Israël, au risque
de l’isolement
Par
Gideon Levy
http://www.michelcollon.info/index.php?option=com_content&view=article&id=2362:israel-au-risque-de-lisolement&catid=6:articles&Itemid=11
Publication originale : Haaretz,
traduction : Contre Info, http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2859
Gideon Levy,
éditorialiste de Haaretz, s’inquiète de l’isolement croissant sur la scène
internationale d’un Israël qui assimile toute critique à une manifestation
d’antisémitisme, y compris lorsque ces critiques émanent de ses amis les
plus proches. Alors que toute autre nation se remettrait en cause,
souligne-t-il, Israël semble au contraire vouloir multiplier les rebuffades
et distribue des gifles diplomatiques tous azimuts, de la France à la
Chine.
L’histoire comme la
géographie d’Israël expliquent la prévalence du sentiment obsidional qui a
toujours guidé les actes de ses dirigeants. L’absence de profondeur
stratégique, la mythologie du peuple élu y ont un rôle, à l’évidence. Mais
ils n’auraient certainement pas une telle prégnance sans le souvenir de
l’Holocauste. Les juifs d’Europe ont été trahis de façon infâme par les
sociétés dont ils pensaient faire partie. En France, des anciens
combattants de 1914-1918, couverts de médailles pour les sacrifices
endurés, ont été déportés vers la mort par la police obéissant aux ordres
de Vichy. Ce traumatisme fondateur suffit à lui seul à expliquer pourquoi les
dirigeants israéliens peuvent être enclins à ne faire confiance à
quiconque. Une première fois abandonnée par la communauté des hommes, la
nation juive ne veut désormais compter que sur elle-même pour garantir sa
survie et paraît accepter le destin terrible de n’avoir d’autre horizon
qu’une guerre perpétuelle. En semblant avoir perdu - pour l’instant,
espérons-le - la volonté de retisser cette confiance, de rechercher une
paix juste, de nouer des liens apaisés avec l’ensemble de la région, Israël
s’enferme dans une logique jusqu’au-boutiste, devenue imperméable aux
appels à la raison, fussent-ils lancés par ses amis les plus proches. Si
cette peur fondatrice - réelle mais aussi coupablement instrumentalisée par
des démagogues - l’emporte, avec tout ce qu’elle peut avoir aussi
d’irrationnel, d’incommensurable par essence, si Israël se refuse à faire
la paix, ou pire encore si Israël choisit d’attaquer l’Iran, alors un
spectre d’outre tombe aura remporté une ultime et sinistre victoire. Le
peuple juif, prisonnier du souvenir de l’horreur glaçante, serait une
nouvelle fois la victime de la folie meurtrière hitlérienne. Contre Info.
Haaretz, 22 octobre 2009
Récemment, Israël s’en est pris au reste du monde, lui portant coup après
coup. Alors que la Chine ne s’est toujours pas remise de l’absence e du
ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman à la réception à
l’ambassade de Tel-Aviv - lourde punition pour le soutien de la Chine au
rapport Goldstone - la France panse ses plaies après que le Premier ministre
Benjamin Netanyahu ait mis son « veto » à une visite de son ministre des
Affaires Etrangères à Gaza. Et Israël vient à nouveau de porter un coup
sévère : son ambassadeur à Washington, Michael Oren, va boycotter la
semaine prochaine la conférence organisée par J Street, la nouvelle
organisation de lobby pro-israélien.
La Chine, la France et J
Street finiront par se remettre de ces boycotts, tout comme la Turquie se
remettra de la révolte des vacanciers, et on peut s’attendre à ce que même
les Suédois et les Norvégiens se remettent des vives réprimandes d’Israël.
Mais un pays qui attaque et boycotte tous ceux qui ne sont pas exactement
en accord avec ses positions officielles se verra isolé, abandonné et
détesté, à l’image de la Corée du Nord aujourd’hui ou de l’Albanie hier. Il
est plutôt surprenant qu’Israël utilise cette arme, car il sera bientôt
lui-même la victime ces boycotts.
Israël frappe et frappe encore. Il frappe ses ennemis, et désormais il s’en
prend aussi à ses amis qui osent ne pas partager complètement ses choix
politiques. Le cas de J Street en donne un exemple particulièrement
saisissant. Cette organisation juive a grandi aux USA en même temps que la
renommée de Barack Obama. Ses membres souhaitent un Israël qui soit juste
et épris de paix. C’est là son tort, et le boycott est sa punition.
L’ambassadeur d’Israël à Washington, M. Oren, est un représentant dévoué :
il pratique lui aussi le boycott. Après s’en être pris à des éditorialistes
israéliens, dont moi-même, dans un article publié par The New Republic,
pour avoir osé critiquer le discours de M. Nétanyahou à l’ONU - ce qui
constitue un outrage à part entière - l’ambassadeur-propagandiste a utilisé
à nouveau l’arme du boycott, cette fois contre une nouvelle organisation
juive et sioniste qui veut s’opposer à l’establishment juif américain et à
son nationalisme à la main lourde.
Au nom de qui M. Oren agit-il ainsi ? Pas au nom de la société israélienne,
dont il est censément l’ambassadeur. Les anciens diplomates d’Union
soviétique et d’Europe de l’est n’auraient pas agi différemment.
Une telle agressivité est de mauvais augure. Elle provoquera l’éloignement
de nos véritables amis et accroitra notre isolement. Le slogan « une seule
nation » est devenu un but, notre isolement devient un objectif. Qui
restera à nos côtés une fois que nous aurons attaqué et boycotté tout le
monde ? Abe Foxman, de l’Anti-Defamation League? Notre avocat-propagandiste
Alan Dershowitz ?
Diviser le monde entre le camp du bien absolu et celui du mal absolu -
notre camp et celui de nos ennemis, sans aucun juste milieu - est un signe
de désespoir et d’une perte totale de repères. Car au-delà d’un ambassadeur
à Washington qui ne connaît rien à la démocratie et au pluralisme, et
souhaite uniquement complaire à ses maîtres, un tel comportement - qui
consiste à donner des coups de pied et à aboyer comme un fou en tous sens -
est en train de détruire Israël.
En ne nous permettant pas d’exprimer une opinion, Israël est en passe de
devenir un paria pour le reste du monde, provoquant le rejet des autres
nations. Qui faut-il incriminer ? L’opération Plomb Durci, par exemple. Il
n’y a plus que les États-Unis qui soient restés systématiquement nos
alliés, aveugles à toutes nos erreurs. Toute autre démocratie qui aurait vu
son statut international se dégrader autant aurait commencé à se demander
quelles erreurs ont été commises.
En Israël, notre réaction est exactement inverse : c’est le reste du monde
qui est coupable. Les Scandinaves sont hostiles et les Turcs sont des
ennemis, les Français et les Britanniques détestent Israël, les Chinois ne
sont que des Chinois et les Indiens n’ont rien à nous apprendre.
Toute critique légitime se voit immédiatement qualifiée ici d’antisémitisme,
y compris lorsqu’elle émane de Richard Goldstone, qui est un juif sioniste.
Nous renvoyons tout le monde dans les cordes sans ménagement, en espérant
ainsi qu’ils changent d’avis, et deviennent soudainement emplis de
compréhension pour le meurtre des enfants de Gaza. Désormais, même
l’Amérique, même les juifs américains, ne sont plus à l’abri des agressions
d’un Israël qui a perdu le sens de la mesure.
Les dégâts s’accumulent, de Pékin jusqu’à New York. Après le boycott de
J.Street, même les juifs américains comprennent qu’Israël n’est pas une
société tolérante, un pays libéral, à l’esprit ouvert, en dépit de ce qu’on
leur raconte.
Tous sauront désormais que « la seule démocratie au Moyen-Orient » n’est
pas exactement cela, et que quiconque ne répète pas ses messages de
propagande sera considéré comme un ennemi - qui pourra également être
sévèrement puni.
Aussi sévèrement que le milliard de Chinois qui pansent leurs plaies après
le coup dévastateur que le ministre israélien des Affaires Etrangères leur a
porté personnellement.
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