisation non violente, l'International
Solidarity Movement (ISM), et était venue, comme d'autres jeunes gens de
tous pays, pour s'opposer aux destructions menées par l'armée israélienne
dans le cadre officiel de la lutte antiterroriste. Plus précisément, l'armée
opérait dans la zone de Raffah pour y créer un no man's land destiné à
faciliter la construction d'un mur de séparation. La réalisatrice Simone Bitton,
qui tourne des films dans la région et sur ce conflit depuis une quinzaine
d'années, s'empare de ce drame pour tenter de lever le voile sur les
circonstances qui l'ont permis, voire en comprendre les raisons. Elle a
retrouvé les principaux témoins de l'accident, s'est procuré les rapports de
l'armée israélienne, le journal intime de la défunte, s'est entretenue avec
un nombre considérable de gens, a retrouvé un reportage d'une télévision
privée qui a recueilli anonymement le point de vue des deux conducteurs du
bulldozer, a même mis la main sur une vidéo de surveillance de Tsahal,
expurgée du moment fatal. Le film est construit comme
une enquête indépendante, qui entend aller plus loin que le classement de
l'affaire par la commission d'enquête officielle israélienne, qui a conclu à
un accident. Ce point de vue, repris dans le film par la porte-parole de
Tsahal, qui se fonde sur le témoignage des conducteurs de l'engin et le
rapport d'autopsie, fait état de la vision très réduite à bord du bulldozer,
et de l'absence de contusions graves sur le corps de la victime, qui, selon
le rapport d'autopsie, aurait péri par asphyxie. Juxtaposition Les compagnons de la jeune
femme, comme les témoins palestiniens alentour, réfutent quant à eux cette
thèse et prétendent avoir vu le bulldozer venir de loin et bel et bien
renverser Rachel Corrie. Ils en concluent, d'une part, que les conducteurs de
l'engin avaient eu tout loisir de voir la jeune femme, d'autre part et
conséquemment qu'il y a donc eu volonté de tuer. Ménageant ainsi la raison
des uns et des autres, le film ne se prononce pas explicitement en faveur
d'une version ou de l'autre, mais induit par leur juxtaposition l'hypothèse
du mensonge israélien. Ce faisant, il privilégie
un débat dont la pertinence est toute théorique, tant il est clair que ce
bulldozer est la cause directe de la mort de la jeune femme, et tant il
semble que la mort de civils, du moins palestiniens, n'est pas toujours un
facteur discriminant dans les actions menées par Tsahal. Cette approche affaiblit
en outre la puissance documentaire du film, en instrumentalisant ses
personnages au profit du débat qu'il entend illustrer. |