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http://medias.lemonde.fr/mmpub/img/lgo/lemondefr_pet.gif  Articles parus dans l'édition du 27 décembre 2009

Entre Israël et le Hamas, un calme précaire

Jérusalem Correspondant

Un an après le début de l'offensive militaire israélienne contre le bastion du Hamas, le calme trompeur qui règne à la "frontière" entre la bande de Gaza et Israël suscite une interrogation récurrente : à quand la prochaine confrontation ?

Les trois semaines de l'opération "Plomb durci" (27 décembre 2008-18 janvier 2009) ont provoqué une catastrophe humanitaire pour le 1,4 million de Gazaouis enfermés par le blocus israélien, porté un coup à la force militaire du Hamas, terni l'image internationale de l'Etat juif, sans affaiblir la détermination des deux parties d'en découdre à nouveau.

"Cet hiver, pas un seul soldat ou civil israélien n'a été tué par des terroristes, un phénomène sans précédent depuis des décennies", s'est félicité le général Amos Yadlin, chef du renseignement militaire israélien. Ce long répit a profité aux localités israéliennes de l'ouest du Néguev situées en lisière de la bande de Gaza : elles jouissent d'une embellie économique attestée par l'envolée des prix de l'immobilier.

Quelque 280 roquettes et obus de mortier "seulement" ont été tirés de Gaza en 2009, contre 1 750 l'année précédente. Ces tirs n'ont pas eu pour effet de rompre le cessez-le-feu de fait qui s'est instauré entre Israël et le Hamas, du moins si l'on exclut les bombardements de l'aviation israélienne contre l'"industrie des tunnels" creusés sous la frontière avec l'Egypte. Ceux-ci permettent à la population gazaouie de survivre, et au Hamas de se réarmer.

Les militaires israéliens estiment que les tirs sporadiques de roquettes n'émanent pas du Hamas, mais de mouvements comme le Djihad islamique et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), voire de groupuscules radicaux d'obédience salafiste. Cette quasi-trêve permet au Hamas de reconstituer son potentiel militaire, et de laisser souffler une population durement éprouvée. Mais elle constitue un terreau politique pour la surenchère extrémiste : l'idée selon laquelle, en abandonnant provisoirement la lutte armée, le Hamas "collabore" avec l'"ennemi sioniste", fait son chemin dans les esprits.

Le Hamas n'hésite pas à déclencher une féroce répression lorsque ces groupuscules remettent en cause son autorité, mais, d'un autre côté, il les ménage en leur laissant un espace de liberté.

D'autant qu'une menace nouvelle se profile à l'horizon. Israël poursuit une stratégie d'isolement croissant de la bande de Gaza, tant sur le plan politique qu'économique. Le nombre des malades et des étudiants qui peuvent sortir est réduit à la portion congrue, et, depuis l'opération "Plomb durci", les hauts diplomates étrangers se voient refuser l'entrée dans le territoire palestinien : les ministres des affaires étrangères canadien, français et turc en ont fait l'expérience.

Israël autorise l'aide humanitaire, mais interdit l'importation de matériaux de construction : cet étranglement rend encore plus vital pour le Hamas le lien stratégique avec l'Egypte. Or Le Caire change d'attitude. Avec l'aide de techniciens américains, les autorités égyptiennes ont entrepris la construction d'une barrière d'acier souterraine, censée asphyxier l'"économie des tunnels".

Le Hamas a protesté contre une telle décision, peu compatible avec la solidarité arabe officiellement affichée face à l'Etat juif : plusieurs centaines de Palestiniens ont manifesté, et des militants du Hamas ont ouvert le feu sur des gardes-frontières égyptiens.

L'Egypte affirme qu'elle se doit de faire face aux "menaces pour sa sécurité nationale", une façon d'indiquer que les liens de plus en plus étroits entre le Hamas et les Frères musulmans égyptiens (dont le Hamas est, historiquement, un avatar) représentent une menace de contagion islamique dangereuse pour le régime du président Hosni Moubarak. Celui-ci doit cependant agir avec mesure : une confrontation ouverte renforcerait l'impression que Le Caire se fait l'allié d'Israël contre le Hamas.

Le 14 décembre, le Mouvement de la résistance islamique a célébré son vingt-deuxième anniversaire par une mobilisation impressionnante de quelque 100 000 personnes dans les rues de Gaza City.

Si Khaled Meschaal, son chef politique, est reçu avec égards par le président iranien, l'aide militaire et financière de l'Iran et de la Syrie dont bénéficie le Hamas pourrait se tarir si la frontière avec l'Egypte devenait infranchissable.

Les militaires israéliens affirment que le mouvement palestinien a reconstitué son potentiel militaire, qui inclurait désormais des roquettes capables d'atteindre Tel-Aviv. Tout se passe comme si le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou voulait convaincre la population israélienne de l'inéluctabilité d'une nouvelle guerre avec le Hamas.

Tzipi Livni, chef de file de l'opposition, soulignait récemment que le conflit de l'hiver dernier, qui a provoqué la mort de 1 400 Palestiniens et de 13 Israéliens, a permis à Israël de restaurer sa capacité de dissuasion, mise à mal lors de la guerre du Liban de l'été 2006.

M. Nétanyahou paraît déterminé à ne pas lever la punition collective infligée à la population de Gaza, avec le calcul, sans doute vain, de provoquer un sursaut hostile à la direction du mouvement islamiste.

Officiellement, Israël se refuse à discuter avec une "organisation terroriste". Cette profession de foi a perdu toute crédibilité avec les négociations en cours pour la libération du soldat Gilat Shalit. Rien ne s'opposerait donc à l'ouverture de pourparlers politiques, et à la levée du blocus.

Rien, sinon la volonté d'Israël d'anéantir la menace que constitue pour lui le Hamas. Un accord pour la libération du jeune militaire se traduirait par celle de centaines de prisonniers palestiniens, et le renforcement politique du Hamas. Un bon prétexte pour "finir le job" de l'opération "Plomb durci".

 

Laurent Zecchini

 

La guerre en chiffres

Bilan humain 1 393 Palestiniens tués, dont 347 enfants.

Les pertes, côté israélien,

s'élèvent à treize tués.

Bilan matériel De 700

à 900 millions de dollars de dégâts. 17 % des terres cultivées de Gaza rasées. 20 des 29 usines de production de béton détruites.

Bilan social 80 % de la population gazaouie vit au-dessous du seuil de pauvreté.


Une situation humanitaire tragique

Article paru dans l'édition du 27 décembre 2009

Jérusalem Correspondance

Un an après le début de l'opération "Plomb durci", la situation humanitaire dans la bande de Gaza n'a pas changé, la spirale du désespoir en plus. Le blocus israélo-égyptien en vigueur depuis la prise de pouvoir du Hamas, en juin 2007, n'a quasiment pas permis de commencer la reconstruction de ce territoire martyr, comme l'explique le rapport "Failing Gaza", rédigé par une coalition d'ONG internationales présentes sur le terrain.

Alors qu'à la conférence de Charm El-Cheikh, en mars 2009, 4 millions de dollars (2,8 millions d'euros) d'aide internationale avaient été promis aux Gazaouis, en l'espace de onze mois, seulement quarante et une cargaisons de matériaux de construction leur sont parvenues. Conséquence : sur les 3 500 habitations démolies et les 56 000 endommagées par les bombardements de l'armée israélienne, une infime minorité a pu être rebâtie ou réparée.

Des milliers de familles sont toujours contraintes de vivre sous la tente, de louer un appartement ou de s'entasser chez un parent ou un voisin hospitalier. Celles dont le domicile est toujours habitable voient venir l'hiver avec appréhension, car le veto sur l'importation du verre empêche le remplacement des fenêtres soufflées par les déflagrations.

Les 700 entreprises, ateliers et magasins, complètement ou partiellement détruits durant les vingt-trois jours de guerre, connaissent le même sort, ainsi que les 18 établissements scolaires réduits en poussière.

Même Robert Serry, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, n'a pas réussi à desserrer le blocus. Son plan, qui prévoyait l'entrée de matériaux de construction pour une série de projets spécifiques dans le domaine de la santé et de l'éducation, s'est noyé dans les méandres de la bureaucratie militaire israélienne, experte en procrastination et louvoiements.

A ce sujet, les responsables de l'UNRWA, l'agence des Nations unies en charge des réfugiés, racontent volontiers comment ils durent, au printemps, démonter des milliers de kits de cuisine sur le point d'être distribués dans Gaza, pour en ôter les couteaux en inox, jugés "dangereux " par le bureau de liaison israélien...

Grâce au volontarisme des équipes de l'UNRWA et au renfort des urgentistes internationaux, arrivés en masse après le cessez-le-feu, quelques travaux ont pu être menés. Sur les 30 km de canalisations détruites, 21 ont été réparés. La plupart des lignes électriques coupées ont été remises en service. Le ramassage des 600 000 tonnes de gravats générés par les bombardements a commencé.

Tunnels de contrebande

L'impossibilité d'importer des pièces de rechange et les restrictions sur les livraisons de fuel à la centrale de Gaza entraînent des coupures de courant de quatre à huit heures par jour dans 90 % des foyers. D'après le bureau de coordination humanitaire des Nations unies (OCHA), 10 000 habitants sont encore privés d'eau courante et 40 000 d'électricité.

Le ministère des affaires étrangères israélien réfute toute idée de "siège". Il évoque le risque de détournement par le Hamas pour justifier les mesures de restrictions. Il affirme aussi que "tous les produits alimentaires rentrent à Gaza, à l'exception des articles de luxe".

Une appellation très large, puisque des produits aussi ordinaires que le thé et les pâtes furent interdits pendant plusieurs mois, et certains, comme le miel et les fruits en boîte, le sont toujours. Si les épiceries gazaouies sont correctement approvisionnées, c'est grâce aux tunnels de contrebande creusés sous la frontière avec l'Egypte.

Autre produit banni de Gaza : les diplomates internationaux de haut rang. En douze mois, le Suédois Carl Bildt est le seul ministre des affaires étrangères de l'Union européenne à y avoir pénétré. Au mois d'octobre, son homologue français, Bernard Kouchner, s'était heurté au veto israélien, tandis que quelques jours plus tard, camouflet terrible, une délégation du conseil général de l'Essonne était autorisée à y entrer.

En juin, l'ancien président américain Jimmy Carter avait pu fouler les champs de ruines de la langue de sable palestinienne. "Les citoyens de Gaza sont traités davantage comme des animaux que comme des êtres humains, avait-il déclaré à l'issue de sa visite. Il n'est jamais arrivé dans l'Histoire qu'une population martyrisée à coup de bombes et de missiles soit privée des moyens de se soigner."

Benjamin Barthe

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