International - Article paru
le 2 décembre 2009
reportage.
Palestine
Voyage au cœur de la
Cisjordanie occupée
Franchir le mur,
c’est devenir le témoin d’une tragédie dont l’image est sciemment tronquée.
Une délégation de quarante-cinq Françaises est revenue bouleversée de son
séjour en Palestine,
du 20 au 24 novembre.
Cisjordanie, envoyée spéciale.
Hind Khoury ne les lâche pas d’une
semelle. Bien sûr, la déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France
souhaite honorer ainsi la présence dans son pays de quarante-cinq Françaises,
majoritairement des élues ; elle veut également être
là où elles sont, les inciter à ouvrir grands les yeux et les oreilles, leur
expliquer patiemment, inlassablement. Car, voir et entendre demeurent des
armes redoutables. Aucune des quarante-cinq femmes de la délégation qui a
séjourné en Cisjordanie du
20 au 24 novembre 2009, à l’initiative de l’Association
pour les jumelages entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes
françaises (AJPF), n’est sortie des territoires occupés comme elle y était
entrée.
D’emblée, le mur ou, plus
exactement, les murs et les grillages qui encerclent villes et villages
palestiniens provoquent un malaise. Surtout autour des camps de réfugiés
comme celui d’Aïda (1), dans le district de Bethléem. Pas moins de cinq
miradors scrutent tout mouvement à l’intérieur de ce camp de 1,5 km²,
transformé en une commune de 5 000
habitants. Les territoires occupés affichent un paysage défiguré, lacéré par
le mur tracé arbitrairement. « Il fait des tours et des détours pour
grignoter la moindre parcelle de terrain ! »
s’indigne Geneviève Vaulot-Kujawski, syndicaliste.
Entrer ou sortir des territoires
occupés reste un parcours du combattant. « L’accès à Jérusalem nous est
refusé alors qu’il est ouvert au monde entier », se désole le maire
d’Al-Ram. La Ville sainte n’est pourtant qu’à deux pas de cette commune de 62 000 habitants, cloîtrés sur 2,5 km². Le permis est délivré
avec parcimonie et personne ne passe sans franchir les checkpoints (zones de
contrôle militaire israélien). « On ne sait jamais si on va mettre cinq
minutes ou cinq heures », explique Hind Khoury. À l’avant du car qui
transporte la délégation de Jérusalem à Bethléem, puis à Ramallah, siège de
l’Autorité palestinienne, l’« ambassadrice », comme on préfère la
nommer ici, commente chaque paysage s’offrant aux yeux avides des visiteuses.
Sur les collines, d’imposants bâtiments blancs, parfois recouverts de toits
rouges, abritent les colonies, qui poussent comme des champignons. Un drapeau
israélien flotte à l’entrée des maisons, comme pour bien narguer le voisin
palestinien, repoussé de ses terres, relégué dans des zones stériles.
« La pauvreté atteint 62 % des familles de Cisjordanie et de
Gaza », souligne Hind Khoury. La route créée spécialement pour les
colons ouvre grande la voie à un régime d’apartheid. Les réserves d’eau
surplombant chaque immeuble et chaque maison des territoires occupés
demeurent le signe le plus visible de la colonisation galopante que l’on peut
entrevoir à travers la vitre du car. « Nous n’avons droit qu’à deux
heures d’eau par semaine », indique Khouloud, une étudiante résidant
dans le camp d’Aïda. Cette richesse naturelle, denrée rare au Proche-Orient,
est contrôlée par l’État hébreu en Cisjordanie qui en utilise 90 % à son
profit. Assoiffer le voisin reste d’autant plus un enjeu que les deux
protagonistes ont engagé une compétition démographique, susceptible, pour les
Palestiniens, d’entraver l’hégémonie colonialiste. Israël, pour sa part, rêve
de créer un « État juif aussi ethniquement pur que possible »,
selon le chercheur Michel Warschawski.
Mais cette colonisation, qui
conduit à l’impasse politique, et cette course au peuplement affectent
considérablement l’égalité entre les sexes. Alors que la pilule est libre
(l’avortement est interdit), la Palestine a paradoxalement le taux de
fertilité le plus élevé au monde. Hommes comme femmes s’en réjouissent en ces
temps de guerre plus ou moins larvée. On prédit ici une troisième Intifada. À
partir de 1993 et jusqu’en 1997, date du transfert de certains pouvoirs à
l’Autorité palestinienne, le mouvement féministe avait déployé toute son
énergie pour que le futur État palestinien « possède une législation
égalitaire entre les sexes », explique la chercheuse Maha Abu
Dayyeh-Shamas. « Nous avons mené des études dans ce domaine et créé un
projet de loi familiale qui aborde les sujets tabous, comme les violences
faites aux femmes », précise-t-elle. Mais les féministes ont très vite
déchanté. Leur projet émancipateur n’a pu voir le jour, emporté par les
vicissitudes de l’histoire.
En Palestine comme en Israël, les
affaires familiales se jugent par un tribunal religieux – musulman pour le
premier, juif pour le deuxième ;
les chrétiens ne possèdent pas moins de six tribunaux équivalant aux six
courants de cette communauté minoritaire. Dans les ruelles étroites et
animées du Vieux-Jérusalem, les divers signes religieux sont ostensiblement
exhibés. Dans la cour d’une école, tous les garçonnets portent la kippa. En
Cisjordanie, rares sont les petites filles et les femmes à sortir sans le
foulard islamique. « Le voile est davantage, pour elles, une marque
identitaire dans ce milieu agressif et oppressant », explique Hind
Khoury. Elle ajoute toutefois : « La progression du
fondamentalisme, notamment avec le Hamas, entraîne un certain conservatisme
et un repli identitaire religieux. » Pas du tout pessimiste sur ce
point, la diplomate affirme que « rien n’est perdu pour la Palestine,
c’est juste une période très difficile de régression des droits des femmes.
Et puis, discuter avec des femmes de la délégation leur dégage
l’horizon ».
Hind Khoury n’est pas la seule à
mettre autant d’espoir dans les voyages au sein de son pays. « Les
visites comme la vôtre ouvrent des fenêtres dans notre enfermement »,
remercie le ministre des Prisonniers qui assistait à la réunion, avec Fadwa
Barghouti, l’épouse du leader Marwan Barghouti. Sans doute la présence de
sénatrices, comme Odette Terrade et Hélène Luc, de maires (Catherine Peyge,
Hélène Cousseau-Perducat) ou de conseillères régionales (Marie-Pierre Vieu,
Viviane Claux, Gaëlle Abily) a-t-elle permis à l’ensemble de la délégation de
rencontrer de hauts responsables politiques. Des hommes et des femmes
disponibles, qui espèrent que chacune de ces visiteuses puisse témoigner à
son retour en France. Et ainsi briser le mur du silence entourant cette
tragédie à l’image tronquée.
Mina Kaci
(1) Le camp d’Aïda est le dernier
à être jumelé, en 2009, avec la ville
de Nogent-sur-Oise. L’AJPF comptabilise
71 communes jumelées.
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