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Dans ce dossier, vous trouverez de nombreux
articles dont nous vous recommandons la lecture http://www.approches92.com/dossierpalestine.htm Entre autres : Un moment de
vérité Ce
document est la parole qu'adressent au monde les Palestiniens chrétiens à
propos de ce qui se passe en Palestine. Leurs souffrances en effet continuent
et s'aggravent tandis que la communauté internationale observe en silence la
situation. Lire la suite à http://www.approches92.com/palestine.htm#ancre2 Et aussi… "Une
hégémonie mondiale" http://www.approches92.com/hegemonie.htm
Mustapha Chérif, bien connu à « la maison islamo chrétienne »,
pense que le problème palestinien est le symptôme d'une « volonté d'hégémonie
mondiale, basée sur trois éléments :la loi du plus fort, le libéralisme
sauvage, le recul des valeurs abrahamiques. » Paix
plutôt que guerre Je
suis ému touché, heureux d'être parmi vous aujourd'hui, surtout après avoir
entendu ce témoignage poignant du Père Elias. Il conforte la confiance
infinie que j'ai en l'autre, notamment l'autre chrétien. Tout ce que nous
pouvons faire, humblement et modestement, pour qu'il y ait paix plutôt que
guerre. Nous
sommes dans l'église de l'Evangéliste saintt Marc. Il nous disait: «A quoi
sert à l'homme de gagner le monde entier s'il vient à perdre son âme, sa
dignité, sa vie?» Chacun de nous est attaché à ce que la vie ait un sens. Il
ne s'agit pas de gagner le monde entier dans sa puissance, dans la richesse,
mais d'honorer la vie et Celui qui l'a donnée. Nous
avons l'impression d'être seuls mais il faut continuer à parler. Saint Marc
encore nous disait: «Cette voix qui surgit dans le désert». Dans ce désert
peuvent jaillir d'autres voix qui nous confortent et qui nous aident à reconnaître
en l'autre des signes de vérité, de dignité, d'égalité. Je cite encore Saint
Marc: «Il y a au milieu de vous quelqu'un que vous ne connaissez pas».
Aujourd'hui, c'est le Palestinien. C'est le musulman mais c'est aussi le
chrétien, chez moi en Algérie, peut-être. Il
faut toujours s'inscrire dans la mutualité, la réciprocité. Je cite
maintenant un juif, Einstein; un homme de la raison et de la science, donc un
homme de l'Occident, cet Occident auquel j'appartiens aussi. En écrivant, le
21 novembre 1929, une lettre à son ami Weizman, il disait: «Si nous nous
révélons incapables de parvenir à une cohabitation et à des accords honnêtes
avec les arabes, alors nous n'aurons strictement rien appris pendant 2000 ans
de souffrance et nous mériterons tout ce qui nous arrivera». Violence
et haine, pourquoi ? Aujourd'hui
on se demande pourquoi cette guerre, cette colonisation, cette violence! Les
prétextes ne manquent pas: l'archaïsme des régimes arabes, certaines
pratiques d'idéologies sectaires, des fermetures et un certain nombre
d'actions qui peuvent aussi désespérer l'autre. Mais
pourquoi tant de violence et de haine et de guerre, pourquoi, par exemple,
attaquer le Liban? Pourquoi cette guerre et cette haine avec Gaza? Pourquoi
humilier même ceux qui ne s'inscrivent pas dans la violence et qu'on appelle
«les modérés». Il n'y a pas d'apparente contradiction! Parce qu'on pourrait
se dire, à en croire une certaine propagande, qu'il y a une contradiction.
Israël se dit encerclé, déclare vouloir la paix mais les faits font
apparaître une contradiction extraordinaire. Israël parle au nom de tous les
juifs alors que tant d'amis juifs ne veulent pas qu'on parle en leur nom pas
plus que je ne veux qu'on parle en mon nom, à propos de certains régimes et
de certains groupes. Il y a tant d'amalgames et de confusion! Ainsi, depuis
1947, la partition de la Palestine, jusqu'en 1967, «la Guerre des Six jours»
qui a fait la Jérusalem occupée et qui a fait que les territoires censés
rester palestiniens sont encore occupés à ce jour. Plus de soixante ans
d'occupation! Résister
à la volonté d'hégémonie Il y
a eu 1956, Suez en pleine guerre d'Algérie; il y a eu octobre 1976. La chute
du Mur de Berlin, 1989, a marqué une sorte de césure. Elle a dopé cette
violence, cette volonté de dominer le monde à tout prix dans un système
mondial qui aurait besoin d'un ennemi. Depuis la chute de Berlin, il fallait
un nouvel ennemi. Il était tout désigné, presque dormant dans les préjugés
depuis des siècles. On s'invente un nouvel ennemi : le mauvais musulman.
L'année 2001 a conforté cette invention d'un nouvel ennemi. En 2003,
occupation de l'Irak. Après cela, on se demande pourquoi il y a de la
résistance. Comment peut-on résister à cette volonté d'hégémonie mondiale?
Elle est basée sur trois éléments: la loi du plus fort, le libéralisme
sauvage, le recul des valeurs abrahamiques. Les
choses sont plus graves que le destin d'un simple peuple qu'on crucifie. Il
s'agit de notre humanité à tous, de l'avenir de l'humanité tout entière qui
se joue en Palestine. Tchétchénie,
Darfour : pourquoi tant de drames demande-t-on parfois? Et pourquoi se
centrer sur ce qui se passe en Palestine? Parce que symboliquement se joue
l'avenir du monde sur ce si petit territoire. Il s'agit d'une logique de
déshumanisation: c'est la perte et le recul des valeurs et des valeurs pas
seulement humanistes mais également abrahamiques. Ce qui se joue, ce sont les
valeurs monothéistes, les valeurs abrahamiques, les valeurs religieuses, les
valeurs bibliques, les valeurs coraniques telles que les Prophètes nous les
ont enseignées. Parce qu'il s'agit bien de quelque chose d'autre qu'on
appelle sionisme ; une idéologie qui contredit, à mes yeux, le judaïsme. Il
s'agit bien d'un nouvel ordre mondial qui s'appuie sur la loi du plus fort,
le recul du droit, la loi de la jungle. Il s'agit bien aussi d'un système qui
s'appuie sur cette logique du « marché monde », du libéralisme sauvage.
Résister et défendre la dignité du Palestinien, c'est résister à la
déshumanisation, à la déspiritualisation. C'est résister à la loi du plus
fort. C'est résister au libéralisme sauvage. Palestine
: l'avenir de tous les peuples Il ne
s'agit pas simplement des arabes et des musulmans. C'est l'avenir de tous les
peuples qui se joue en Palestine. Ce n'est pas simplement parce qu'ils sont
mes frères dans la foi ou mes frères en géographie. Si mon propre frère a
fauté, je le punirai, disait l'Emir Abd El Kader. Malgré
ces dates de rupture, de traumatisme, il y a aussi des dates d'espérance.
Pendant la guerre d'Algérie, nous avons vu Monseigneur Duval, Louis Massignon
et tant de prêtres dont certains sont encore ici. Ils ont défendu la cause
juste. Et si leurs propres frères fautaient, ils s'opposaient. Je suis
heureux quand je vois ou quand j'entends ou que je lis un de mes frères juifs
qui s'oppose à l'injustice. Je
m'oppose aussi, bien entendu, aux injustices des régimes arabes archaïques ou
à l'absence d'état de droit ou de démocratie. Ou chaque fois qu'un de mes
frères chrétiens se sent atteint dans sa dignité ou dans sa liberté de
conscience. Notre solidarité ne doit jamais être sélective. Autrement notre
crédibilité serait atteinte. Si nous voulons être fidèles à la parole de vie,
à la source de vie, à la parole de vie qui anime notre foi, nous devons tout
faire pour que notre solidarité ne soit jamais sélective. Signes
d'espérance L'Emir
Abd El Kader n'a jamais confondu l'armée coloniale et le peuple français. Il
a sauvé de la mort des milliers de chrétiens à Damas. Monseigneur Duval a
protégé et défendu les Algériens. Ceci n'est pas seulement le fait des
croyants : Germaine Tillon, par exemple. Combien de fois des êtres justes et
dignes ont défendu l'autre, par-delà la différence. Ce qui se passe
aujourd'hui n'est pas seulement une guerre comme une autre, une violence
comme une autre. Il s'agit de l'avenir du monde. Il y
a eu le Concile Vatican II : une autre date des années 60. Il y a eu ensuite
ces rencontres d'Assise avec Jean-Paul II. Il y a toute l'action des prêtres
dans les banlieues, dans les cités, ces Français européens qui s'opposent à
l'injustice et à la misère de celui qui est là, perdu et soumis aux
discriminations. Il y a ce partage de vie extraordinaire depuis des siècles,
malgré des hauts et des bas, comme disait le Père Elias. Il a fallu que
l'étranger arrogant et colonisateur arrive à Bagdad ou ailleurs pour faire naître
le désespoir chez les chrétiens d'Irak ou d'ailleurs. Mais tout cela est
nouveau. On a la mémoire courte. Je le disais au Saint Père, lorsque je l'ai
vu le 11 novembre 2006, après son discours de Ratisbonne : « Saint-Père, ne
confondez pas l'état des quinze dernières années avec quinze siècles
d'histoire. Nous souffrons de l'amalgame. Pourquoi dit-on que le terrorisme
est dans le Coran et ne dit-on pas que l'Inquisition est dans l'Evangile? On
ne dit pas que le Goulag est dans d'autres valeurs et d'autres pensées
occidentales. On ne dit pas que le sionisme est dans la Torah ». Avec
ce penseur juif, Jacques Derrida, le pape de la philosophie, je disais:
«L'islamisme n'est pas l'islam; il ne faut jamais l'oublier». Pourquoi
veut-on faire porter la responsabilité au Coran de ce qui relève du
politique? Je ne fais pas porter la responsabilité à l'Evangile de la
colonisation française ou des actes de l'administration américaine. Je parle
ici à des gens convaincus, pour la plupart, mais il faut continuer à parler
dans le désert et à s'imaginer que chacun de vous est un lion, symbole de St
Marc encore une fois. Nous devons rugir contre tous ceux qui veulent nous
isoler, nous séparer, nous diviser. J'ai dit au Saint-Père, « Ne tombez pas
dans le piège de vouloir avoir peur de l'épouvantail, ce nouvel ennemi, pour
justement faire diversion aux vrais problèmes politiques. On vous dit que les
musulmans sont extrémistes, islamistes. S'ils sont intolérants, c'est plutôt
dans leur culture, dites-vous. Ceci est un racisme inadmissible. Nous savons
qu'il y a des lectures contradictoires, plurielles. Mais il s'agit de savoir,
à travers l'histoire, ce qui a dominé. Même Bernard Lewis et un certain
nombre d'historiens juifs occidentaux ou athées reconnaissent qu'il n'y a pas
eu de répression systématique de la part des musulmans contre l'autre, au
travers de l'histoire. » Le
communiqué des évêques de France ! Les
problèmes, aujourd'hui, sont des problèmes politiques. On pousse les gens au
désespoir. Ce que disait un Cardinal, au Vatican, en pleine guerre de Gaza:
«Gaza est un camp de concentration». Cela fait chaud au coeur d'entendre une
vérité ainsi. Mais lorsque je vois le communiqué des évêques de France:
«terrorisme» du côté de Gaza, «légitime défense» du côté d'Israël! Comment
réagir? Rire, pleure? Que fallait-il dire? Réagissons doucement, sans colère.
La colère est mauvaise conseillère. Mais la peur, aussi, est mauvaise
conseillère. Pourquoi fait-on peur aux gens? Dans le meilleur des cas on
oppose dos à dos le colonisé et le colonisateur, le bourreau et la victime.
On pousse les gens à se conduire comme des bêtes sauvages et on dit:
«pourquoi se comportent-ils ainsi?» On dit: «qu'ils arrêtent les rockets!»
alors que c'est le refus de l'oppression sauvage. Peu importe que le Hamas
soit lié à une idéologie, religieuse ou non. Ce sont des résistants. C'est
vrai que parfois ils n'ont pas toute la maturité politique; mais c'est un
fait qu'il résiste; on ne lui donne pas d'autre choix. C'est vrai que les
régimes arabes ont peur que cette résistance aboutisse. Elle posera problème
à la démocratie. Nos
points d'aveuglement Les
arabes, c'est vrai, doivent comprendre qu'il y a dans l'histoire du peuple
juif des souffrances qui créent des points d'aveuglement. C'est vrai que
nous, en nous présentant en position de victimisation, on peut avoir aussi
des points d'aveuglement. C'est dans la rencontre avec l'autre, dans le
dialogue, que nous pourrions dépasser nos points d'aveuglement respectifs.
Mais il s'agit d'un problème politique. Il s'agit d'un problème de justice.
Je disais au Saint-Père, «Il n'y a pas de paix sans justice»: l'OTAN se
réunit aujourd'hui, demain à Strasbourg pour dire le nouveau danger. Ce sont
encore les musulmans qu'on désigne comme le nouvel ennemi. Ils oublient
(comme Jacques Derrida le disait lui-même, ainsi que Paul Ricoeur ou
d'autres, théologiens protestants, catholiques, orthodoxes) que jamais le
monde n'a été autant inégalitaire. La situation est pire que lors des fléaux
de l'Egypte ancienne. La sortie d'Egypte n'est pas encore finie. Notre
travail consiste à les empêcher de nous isoler ou de nous diviser. Le chemin
qui mène à la démocratie, au sud de la Méditerranée par exemple, est encore
long, nous le savons. Mais il y a des possibilités de paroles, des brèches
dans lesquelles s'engouffrer. Je crois encore qu'il est possible - rien ne
l'empêche, tout l'exige dans notre culture - qu'il y ait un état de droit. Le
problème, c'est l'état de droit. Il faut un état de droit qui permette que la
pluralité puisse se conjuguer avec l'unité du peuple. Je crois que le chemin
est possible. Donc,
après Gaza, on a l'impression que nous sommes en recul. C'était un test.
Trente mille jeunes de France en train de manifester dans les rues! Ils
espèrent, ils attendent. Où est le blanc aux yeux bleus, chrétien, athée,
laïc ? Peu importe ! Ils s'insurgent contre les injustices. Ils existent mais
on ne les entend pas dans les médias. Nous sommes aujourd'hui dans une
situation où l'on nuit à ce que l'on croit défendre. L'Occident nuit à ses
propres valeurs. Il contredit et bafoue ses propres principes : Droits de
l'homme, justice, liberté égalité, fraternité. Mais il ne faut pas
désespérer: les signes prometteurs sont nombreux (marches, manifestations
contre la guerre d'Irak, manifestations contre les tueries de Gaza). Au sein
de la société civile on décèle des forces vives. Les communiqués, les nuances
qui, au sein de la classe politique, cassent le monolithique. Les
sociétés musulmanes ne sont pas monolithiques Quand
nos sociétés donnent des signes d'islamisme, ne vous y trompez pas: nos
sociétés ne sont pas monolithiques. Nous
venons de vivre un débat extraordinaire en Algérie, lorsqu'il y a eu toutes
ces questions d'évangélisation agressive : de nombreux journaux se sont
exprimés pour la liberté de conscience. Lorsque nous étions au Forum islamo
catholique mondial avec le Saint-Père en novembre dernier, sans hésitation
nous avons dit « oui » à la liberté de conscience. Je la défends au nom de
l'islam. Beaucoup croyaient qu'on allait hésiter et couper les cheveux en
quatre. Je n'ai pas le droit d'interférer sur la conscience de quelqu'un qui
cherche à se convertir. Je le dis à haute voix et je le dis en tant que
croyant. Non que je sois plus modéré qu'un autre mais c'est comme cela que
réagit la tradition musulmane authentique. Le
premier document, le premier texte de constitution politique qu'a fait le
Prophète, «la première Constitution de Médine», ne contient pas le mot
«religion» ni le mot «foi». Il s'agissait des droits et des devoirs de chacun
pour qu'on puisse vivre ensemble dans la cité. Ce
qui fait sens Vous
ne comprenez pas qu'on n'a pas la même histoire que l'Occident: l'islam est
séculier dès le début mais il cherche l'harmonie entre les deux dimensions,
entre le coeur et la raison, entre le temporel et le spirituel. Il faut
relire l'histoire et voir comment nous avons vécu. On nous dit aussi: «C'est
l'individu, l'autonomie de l'individu. Vous êtes communautaristes». Je
réponds: «Que faites-vous du 'vivre ensemble'. Et le bien commun! Le partage!
L'autonomie de l'individu en soi, tout seul! On sait bien, disent les
philosophes, que les libertés ne sont pas la liberté». On me dit aussi
(troisième donnée de la modernité; après la séparation outrancière et la
place de l'individu): «La raison est la seule référence valable pour gérer la
vie.» Et l'au-delà de la raison et de l'au-delà du monde ? Et ce qui fait
sens : l'amour, la miséricorde, l'invisible? Et d'autres rapports au sens de
la vie et de la mort autrement que par la raison? Reste que ,pour nous,
celle-ci est centrale. Combien de fois le mot « raison » n'est-il pas répété
dans le Coran ? Pourquoi
veut-on m'imposer cette vision du monde qui aujourd'hui s'avère une impasse?
Et pas seulement à cause de la crise économique. Ce nouvel ordre est injuste.
Vous nous parlez de démocratie? C'est vrai, les promesses de l'indépendance
ne se sont pas toutes réalisées. On a libéré les territoires ; on n'a pas
encore libéré les individus. Mustapha
Cherif |