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Idées - Tribune libre - Histoire - Article paru le 4
janvier 2010 tribunes
& idées Les marcheurs inventent une « bande de
Giza » en plein Caire Par
François Nicolas, compositeur, « Musicien avec Gaza » (1) comment s’est déroulée la Marche
internationale pour gaza ? Trois cents personnes venues de France ont participé à la
« marche internationale pour Gaza ». Le gouvernement égyptien ayant
décidé de l’interdire a dissuadé les compagnies d’autobus d’honorer leurs
contrats de location. Ainsi, la délégation française, rassemblée dimanche 27
au soir devant l’ambassade de France, s’est-elle retrouvée dans
l’impossibilité de quitter Le Caire. Après avoir improvisé une occupation de
la chaussée, les marcheurs ont obtenu le droit d’occuper le trottoir longeant
l’ambassade, d’abord pour une nuit, puis finalement pour toute la semaine. Pendant cinq nuits et cinq jours, s’est ainsi mise en
place une « zone libre » en plein Caire (quartier Giza), soustraite
à l’autorité directe tant de l’Égypte que de la France, un rectangle ceinturé
sur trois de ses côtés par un double rang de militaires et policiers
égyptiens, sur son quatrième côté par les murs et grilles de l’ambassade, une
étroite bande de 5 x 100 mètres faisant face au zoo et bordée par une des
principales artères du Caire (une 2 x 3 voies), au total une « bande de
Giza », métonymie (toutes proportions gardées) de la bande de Gaza sur
laquelle il s’agissait, précisément, d’attirer l’attention générale.
L’invention et la tenue persévérante de ce lieu ont permis aux marcheurs
venus de France de relever l’honneur d’une France émancipatrice, bafouée par
cette France corruptrice de Sarkozy qui collabore honteusement à la
construction par l’Égypte d’un mur souterrain au sud de la bande de Gaza. Le
lieu, inventé et tenu au vu et au su de toute la ville, a opéré comme meeting
permanent et public, comme tribune s’adressant à la population égyptienne au
moyen de banderoles, drapeaux incessamment agités et slogans indéfiniment
répétés :
environ un million de Cairotes ont longé en voiture cette « free
zone » durant la semaine et pu ainsi prendre connaissance de nos mots
d’ordre. De nombreuses manifestations de solidarité nous sont
venues de passants égyptiens, à commencer par des chauffeurs de taxi qui ont
lancé la directive de klaxonner (deux longues, deux brèves, une longue) : « Ta-Hyâ Pa-les-tine ! » (2) lorsqu’ils
longeaient notre campement, sans compter les signes de soutien que nous
adressaient discrètement les très jeunes soldats du contingent mobilisés pour
nous encercler. Au demeurant, notre soirée du 31 a donné lieu à une scène de
fraternisation avec la troupe égyptienne : notre camp a obtenu, après
manifestation, que les gradés égyptiens remettent à disposition de leurs
soldats, maintenus debout dix heures durant sous le soleil à ne rien faire
d’autre que nous regarder, les bancs installés la veille. Après avoir obtenu
le droit de sortir et revenir (individuellement) de notre no man’s land, nos
journées ont été occupées à des manifestations incessantes de long en large
de notre maigre bande – sortes de marches dans la marche –, à d’innombrables
discussions et échanges, en particulier avec les marcheurs d’autres pays
venus nous rendre visite. Ce lieu, en effet, a très vite servi de point de
ralliement aux mille quatre cents marcheurs (venus de plus de quarante pays)
confrontés à la même impossibilité de quitter Le Caire en car et se retrouvant
éparpillés pendant la semaine en différents hôtels. D’où d’incessantes
visites, prises de parole, réunions de coordination, etc. Si notre objectif
principal était de conserver ce lieu, conquis par hasard, en sorte de tirer
parti au maximum de l’effet de tribune que nous offraient ainsi
involontairement les autorités égyptiennes, cet endroit a également servi de
base arrière pour de nombreuses interventions extérieures – marche symbolique
dans Le Caire au jour et à l’heure (le 31, à 10 heures) où la Gaza Freedom
March devait démarrer vers Eretz, intervention de marcheurs musulmans dans
une grande mosquée
du Caire, dépose d’un drapeau
palestinien sur une pyramide, manifestation devant l’ambassade d’Israël… Au total, quelque chose s’est passé autour de cette Giza
strip, qui concerne tant la mobilisation internationale pour lever le blocus
de Gaza qu’une mobilisation égyptienne, semble-t-il croissante, pour se lever
contre la construction d’un nouveau mur égyptien. De quelles répercussions
politiques à long terme, ce microséisme (à échelle égyptienne) est-il
éventuellement porteur ? Par-delà notre détermination à continuer (pour
notre part de musicien en organisant, en Europe, des « Galas pour
Gaza » [3]), l’avenir seul dégagera plus clairement ce qui s’est mis en
marche. (1)
Voir l’Humanité du 19-19-09. (2) « Vive la Palestine ! » (3) Voir : www.egalite68.fr/musiciens |