Article paru dans l'édition du 08 novembre 2009
Le Grand Aveuglement,
Israël et l'irrésistible ascension de l'Islam radical
Charles Enderlin
Albin Michel, 378 p.,
20,90 €
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Compte
rendu
L'engrenage du Hamas
Charles
Enderlin écrit comme il fait son métier de correspondant permanent de
France 2 à Jérusalem, depuis 1981 : en énumérant les faits, sans adjectifs
ni commentaires superflus. Il sait que les mots peuvent devenir des armes.
Son
propos est de décrire la responsabilité d'Israël dans la montée de l'islamisme
radical, c'est-à-dire dans l'émergence du Hamas.
Sa
méthode est celle d'un journaliste : les événements s'enchaînent, comme un
engrenage, parsemés des erreurs des gouvernements israéliens successifs. On
mesure à quel point l'impasse actuelle du processus de paix, et aussi la
division des Palestiniens entre le Fatah et le Hamas, est la résultante
d'un "grand aveuglement", du dogmatisme religieux et du
sang versé.
Charles
Enderlin explique, documents souvent inédits à l'appui, que la Shabak, le
service israélien de sécurité intérieure, s'est persuadée qu'en favorisant
le renforcement de la Moujamma (organisation issue des Frères musulmans,
qui a donné naissance au Hamas) et de son chef, Cheikh Ahmed Yassine, elle
détenait "l'antidote à l'OLP", l'Organisation de
libération de la Palestine. Il établit un parallèle saisissant avec
l'attitude des Etats-Unis en Afghanistan, qui ont longtemps soutenu les
groupes moudjahidines les plus radicaux, comme le Hezb-I-Islami de
Gulbuddin Hekmatyar, aujourd'hui l'un des chefs les plus extrémistes du
mouvement taliban.
Loin
de limiter son sujet à "la prise de contrôle d'un territoire"
(Gaza) par le Hamas, Charles Enderlin se fait le biographe minutieux de
l'histoire des relations entre Israël et les administrations américaines
successives : il souligne à quel point les appels répétés de Washington en
faveur de l'arrêt de la colonisation juive dans les territoires
palestiniens occupés, cet "acte délibéré visant à saboter la
paix", disait l'ancien secrétaire d'Etat James Baker, sont restés,
jusqu'à aujourd'hui, lettre morte.
Il
décrit "l'entreprise systématique de délégitimation de l'Autorité
palestinienne", et rappelle que le premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, alors chef du Likoud, avait comparé les accords d'Oslo
(1993) - sans doute la meilleure chance de paix au Proche-Orient -, aux
accords de Munich, et Itzhak Rabin à Chamberlain. Cette chronique des
relations israélo-palestiniennes livre quelques clés pour comprendre
l'incapacité des acteurs du processus de paix à se tolérer.
Laurent
Zecchini
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