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Entre Israël et le Hamas, un calme précaire Jérusalem Correspondant Un an après le début de l'offensive militaire israélienne
contre le bastion du Hamas, le calme trompeur qui règne à la
"frontière" entre la bande de Gaza et Israël suscite une
interrogation récurrente : à quand la prochaine confrontation ? Les
trois semaines de l'opération "Plomb durci" (27 décembre 2008-18
janvier 2009) ont provoqué une catastrophe humanitaire pour le 1,4 million de
Gazaouis enfermés par le blocus israélien, porté un coup à la force militaire
du Hamas, terni l'image internationale de l'Etat juif, sans affaiblir la
détermination des deux parties d'en découdre à nouveau. "Cet hiver, pas un seul soldat ou civil israélien n'a été
tué par des terroristes, un phénomène sans précédent depuis des
décennies", s'est félicité le général Amos Yadlin, chef du renseignement
militaire israélien. Ce long répit a profité aux localités israéliennes de
l'ouest du Néguev situées en lisière de la bande de Gaza : elles jouissent
d'une embellie économique attestée par l'envolée des prix de l'immobilier. Quelque
280 roquettes et obus de mortier "seulement" ont été tirés de Gaza
en 2009, contre 1 750 l'année précédente. Ces tirs n'ont pas eu pour effet de
rompre le cessez-le-feu de fait qui s'est instauré entre Israël et le Hamas,
du moins si l'on exclut les bombardements de l'aviation israélienne contre
l'"industrie des tunnels" creusés sous la frontière avec l'Egypte.
Ceux-ci permettent à la population gazaouie de survivre, et au Hamas de se
réarmer. Les
militaires israéliens estiment que les tirs sporadiques de roquettes
n'émanent pas du Hamas, mais de mouvements comme le Djihad islamique et le
Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), voire de groupuscules
radicaux d'obédience salafiste. Cette quasi-trêve permet au Hamas de
reconstituer son potentiel militaire, et de laisser souffler une population
durement éprouvée. Mais elle constitue un terreau politique pour la
surenchère extrémiste : l'idée selon laquelle, en abandonnant provisoirement
la lutte armée, le Hamas "collabore" avec l'"ennemi
sioniste", fait son chemin dans les esprits. Le
Hamas n'hésite pas à déclencher une féroce répression lorsque ces
groupuscules remettent en cause son autorité, mais, d'un autre côté, il les
ménage en leur laissant un espace de liberté. D'autant
qu'une menace nouvelle se profile à l'horizon. Israël poursuit une stratégie
d'isolement croissant de la bande de Gaza, tant sur le plan politique
qu'économique. Le nombre des malades et des étudiants qui peuvent sortir est
réduit à la portion congrue, et, depuis l'opération "Plomb durci",
les hauts diplomates étrangers se voient refuser l'entrée dans le territoire
palestinien : les ministres des affaires étrangères canadien, français et
turc en ont fait l'expérience. Israël
autorise l'aide humanitaire, mais interdit l'importation de matériaux de
construction : cet étranglement rend encore plus vital pour le Hamas le lien
stratégique avec l'Egypte. Or Le Caire change d'attitude. Avec l'aide de
techniciens américains, les autorités égyptiennes ont entrepris la
construction d'une barrière d'acier souterraine, censée asphyxier
l'"économie des tunnels". Le
Hamas a protesté contre une telle décision, peu compatible avec la solidarité
arabe officiellement affichée face à l'Etat juif : plusieurs centaines de
Palestiniens ont manifesté, et des militants du Hamas ont ouvert le feu sur
des gardes-frontières égyptiens. L'Egypte
affirme qu'elle se doit de faire face aux "menaces pour sa sécurité
nationale", une façon d'indiquer que les liens de plus en plus
étroits entre le Hamas et les Frères musulmans égyptiens (dont le Hamas est,
historiquement, un avatar) représentent une menace de contagion islamique
dangereuse pour le régime du président Hosni Moubarak. Celui-ci doit
cependant agir avec mesure : une confrontation ouverte renforcerait
l'impression que Le Caire se fait l'allié d'Israël contre le Hamas. Le
14 décembre, le Mouvement de la résistance islamique a célébré son
vingt-deuxième anniversaire par une mobilisation impressionnante de quelque
100 000 personnes dans les rues de Gaza City. Si
Khaled Meschaal, son chef politique, est reçu avec égards par le président
iranien, l'aide militaire et financière de l'Iran et de la Syrie dont
bénéficie le Hamas pourrait se tarir si la frontière avec l'Egypte devenait
infranchissable. Les
militaires israéliens affirment que le mouvement palestinien a reconstitué
son potentiel militaire, qui inclurait désormais des roquettes capables
d'atteindre Tel-Aviv. Tout se passe comme si le gouvernement du premier
ministre Benyamin Nétanyahou voulait convaincre la population israélienne de
l'inéluctabilité d'une nouvelle guerre avec le Hamas. Tzipi
Livni, chef de file de l'opposition, soulignait récemment que le conflit de
l'hiver dernier, qui a provoqué la mort de 1 400 Palestiniens et de 13
Israéliens, a permis à Israël de restaurer sa capacité de dissuasion, mise à
mal lors de la guerre du Liban de l'été 2006. M.
Nétanyahou paraît déterminé à ne pas lever la punition collective infligée à
la population de Gaza, avec le calcul, sans doute vain, de provoquer un
sursaut hostile à la direction du mouvement islamiste. Officiellement,
Israël se refuse à discuter avec une "organisation terroriste".
Cette profession de foi a perdu toute crédibilité avec les négociations en
cours pour la libération du soldat Gilat Shalit. Rien ne s'opposerait donc à
l'ouverture de pourparlers politiques, et à la levée du blocus. Rien,
sinon la volonté d'Israël d'anéantir la menace que constitue pour lui le
Hamas. Un accord pour la libération du jeune militaire se traduirait par
celle de centaines de prisonniers palestiniens, et le renforcement politique
du Hamas. Un bon prétexte pour "finir le job" de l'opération
"Plomb durci". Laurent Zecchini La
guerre en chiffres Bilan humain 1 393
Palestiniens tués, dont 347 enfants. Les pertes, côté
israélien, s'élèvent à treize
tués. Bilan matériel De 700 à 900 millions de
dollars de dégâts. 17 % des terres cultivées de Gaza rasées. 20 des 29 usines
de production de béton détruites. Bilan social 80 % de
la population gazaouie vit au-dessous du seuil de pauvreté. Une situation
humanitaire tragique Article paru dans l'édition du 27 décembre 2009 Jérusalem
Correspondance Un an après le début
de l'opération "Plomb durci", la situation humanitaire dans la
bande de Gaza n'a pas changé, la spirale du désespoir en plus. Le blocus
israélo-égyptien en vigueur depuis la prise de pouvoir du Hamas, en juin
2007, n'a quasiment pas permis de commencer la reconstruction de ce
territoire martyr, comme l'explique le rapport "Failing Gaza",
rédigé par une coalition d'ONG internationales présentes sur le terrain. Alors qu'à la
conférence de Charm El-Cheikh, en mars 2009, 4 millions de dollars (2,8
millions d'euros) d'aide internationale avaient été promis aux Gazaouis, en
l'espace de onze mois, seulement quarante et une cargaisons de matériaux de
construction leur sont parvenues. Conséquence : sur les 3 500 habitations
démolies et les 56 000 endommagées par les bombardements de l'armée
israélienne, une infime minorité a pu être rebâtie ou réparée. Des milliers de
familles sont toujours contraintes de vivre sous la tente, de louer un
appartement ou de s'entasser chez un parent ou un voisin hospitalier. Celles
dont le domicile est toujours habitable voient venir l'hiver avec
appréhension, car le veto sur l'importation du verre empêche le remplacement
des fenêtres soufflées par les déflagrations. Les 700 entreprises,
ateliers et magasins, complètement ou partiellement détruits durant les
vingt-trois jours de guerre, connaissent le même sort, ainsi que les 18
établissements scolaires réduits en poussière. Même Robert Serry,
le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon,
n'a pas réussi à desserrer le blocus. Son plan, qui prévoyait l'entrée de
matériaux de construction pour une série de projets spécifiques dans le
domaine de la santé et de l'éducation, s'est noyé dans les méandres de la
bureaucratie militaire israélienne, experte en procrastination et
louvoiements. A ce sujet, les
responsables de l'UNRWA, l'agence des Nations unies en charge des réfugiés,
racontent volontiers comment ils durent, au printemps, démonter des milliers
de kits de cuisine sur le point d'être distribués dans Gaza, pour en ôter les
couteaux en inox, jugés "dangereux " par le bureau de
liaison israélien... Grâce au
volontarisme des équipes de l'UNRWA et au renfort des urgentistes
internationaux, arrivés en masse après le cessez-le-feu, quelques travaux ont
pu être menés. Sur les 30 km de canalisations détruites, 21 ont été réparés.
La plupart des lignes électriques coupées ont été remises en service. Le
ramassage des 600 000 tonnes de gravats générés par les bombardements a
commencé. Tunnels de contrebande L'impossibilité
d'importer des pièces de rechange et les restrictions sur les livraisons de
fuel à la centrale de Gaza entraînent des coupures de courant de quatre à
huit heures par jour dans 90 % des foyers. D'après le bureau de coordination
humanitaire des Nations unies (OCHA), 10 000 habitants sont encore privés
d'eau courante et 40 000 d'électricité. Le ministère des
affaires étrangères israélien réfute toute idée de "siège". Il
évoque le risque de détournement par le Hamas pour justifier les mesures de
restrictions. Il affirme aussi que "tous les produits alimentaires
rentrent à Gaza, à l'exception des articles de luxe". Une appellation très
large, puisque des produits aussi ordinaires que le thé et les pâtes furent
interdits pendant plusieurs mois, et certains, comme le miel et les fruits en
boîte, le sont toujours. Si les épiceries gazaouies sont correctement
approvisionnées, c'est grâce aux tunnels de contrebande creusés sous la
frontière avec l'Egypte. Autre produit banni
de Gaza : les diplomates internationaux de haut rang. En douze mois, le
Suédois Carl Bildt est le seul ministre des affaires étrangères de l'Union
européenne à y avoir pénétré. Au mois d'octobre, son homologue français,
Bernard Kouchner, s'était heurté au veto israélien, tandis que quelques jours
plus tard, camouflet terrible, une délégation du conseil général de l'Essonne
était autorisée à y entrer. En juin, l'ancien
président américain Jimmy Carter avait pu fouler les champs de ruines de la
langue de sable palestinienne. "Les citoyens de Gaza sont traités
davantage comme des animaux que comme des êtres humains, avait-il déclaré
à l'issue de sa visite. Il n'est jamais arrivé dans l'Histoire qu'une
population martyrisée à coup de bombes et de missiles soit privée des moyens
de se soigner." Benjamin Barthe |