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Raëd Salah, chef des radicaux du
Mouvement islamiste israélien, dont les prêches enflamment Jérusalem Um El-Fahm (près de
Nazareth) Envoyé spécial Rien, dans l'apparence et la
componction de Raëd Salah ne laisse supposer qu'il s'agit du prédicateur
souvent vitupérant, capable, en moins d'une heure, de rameuter des milliers
de Palestiniens en colère dans la vieille ville de Jérusalem aux cris d'"Al-Aqsa est en danger"
? Qui est vraiment ce chef de la
branche radicale du Mouvement islamique israélien ? L'érudit religieux
souriant et affable qu'il souhaite incarner ce matin-là, ou la bête noire de
la police israélienne, trop souvent obligée d'instaurer un quasi-état de
siège dans la Ville sainte, pour éviter que l'esplanade des Mosquées, qui
abrite Al-Aqsa, troisième lieu saint de l'islam, ne devienne un champ de
bataille ? Cheikh Raëd Salah, père de huit
enfants, est un Janus palestinien, plutôt radical. S'il nous reçoit à Um El-Fahm,
ville arabe perchée sur la crête de la montagne du même nom et dont il a été
maire, à deux heures de route de Jérusalem, c'est parce qu'il y est interdit
de séjour depuis les affrontements qui s'y sont produits, début octobre. Plus
exactement, il ne doit pas approcher à moins de 150 mètres des limites de la
vieille ville, ni participer à un rassemblement de plus de sept personnes. Ce
qui n'entame en rien sa détermination : "Si
je dois aller défendre Al-Aqsa, j'irai." La coupole d'Al-Aqsa, c'est l'obsession
de cheikh Raëd. En le quittant, l'un de ses affidés nous remettra pas moins
de 12 DVD obscurs, censés montrer les tunnels que les Israéliens creusent
sous le Haram Al-Charif (l'esplanade des Mosquées), pour faire s'écrouler
Al-Aqsa. Cheikh Raëd Salah n'a aucun doute sur le but de ce "complot" : "Sur les décombres, les juifs
voudraient reconstruire leur Temple", détruit par l'empereur
Titus en l'an 70. Depuis quarante ans, affirme-t-il, il ne se passe pas de
semaine sans que des travaux souterrains aient lieu sous l'esplanade. SE DÉBARRASSER DE L'OCCUPANT Le département israélien des
antiquités ne nie pas les fouilles, mais indique qu'elles ont lieu un peu
plus loin, au pied du mur des Lamentations, le site le plus sacré du
judaïsme, en contrebas du Haram Al-Charif. Et les archéologues israéliens
assurent que ces travaux ont "multiplié
par dix la stabilité structurelle du site". La querelle est politique. Raëd
Salah est persuadé que tout ceci participe d'une vaste entreprise de "judaïsation de Jérusalem",
que traduit la colonisation juive continue à Jérusalem-Est. Or, insiste-t-il,
"chaque pouce de terrain
à Jérusalem est sacré, et les juifs n'y ont aucun droit".
Dès lors, il n'y a qu'une attitude possible pour les Palestiniens : "mettre fin à l'occupation"
israélienne. Faudra-t-il pour cela déclencher
une troisième Intifada ? Le cheikh reste de marbre : "Si elle a lieu, ce sera pour se
débarrasser de l'occupant." Raëd Salah n'a rien d'un
illuminé. Il choisit ses mots avec précaution : pas question d'appeler
ouvertement à un soulèvement palestinien, au risque d'être poursuivi par la
justice israélienne. En 2003, Raëd Salah a été condamné à deux ans de prison
pour avoir récolté des millions de shekels au profit du Hamas. Depuis, il a
été interpellé à plusieurs reprises et le Shin Bet (sécurité intérieure) le
surveille. Le Mouvement islamique israélien
date de la fin du mandat britannique, qui s'est achevé en 1948. Fruit de
l'alliance entre les Frères musulmans et l'ancien grand mufti de Jérusalem,
Hadj Amin al-Husseini, il se scindera après les accords d'Oslo (1993) : la
branche sud participe aux élections, contrairement à la branche nord. Cheikh
Raëd Salah reste évasif sur ses relations avec le Hamas (lui aussi issu des
Frères musulmans). Il sait bien que le moindre élément pourrait être utilisé
pour interdire son propre mouvement. Lors des derniers affrontements
sur l'esplanade des Mosquées, l'Autorité palestinienne, le Hamas, mais aussi
les gouvernements de Jordanie, de Syrie et d'Arabie saoudite, ainsi que
l'Organisation de la conférence islamique (OCI), ont dénoncé les "provocations"
d'Israël. L'homme qui peut soudainement enflammer Jérusalem est donc à
surveiller, autant qu'à ménager. "Je
m'arrêterai, dit-il tranquillement, lorsque j'aurai vu de mes yeux le départ des juifs." Laurent Zecchini |