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logohuma-small.gif                        Article paru le 14 Janvier 2010 – Page 18

 

Akram Musallam. Un tatouage sur l’épaule pour dire un pays

Par Muriel Steinmetz

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Dans « L’histoire du scorpionqui ruisselait de sueur », le romancier palestinien Akram Musallam traite le malheur de son pays sous un angle insolite.

L’histoire du scorpionqui ruisselait de sueur, d’Akram Musallam, traduit de l’arabe (Palestine) par Stéphanie Dujols. Éditions Sindbad/Actes Sud, 112 pages, 15 euros.

Avec ce second roman qui fait la preuve d’un talent très mûr, le journaliste et reporter palestinien Akram Musallam a obtenu le prix de la Fondation Qattan. L’histoire du scorpion qui ruisselait de sueur part d’une brève rencontre dans un dancing de la côte israélienne entre un jeune Palestinien et une touriste française, à la toute fin de l’année 1988. L’intrigue amoureuse, brièvement restituée sous forme onirique, n’occupe que trois des 112 pages du livre. Dix-huit ans séparent ce premier chapitre du suivant, intitulé « Milieu de l’année 2006. Écriture du scorpion ». Ce blanc en dit long. Les années passées sous silence sont certes occupées par la vie supposée du narrateur, qui d’adolescent devient adulte. Elles coïncident aussi, objectivement, avec la poursuite enragée de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Celui qui dit « je » dans le texte évoque devant témoin son désir d’écrire un roman à partir de l’image du scorpion tatoué sur l’épaule de la jeune Française. Ce scorpion le hante la nuit. Écrire revient à le déloger, à le forcer à quitter son repaire. Néanmoins, le romancier peine à trouver l’inspiration. Il cherche un lieu où pouvoir tout à loisir composer son récit. Il avise le gardien d’un parking situé tout près de la place aux Lions de Ramallah, non loin du QG de l’Autorité palestinienne, la fameuse Moqqata de Yasser Arafat, installée avec ses services administratifs à la suite des accords d’Oslo, en 1994. C’est là, entre deux voitures, sur ce presque terrain vague, qu’il décide d’installer ce qu’il nomme son « bureau virtuel ». Cette quête d’un territoire pour une langue ravivée constitue sans doute une métaphore du mal-être palestinien.

C’est ainsi qu’Akram Musallam prend de la hauteur pour raconter le quotidien de l’enfermement. Pour ce faire, il use d’un style concret, censé rendre le plus justement compte du prosaïsme de la vie brimée de tous les jours. À côté de cet étrange jeune homme déshérité gravitent ses compatriotes qui, bon an mal an, tentent de vivre non sans d’affreux symptômes. Les enfants ont les yeux mangés par la faim et les adultes sont atteints de maladies de peau.

L’émotion n’est jamais fausse.

On découvre la famille du narrateur, dont les membres, de génération en génération, se grattent furieusement. C’est héréditaire. « Le grattage est le lot de notre famille, écrit Akram Musallam.Une tradition masculine de base, si enracinée dans nos moeurs que personne n’en fait une affaire. » Le père, manœuvre dans le bâtiment, amputé d’une jambe, impose d’ailleurs à son fils unique de lui gratter la plante de son pied qui n’existe plus… La singularité d’Akram Musallam consiste à rejeter toute symbolique au moment même où il semble en passe d’en créer une. De la sorte, il suggère à son lecteur de ne jamais le prendre au pied de la lettre. « Je pourrais politiser le sujet, écrit-il, en disant qu’il a été amputé à cause d’une mine laissée par l’armée de l’occupant, ou parce qu’il a été blessé dans une confrontation avec la même armée lors d’une Intifada. » Or, l’amputation ne serait due qu’à la blessure mal soignée provoquée par un clou. Et l’auteur insiste en précisant que cela s’est passé « un jour ordinaire d’une année ordinaire, sans aucune dimension symbolique ». Et il enfonce le clou en ces termes : « Il ne s’agit pas que la jambe coupée du père devienne “la” métaphore de la terre usurpée. » Ruse suprême, il avoue que la situation elle-même dans laquelle il vit provoque ce type de recours à la symbolique.

Le lecteur assiste à la rencontre du personnage central avec le préposé au gardiennage, un ancien combattant qui fut emprisonné dans les geôles israéliennes durant dix-huit ans. Cet homme donne la réplique au jeune écrivain, le conteste, le pousse dans ses retranchements. D’autres histoires s’enchâssent régulièrement dans cette trame incertaine, comme autant de variations sur le vide. Le narrateur consigne également des détails comme une caméra. Il enregistre et décrit scrupuleusement tout ce qu’il voit sur les affiches délavées, à moitié arrachées de Ramallah : avis, déclarations, visages de martyrs… Il se dit « fatigué de la mort » mais n’en possède pas moins un solide sens de l’humour. On découvre, dans cette intrigue volontiers déconstruite, qui s’éparpille savamment en divers récits lancinants qui mêlent plusieurs registres narratifs habituellement tenus pour incompatibles, une réflexion très fine sur l’écriture en pays occupé. « Les ruses des narrateurs ressemblent à des embuscades. Tu dois recouvrir l’engin explosif et bien le camoufler en attendant la cible mobile, et quand elle arrive vers l’engin, ou quelques instants avant, tu presses le bouton. »

Akram Musallam a trouvé un ton très personnel pour cette œuvre d’imagination échafaudée à partir de la réalité la plus cruelle.

Repères :

 Né à Talfit, près de Naplouse en Cisjordanie, Akram Musallam (trente-six ans) est diplômé en littérature arabe de l’université de Bir Zeit. Journaliste et reporter au quotidien Al Ayyam de Ramallah, il a publié deux romans dont le premier, paru en 2003, s’intitule les Tourments d’Alexandre. Il a en outre participé à l’édition critique du journal de Khalil Al Sakakini. Akram Musallam habite à Ramallah.

 

 

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