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Article paru dans l’édition du 14 Janvier 2010 Israël veut édifier une
barrière de sécurité sur une partie de sa frontière avec l'Egypte
Par Laurent Zecchini Puisque c'est une gageure que de tenter de contrôler les 260 km de la
frontière avec l'Egypte, et puisque Israël est souvent critiqué par les
organisations de défense des droits de l'homme pour sa politique de hot
return ("retour à chaud") consistant à déporter sans délai les
immigrants illégaux venus du Sinaï, la meilleure façon de protéger l'Etat
juif contre toute immigration intempestive est de construire une barrière de
sécurité sur la frontière, entre les déserts du Néguev et du Sinaï. Telle est la conclusion à
laquelle est arrivé le premier ministre israélien, Benyamin
Nétanyahou, le 10 janvier. "J'ai pris la décision de fermer la
frontière sud d'Israël aux éléments infiltrés et aux terroristes. C'est une
décision stratégique visant à préserver le caractère juif et démocratique
d'Israël", a-t-il expliqué, en assurant que, à terme, "le
pays tout entier doit être entouré d'une barrière". Consultées, les
autorités égyptiennes n'ont fait aucune objection, dès lors qu'Israël
financera intégralement les travaux. Ceux-ci seront onéreux -
jusqu'à 1,5 milliard de dollars (1 milliard d'euros) -, et c'est l'une des
raisons qui font douter de la réalisation d'un tel projet. Celui-ci, qui
consiste à dresser une barrière de sécurité grillagée munie de radars pour
détecter les intrus, a suscité de vives critiques des associations des droits
de l'homme et des organisations qui s'occupent des réfugiés. A Tel-Aviv, Yael Dayan,
présidente du conseil municipal et pacifiste réputée, ne voit aucune
justification à une telle décision : "C'est un fait qu'il y a un
échec pour arrêter ces entrées illégales, mais cela ne peut pas être une
décision unilatérale. Beaucoup dépend des Egyptiens, qui ne font rien ; au
contraire, ils encouragent ces étrangers à aller en Israël, pour s'en
débarrasser." Le phénomène est accentué par les tribus bédouines
qui, de chaque côté de la frontière, vivent de la contrebande, que celle-ci
soit humaine ou liée à la drogue et aux armes. La fille de feu le général Moshé Dayan, le
héros de la guerre des Six-Jours, s'inquiète des conséquences humanitaires de
ce projet : "Une fois la barrière construite, que va-t-on faire ?
Ouvrir le feu sur ces civils, qui sont d'abord des réfugiés économiques
?" Les diplomates israéliens expliquent que les immigrants illégaux,
en majorité soudanais et érythréens, résident parfois plusieurs années en
Egypte avant de se décider à passer en Israël. "Le pays enfermé" "La plupart d'entre
eux recherchent une meilleure qualité de vie, explique un haut
fonctionnaire, et une petite minorité est constituée de réfugiés
politiques. L'Europe est également confrontée à ce problème, mais Israël est
le seul pays où il n'y a aucun obstacle pour franchir la frontière : il
suffit de marcher dans le désert." Selon l'armée israélienne, 5 169
immigrants illégaux ont franchi la frontière (qui n'est pas matérialisée)
entre l'Egypte et Israël, en 2007. Ils étaient 7 554 en 2008, mais leur
nombre a été ramené à 3 190 en 2009, à la suite d'une politique de refoulement
et de déportation. Les autorités israéliennes estiment que près de 300 000
travailleurs illégaux résident dans le pays, et elles craignent d'assister à
terme à un déséquilibre démographique au détriment des juifs. Le ministre israélien de
l'intérieur et président du parti Shass (droite religieuse), Eli Yischai,
avait provoqué une vive polémique, en novembre 2009, en affirmant que des
milliers de travailleurs étrangers porteurs de maladies dont le sida,
attendaient d'entrer en Israël. Le propos avait été critiqué pour sa
xénophobie, mais il confortait les sentiments d'une opinion hostile aux
travailleurs immigrés, dont l'économie israélienne a besoin. Yael Dayan explique qu'une
autre politique est possible vis-à-vis des immigrés. A Tel-Aviv, la
municipalité apporte une aide à 8 000 réfugiés et à environ 30 000 immigrants
économiques, souvent originaires de Thaïlande et des Philippines. Parler de
300 000 illégaux vivant en Israël n'est pas sérieux, ajoute-t-elle, parce que
dans ce chiffre le gouvernement compte les Palestiniens. Elle conteste également
l'affirmation des autorités selon laquelle des "terroristes"
venus de Gaza passent en Egypte via les tunnels creusés sous la frontière,
pour ensuite entrer en Israël par le Sinaï : "Il n'y a aucune preuve
d'un tel phénomène." Dans le quotidien Yedioth
Aharonoth, l'éditorialiste Eitan Haber note
qu'Israël dispose d'une barrière de sécurité sur le Golan pour l'isoler de la
Syrie, d'une autre le long de la frontière libanaise, d'une autre encore le long
de la frontière jordanienne, enfin que la bande de Gaza est totalement
isolée. Avec ce projet à la frontière sud, "le pays tout entier sera
enfermé". "Nous voulions être Athènes, conclut-il, nous
devenons une Sparte moderne." |