Article paru dans l'édition du 09
décembre 2009
Reportage
En Cisjordanie, les champs d'oliviers
palestiniens, cibles des colons radicaux
Burin (sud de
Naplouse) Envoyé spécial
C’est un village encaissé dans un
vallon, cerné d'oliviers qui atteignent presque le sommet des deux collines.
Il se dégage du paysage une impression de quiétude, mais Akram Ibrahim Imran
n'a vraiment pas le coeur en paix : d'un geste las, il montre les arbres
déracinés ou sauvagement coupés. Les oliviers, c'est toute la vie de ce
paysan palestinien de 42 ans, sa survie économique et celle des treize
membres de sa famille.
Akram ne sait plus bien si c'est
son arrière-grand-père ou le père de celui-ci qui a planté ses oliviers. Tout
ce qu'il sait, c'est que certains ont bien plus de cent ans. Son regard se
porte vers la crête des collines. Au nord, en direction de Naplouse, on
distingue les premières maisons de la colonie de Bracha et, sur un mamelon proche,
des caravanes : c'est l'avant-poste de Har Bracha.
Vers le sud, les habitations de la
colonie de Yitzhar ne sont pas visibles, mais elles sont situées à moins de
deux kilomètres. Bracha et Yitzhar ont la réputation d'être des colonies
juives "dures", extrémistes. Les faits remontent au 12 novembre. Le
lendemain matin, Akram n'a pu que constater le résultat du saccage nocturne :
81 oliviers avaient été vandalisés par les colons. Ce n'était pas leur
première descente dans les champs d'Akram.
En mai, un feu avait détruit
trente-huit arbres, et il y avait eu des précédents. Akram a appelé la
police, sans illusions. Le DCO, le coordinateur de l'armée, est venu, avec
trois policiers et deux Jeep militaires. Ils ont soigneusement compté les
arbres gisant au sol ou coupés à mi-tronc à la scie, ont enregistré la
plainte d'Akram, et même promis de lui envoyer un compte rendu, ce qu'ils
n'ont pas fait. "Ni la police ni l'armée ne font rien, parce qu'ils
collaborent avec les colons", estime Akram.
Comme lui, ils sont des centaines
de cultivateurs palestiniens en Cisjordanie à supporter les conséquences
d'une cohabitation difficile avec les colons juifs. Ceux-ci exercent la
pratique dite du "price tag" (le prix à payer), une sorte de
mesure de représailles exercée sur les Palestiniens à la suite des actions
menées par l'armée contre les implantations juives illégales.
Parfois il n'y a pas de lien de
cause à effet, simplement une politique de prise de possession de la terre :
vandaliser les oliviers (ailleurs les amandiers et les citronniers) ou les
voler, c'est une manière de forcer les Palestiniens à quitter les lieux. Ceux
qui cultivent les oliviers sont parmi les plus pauvres de la société
palestinienne. Lorsqu'une terre est de facto abandonnée pendant
plusieurs années, elle devient "terre d'Etat", et souvent
les colons s'y installent.
Une saison catastrophique
Les champs d'Akram et le village de
Burin sont situés de part et d'autre de la route 60. Lorsque des colons,
souvent armés, sont visibles, les quelque quatre mille villageois n'osent
franchir la route pour aller dans les oliveraies. Cette année, la saison des
olives, qui s'est achevée le mois dernier, a été catastrophique. La récolte
n'a représenté qu'un dixième de celle d'une bonne année.
Le manque de pluie est le premier
responsable, mais souvent l'armée limite l'accès des paysans à leur terre,
lorsque celle-ci est proche de colonies. Elle attribue des permis aux paysans
pour se rendre dans leurs champs, lesquels doivent "coordonner"
leurs activités avec les autorités locales. Yesh Din, une organisation non
gouvernementale israélienne de défense des droits de l'homme, vient de
publier un bilan des cas de vandalisme commis dans les champs d'oliviers.
Elle en a dénombré vingt-sept
depuis le début de l'année. Depuis 2005, soixante-neuf plaintes en justice
ont été déposées pour la destruction de plus de trois mille arbres, mais
aucune d'entre elles n'a abouti à la moindre inculpation. Lorsque la police
et l'armée arrivent sur les lieux, les coupables se sont évanouis depuis
longtemps. La plupart des dossiers sont refermés avec la mention "manque
de preuves", ou "coupable inconnu".
En prévision de la saison des
olives, l'armée israélienne a cependant pris des mesures pour protéger les
fermiers, notamment en envoyant des forces de police dans les zones les plus
sensibles. Mais celles-ci sont en nombre insuffisant, et Yesh Din soupçonne
l'armée et la police de ne pas faire preuve de beaucoup de zèle pour aller
chercher les coupables dans les colonies.
"Les colons ne sont jamais
pris sur le fait, remarque Ruthie Kedar, l'une des responsables de Yesh Din, si
personne n'est jamais pris, cela veut dire quelque chose, non ?"
"Les gens comme Akram, souligne-t-elle, n'abandonneront pas. Nous
alertons la presse, la police, les tribunaux, et cela aide les paysans à
tenir. Ils voient en outre que tous les Israéliens ne sont pas comme les
colons, et c'est une bonne chose."
Il faut dix ans pour qu'un olivier
produise ses premiers fruits, et dix ans pour que les olives réapparaissent
sur les branches d'un arbre tronçonné. Mais Akram Ibrahim Imran a presque
l'éternité pour lui : "Cette terre est celle de mes ancêtres",
insiste-t-il.
Laurent Zecchini
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