Article
paru dans l’édition du 11 Novembre 2009
Face
au blocage du processus de paix,
le négociateur palestinien évoque un seul Etat
Par Laurent Zecchini
Saëb Erakat est fatigué. Ce qui le
démoralise, c'est le blocage total du processus de paix et la crise dans
laquelle s'enfonce le mouvement palestinien depuis que Mahmoud Abbas,
président de l'Autorité palestinienne, a annoncé, le 5 novembre, qu'il ne se
représenterait pas pour un nouveau mandat.
Cela
fait dix-neuf ans que Saëb Erakat est impliqué dans les négociations avec les
Israéliens, et cinq ans qu'il est devenu le "négociateur en chef"
de l'Autorité palestinienne. Jamais, sans doute, il n'a connu une telle
absence de perspective.
Le
Hamas ayant annoncé qu'il interdirait tout scrutin dans la bande de Gaza, les
chances de tenir les élections le 24 janvier 2010 sont minces.
C'est
à la commission électorale d'en décider. Si elle déclare que ce n'est pas
possible, alors "la question de savoir si Abou Mazen (nom de
guerre de M. Abbas) est candidat ou non n'a plus d'importance".
Mais M. Erakat en est sûr : si l'intéressé a convoqué des élections, tout en
sachant pertinemment que le Hamas s'y opposerait, c'est "pour
préparer la prochaine étape".
Laquelle
? C'est l'objet de toutes les supputations de ces derniers jours : la
dissolution de l'Autorité palestinienne, une déclaration unilatérale d'un
Etat palestinien, pour mettre Américains et Israéliens au pied du mur, quitte
à créer un dangereux vide politique, qui ferait le lit des partisans de la
lutte armée ?
La
solution des deux Etats - l'un israélien, l'autre palestinien - reste la
ligne politique officielle. "Mais si Nétanyahou (Benyamin
Nétanyahou, le premier ministre israélien) croit qu'il peut continuer
avec la colonisation, avec le "mur", il détruit la solution de deux
Etats. Alors, observe Saëb Erakat, les Palestiniens vont bientôt
réaliser qu'ils doivent de nouveau réfléchir à la solution d'un seul
Etat."
Le
principal négociateur palestinien se garde de préciser sa pensée. Mais,
insiste-t-il, "j'avertis simplement Nétanyahou". "Si
vous infligez une défaite au "camp de la paix" parmi les
Palestiniens, aux modérés - parce que c'est cela son but final : afin de prouver
qu'il n'a pas de partenaire palestinien -, alors..." La phrase
de M. Erakat reste en suspens.
"La
chose la plus rationnelle que les gens peuvent faire, reprend-il, c'est
de se reconcentrer sur l'idée de devenir des citoyens israéliens, pour être
égaux en droits, comme musulmans, avec les chrétiens et les juifs, dans un
Etat israélien qui s'étend du Jourdain à la Méditerranée." Et
ensuite ? "Ensuite, la lutte va se poursuivre, peut-être pendant
cinquante ans, mais je suis sûr qu'elle sera beaucoup plus courte qu'en
Afrique du Sud", affirme-t-il.
Un
homme, une voix
Saëb
Erakat ne le dit pas, mais ce scénario d'un seul Etat représenterait la pire
des solutions pour les Israéliens, de facto obligés de gérer des territoires
palestiniens devenus des poudrières potentielles. D'autant que, dans un tel
cas de figure, les Palestiniens revendiqueraient les règles d'un Etat
démocratique, par exemple celle d'"un homme, une voix", un autre
scénario, celui-là d'ordre démographique, qui ne peut être en faveur d'Israël.
Il
y a une variante : la déclaration d'un Etat palestinien sur les frontières de
1967, qu'une grande partie de la communauté internationale, pour ne pas se
déjuger, serait obligée d'avaliser. De toute façon, note Saëb Erakat, "ce
que veulent les Israéliens, c'est développer des bantoustans en
Cisjordanie". "Dans dix ans, Jéricho sera entourée d'un mur",
ajoute-t-il.
"Le
mur actuel (que les Israéliens appellent "barrière de sécurité")
n'est pas fait pour séparer Israël de la Palestine ; il est conçu pour faire
de chaque ville, chaque village palestinien, une prison." Saëb
Erakat n'est même pas amer envers les Américains, qui ont pris le contre-pied
de la position des Palestiniens en faveur d'un gel total de la colonisation
juive dans les territoires palestiniens occupés : "C'est de la
realpolitik : si c'est ma parole face à celle de n'importe quel Israélien au
Congrès des Etats-Unis, je n'ai pas une chance !"
Alors,
dans tout cela, la succession de Mahmoud Abbas ? "Pour faire
quoi ? Ce n'est pas une question de personne, conclut M. Erakat, dans
les circonstances actuelles, si Thomas Jefferson devenait président
palestinien, Montesquieu speaker du Parlement palestinien, et Mère Teresa
premier ministre, en moins de six mois, ils seraient qualifiés de terroristes
par les Israéliens !"
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