Des
« mouvements pacifistes » aux « mouvements anti-occupation »
israéliens
Matériau pour une
réflexion sur les mobilisations contre l’occupation de 1967 à nos jours
Karine Lamarche
Résumé
Dès les années suivant la
conquête des territoires palestiniens par Israël lors de la guerre des Six jours
de 1967, des groupes militants ont commencé à se mobiliser, dans ce pays,
pour mettre en garde contre les dangers de l’occupation sur le long terme et
pour appeler à échanger les territoires nouvellement conquis contre des
frontières sûres. Parmi eux, le plus connu est probablement Shalom
Ah’shav (« La paix maintenant »), fondé en 1978 par des
officiers réservistes pour influencer les négociations de paix entre l’Egypte
et Israël. Souvent présenté comme le représentant le plus légitime du
« camp de la paix » israélien, ce mouvement est pourtant loin de
recueillir l’adhésion de tous ceux qui se mobilisent contre l’occupation,
notamment depuis le déclenchement de la seconde Intifada. Cette période a en
effet constitué, comme cet article le montrera, un moment de rupture dans
l’histoire des mouvements pacifistes israéliens, amenant des formes de
protestation plus subversives à se développer au sein de nouveaux groupes
militants, tandis que le mouvement de masse qui avait existé jusqu’alors se
disloquait. Elle a par ailleurs contribué à raviver l’opposition
modérés/radicaux, souvent présentée comme principale ligne de fracture d’un
camp de la paix qui serait divisé entre d’un côté des pacifistes patriotes,
inquiets du risque de corruption morale lié à l’occupation et de l’autre des
militants non- voire antisionistes préoccupés principalement par le sort des
Palestiniens. Nous verrons ici que cette dichotomie modérés/radicaux présente
des limites de taille et qu’elle ne peut s’envisager que dans une perspective
structurelle et dynamique. Ainsi, nous montrerons que la radicalisation
prêtée à de nombreux militants et initiatives de la seconde Intifada est
avant tout le fait d’un travail de labellisation mené par les autorités
étatiques et par les médias, ainsi que le produit d’un rapport de force sur
le terrain de plus en plus difficile avec les représentants de l’ordre,
contribuant à rendre les répertoires d’actions d’autant plus transgressifs.
Cet article présentera divers groupes et organisations qui ont contribué à
écrire l’histoire du mouvement pacifiste israélien, de manière non-exhaustive
et suivant un développement chronologique. La première partie sera consacrée
aux années succédant la conquête des territoires palestiniens, caractérisées
par des mobilisations pacifistes à caractère sécuritaire (« le Mouvement
pour la paix et la sécurité », Oz Ve’Shalom, « la Paix
Maintenant », etc.) mais aussi par la première initiative de
protestation israélo-palestinienne conjointe (le « Comité de solidarité
avec l’Université Bir Zeit »). Dans un second temps, nous examinerons la
période des années 80 marquée par la guerre du Liban puis par la première
Intifada, et qui vit l’émergence d’un mouvement pacifiste de masse. Celui-ci
se caractérisa notamment par l’apparition de nombreuses organisations créées
dans le but de défendre les droits de l’homme (HaMoked, les
« Rabbins pour les droits de l’homme », ICAHD, B’Tselem,
etc.), mais aussi de groupes dénonçant, de manière plus ou moins subversive,
l’occupation et ses conséquences sur la société israélienne (Daï
La’Kibush, The 21st Year, les « Femmes en
Noir », etc.). Oslo constitue évidemment un moment charnière pour le
camp de la paix israélien puisque le projet pour lequel celui-ci s’était
mobilisé sembla sur le point d’aboutir pour finalement échouer radicalement.
Suite à l’espoir suscité par les négociations entre le gouvernement israélien
et l’OLP, la dégradation très rapide de la situation sur le terrain
(assassinat d’Yitzhak Rabin, massacre commis par Baruch Goldstein à Hébron,
intensification de la colonisation, bouclages répétés en Cisjordanie, reprise
des attentats-suicides, etc.) provoqua une déception amère des deux côtés.
Lorsque, en juillet 2000, Ehud Barak revint de Camp David en déclarant
qu’Arafat avait rejeté la paix qui lui était proposée puis lorsqu’éclata la
seconde Intifada quelques mois plus tard, le mouvement pacifiste acheva de
s’effondrer. Il fallut attendre quelques mois pour qu’apparaissent de
nouveaux groupes dénonçant la violence de la répression israélienne. Nous
aborderons cette dernière partie à travers la présentation de certains
d’entre eux (Ta’ayush, Machsom Watch, les
« Anarchistes contre le mur », Shovrim Shtika, les
« Combattants pour la paix », Bnei Avraham) qui, au-delà
de leurs différences, ont comme caractéristique de s’être heurtés, ces
dernières années, à l’hostilité croissante d’une majorité de la population
israélienne. Nous montrerons également que la disparition du mouvement de
masse a contribué au développement de répertoires d’actions mettant en avant
la coopération de terrain avec des partenaires palestiniens, et amenant ainsi
plus fréquemment les militants engagés à des confrontations avec les
détenteurs du monopole de la violence légitime.
Fin août 2008, les journaux du monde entier annonçaient la mort d’Abie
Nathan, usant pour le décrire de qualificatifs aussi élogieux que « père
du pacifisme israélien », « militant infatigable du rapprochement
israélo-arabe », « pionnier », « champion » ou
encore « héros de la paix ». L’homme, né en Perse en 1927,
s’était rendu célèbre par sa tentative de visite au président égyptien Nasser
en 1966, par ses rencontres avec Yasser Arafat à une époque où celles-ci
étaient prohibées et surtout par la création d’une radio pirate « La
voix de la paix » qui avait émis depuis les eaux internationales pendant
une vingtaine d’années. Un hommage quasi-unanime lui fut rendu par les
dirigeants israéliens de même que par le représentant de l’Autorité
palestinienne. Mais dans le « camp de la paix », très peu fut dit
ou écrit sur celui que l’on présentait pourtant volontiers comme le père du
pacifisme israélien. Ce décalage entre l’hommage politique rendu à Abie
Nathan et l’apparente indifférence de ceux qui constituent aujourd’hui la
force vive de l’opposition à l’occupation peut s’expliquer assez facilement,
semble-t-il, par l’individualisme de son engagement qui apparut souvent plus
romantique que politique et auquel il mit fin avec Oslo, convaincu que son
rêve de paix avait enfin abouti. Or les mobilisations qui émergèrent à partir
des années 2000 se distinguent des précédentes et témoignent – comme
nous le verrons dans les pages à venir – d’un nouvel âge du militantisme
israélien qui de « pacifiste » est devenu
« anti-occupation ».
Plan
Shalom
Ah’shav et le « Comité de solidarité avec Bir Zeit », deux
approches de l’engagement pour la paix
La
première Intifada et le développement du militantisme anti-occupation
Oslo,
l’amer passage du militantisme au dialogue
La
seconde Intifada, de nouvelles formes d’engagement ?
Conclusion
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