Article paru le 19
Décembre 2009 – Page 14
J’aime Gaza. Le
témoignage exemplaire d’un journaliste israélien qui affronte les tabous.
Par FRANÇOISE GERMAIN-ROBIN
GAZA. ARTICLES POUR HAARETZ, 2006-2009,
de Gideon Levy, traduit de l’hébreu par Catherine Neuve-Église. Éditions La
Fabrique, 240 pages, 14 euros.
C’est une chance que l’on doit à Éric Hazan, le
directeur des éditions La Fabrique, que de pouvoir lire les articles publiés
par Gideon Levy dans Haaretz, ce journal israélien que lui-même qualifie de
« rayons de soleil dans les ténèbres qui ont englouti Israël ».
Au milieu de ces ténèbres qu’ils nomment
(colonialisme, chauvinisme, racisme, militarisme et injustice), le
journaliste et l’éditeur font preuve d’un courage qui honore leurs
professions. Éric Hazan, en se situant résolument dans la lignée de ces
éditeurs qui n’hésitent pas à affronter les tabous, comme le firent les
Éditions de Minuit en publiant le livre d’Henri Alleg sur la torture en
pleine guerre d’Algérie. Gideon Levy en ayant le courage d’être un vrai
témoin de son temps, dénonçant, par la simple description franche et honnête
qu’il en fait, les exactions de son gouvernement dans l’occupation de la
Palestine et la répression des Palestiniens.
À le lire on se prend à avoir honte de la
pusillanimité de la plupart des journalistes français qui n’osent pas, de
peur d’être accusés d’antisémitisme, dire le quart de la moitié du tiers de
tout ce qu’il dénonce. Il le constate avec une certaine amertume et beaucoup
de regret dans un « avant-propos au lecteur français » intitulé :
« J’aime Gaza », ce qui, pour un Israélien, est déjà peu banal. De
Gaza la déshéritée, la surpeuplée, la martyrisée, la résistante aussi, il
parle avec émotion, lui qui s’est vu interdire depuis trois ans l’entrée dans
ce territoire « fermé de l’extérieur », soumis au blocus, et dont
il a observé « de loin et le cœur lourd » le saccage il y a un an.
Il décrit ainsi la guerre contre Gaza : « Une offensive sauvage
menée contre la population la plus impuissante du monde » et déplore que
« non seulement Israël mais le reste du monde ont semblé frappés de
cécité ». En Israël même, « couvrir l’occupation » relève de
l’apostolat auprès de lecteurs dont il est conscient qu’ils ne veulent
« ni savoir, ni voir, ni comprendre » ce qu’elle signifie
réellement. « Je fais tout, dit-il, pour que les Israéliens sachent au
moins ce que l’on fait en leur nom. » Mais la tâche est rude. Tout le
monde en Israël ne lit pas Haaretz, loin de là, et parmi les lecteurs,
nombreux sont ceux qui l’injurient et l’accusent de « traîtrise ».
Pourtant ce qu’il dit est salutaire et constitue un témoignage précieux pour
ceux qui vivent ce conflit et pour ceux qui, un jour, en écriront l’histoire.
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