Article paru dans l'édition du 29 octobre 2009
Reportage
Israël mène la
guerre de l'eau dans les territoires occupés
Jérusalem
Correspondant
La vigueur des
réactions qui ont accueilli le rapport critique d'Amnesty International sur
la question de l'accès à l'eau potable dans les territoires palestiniens
occupés par Israël rappelle à quel point l'eau est une question stratégique
au Proche-Orient.
L'étude réalisée
par l'organisation de défense des droits de l'homme, rendue publique mardi
27 octobre, est un constat accablant des pratiques "discriminatoires"
envers la population palestinienne, imposées par les autorités
israéliennes.
Le partage de
l'eau est un sujet politique : il fait partie des questions liées au "statut
final" d'un futur accord de paix israélo-palestinien, au même
titre que celles des réfugiés, des frontières d'un Etat palestinien, et de
Jérusalem. La Water Authority israélienne, qui réfute les accusations
d'Amnesty, en conclut qu'il y a peu de chances que la situation évolue
avant un tel accord.
L'accès à l'eau,
qui est soumis au contrôle total qu'Israël exerce sur les ressources de la
région, est aggravé par la sécheresse aiguë qui menace aujourd'hui les
nappes aquifères. L'Etat juif, souligne Amnesty, utilise plus de 80 % de
l'eau provenant de l'aquifère de montagne, limitant l'accès des
Palestiniens à 20 % de cette réserve. Or, il s'agit de l'unique ressource
en eau des Palestiniens en Cisjordanie, insiste Amnesty, "alors
qu'Israël dispose de plusieurs sources d'approvisionnement (lac de
Tibériade et aquifère côtier) et utilise toute l'eau disponible du
Jourdain". L'Etat juif occupe la vallée du Jourdain depuis la
guerre de 1967, et n'accorde aucun accès à ses rives aux Palestiniens.
Les eaux du
Jourdain sont convoitées à la fois par Israël, la Syrie, le Liban et la
Jordanie, avec pour résultat de réduire par endroits son débit à celui d'un
ruisseau salant et contaminé par les eaux usées non traitées, ce qui
provoque un assèchement préoccupant de la mer Morte.
Amnesty relève que
la consommation en eau des Palestiniens est à peine de 70 litres par
personne et par jour, soit nettement moins que les 100 litres recommandés
par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), contre plus de 300 litres
pour les Israéliens.
Dans certaines
zones rurales, ajoute l'organisation, les Palestiniens survivent avec à
peine 20 litres par jour. Plus de quarante ans après l'occupation de la
Cisjordanie, ajoute Donatella Rovera, auteure du rapport, 180 000 à 200 000
Palestiniens vivant dans des communautés rurales n'ont pas accès à l'eau
courante. Cette situation est d'autant plus choquante, insiste-t-elle, que
les colons israéliens établis en Cisjordanie, "en violation du
droit international, recourent à l'irrigation intensive pour leurs cultures,
et disposent de jardins luxuriants et de piscines".
Cette dernière
affirmation ne convainc qu'à moitié : les "jardins luxuriants"
et les "piscines" sont loin d'être la règle, et les colons
juifs en Cisjordanie forment une palette d'individus aux revenus
disparates. "Quelque 450 000 colons utilisent autant, sinon plus
d'eau, que l'ensemble de la population palestinienne, estimée à 2,3
millions", ajoute Amnesty, qui consacre une place importante de ce
rapport à la situation dans la bande de Gaza, où la pénurie d'eau est
critique. Dans cette portion de territoire contrôlée par le Hamas, la seule
ressource en eau est l'aquifère côtier, puisque Israël n'autorise pas de
transfert d'eau de la Cisjordanie vers Gaza.
Puissant levier
politique
Sur-utilisée et
contaminée à plus de 90 % par les eaux usées non traitées, l'aquifère
côtier est source de maladies et d'épidémies. Cette situation est aggravée
par le blocus imposé par Israël, qui interdit l'entrée à Gaza d'équipements
nécessaires à la réparation et à la modernisation du réseau.
Le rapport
d'Amnesty rappelle que les Palestiniens ne peuvent creuser de nouveaux
puits sans obtenir de permis délivré par l'armée israélienne. Il explique
en quoi les restrictions d'accès à l'eau potable sont un outil politique en
favorisant les expulsions. Il montre enfin comment le "Mur" ou
"barrière de sécurité", les check-points et autres barrages
routiers, interdisent ou retardent l'accès à l'eau en Cisjordanie.
La Water Authority
israélienne a contesté les chiffres avancés par Amnesty, déploré que
l'organisation ne l'ait pas consultée, mais n'a pas remis en question la
réalité du phénomène de discrimination dont pâtissent les Palestiniens.
Si les Israéliens
consomment "408 litres d'eau par jour" (Amnesty parle de
300 litres...), les Palestiniens en utilisent 200, affirme-t-elle, tout en
assurant que la consommation des Israéliens a baissé de 70 % depuis 1967,
alors que celle des Palestiniens a progressé de 85 à 105 m3 au
cours de la même période. La Water Authority souligne enfin qu'Israël a
toujours accordé aux Palestiniens davantage d'eau que les accords d'Oslo
(1993) ne leur en allouaient.
Au-delà des
chiffres, l'attitude des autorités israéliennes montre que l'accès à l'eau
reste un puissant levier politique dans les relations
israélo-palestiniennes. C'est aussi un enjeu stratégique régional : pour
pallier une pénurie croissante d'eau, Israël envisage de nouveau d'en
importer de Turquie. Sauf que la détérioration récente de ses relations
diplomatiques avec Ankara ne favorise pas un tel objectif.
Laurent Zecchini
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