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Point de vue Depuis un an, la diplomatie américaine fait du surplace au Proche-Orient par Robert Malley Au Proche-Orient, la présidence
de Barack Obama fut d'emblée marquée par un paradoxe. Autant M. Obama aura
profité du peu d'estime dans lequel le monde arabe tenait son prédécesseur,
autant il aura été la proie des espoirs qui furent placés en lui. Le jeune
président a aisément franchi la barre que George Bush avait située bien bas.
Il a suffi d'évoquer le nom du nouvel hôte de la Maison Blanche ou qu'il prononce
son discours du Caire pour que la région perçoive les Etats-Unis sous un jour
nouveau. Mais le verdict de l'opinion
arabe sur M. Obama ne pouvait longtemps dépendre de la seule comparaison avec
son prédécesseur ; c'est à l'aune des immenses espérances qu'il avait
éveillées et dont il ne pouvait se dérober qu'il allait être jugé. Il aura
ainsi suffi d'une année médiocre et sans relief pour que le climat bascule.
Bénéficiaire de l'immense désillusion engendrée par M. Bush, M. Obama est
désormais victime des illusions démesurées qu'il a lui-même suscitées. Le
désenchantement - voire, dans certains cas, l'hostilité - à son encontre est
à bien des égards injustifié. De par son parcours, sa
conception du monde et ses instincts, le président élu a tout de l'anti-Bush.
Convaincu de l'importance du conflit israélo-palestinien et du rôle central
qu'ont à jouer les Etats-Unis dans sa résolution, et dédaignant une grille de
lecture simpliste dominée par le prisme de la "guerre contre le
terrorisme", M. Obama symbolise, si ce n'est une rupture franche, du
moins un retour à une tradition plus pragmatique. Dans la pratique, pourtant,
difficile de discerner nombreux motifs de satisfaction. Les efforts consentis dans
l'arène israélo-palestinienne, aussi intenses soient-ils, n'ont guère été
récompensés. Les objectifs avoués étaient de geler les colonies de
peuplement, enclencher un processus de normalisation israélo-arabe, renouer
les pourparlers de paix, renforcer les soi-disant modérés, ainsi que de
rétablir la crédibilité américaine. Pour l'instant, c'est tout le contraire
qui s'est produit. Effets désolants mais
inévitables : les Palestiniens perdent confiance dans la nouvelle
administration, les Arabes doutent et les Israéliens voient en Barack Obama
un néophyte qui ne leur inspire ni respect ni estime. Trois déficits expliquent ce
bilan. Déficit tactique tout d'abord : choix d'objectifs douteux et
irréalistes (gel complet des colonies de peuplement, but louable mais auquel
même un gouvernement israélien de gauche aurait rechigné) ; puis reniement
aussi brutal qu'inexpliqué (qualification du gel très partiel d'initiative "sans
précédent") et, enfin, pressions à répétition exercées sur Mahmoud
Abbas, président de l'Autorité palestinienne (afin qu'il accepte de
rencontrer le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et qu'il reporte
le débat sur le rapport Goldstone concernant la guerre de Gaza). Victime
principale de cette valse diplomatique, le dirigeant palestinien, que
l'administration s'était juré de renforcer. Depuis, l'Amérique semble
obnubilée par le seul souci de renouer les négociations alors que leur échec
coûterait à tous bien plus que leur ajournement. Entre-temps,
l'administration n'aura rien fait ou presque pour rassurer l'opinion publique
israélienne. De tels errements tactiques dénotent une méconnaissance plus
profonde - et inquiétante - des ressorts politiques aussi bien palestiniens
qu'israéliens. Déficit de vision stratégique
ensuite : à l'inverse d'autres chantiers, le processus de paix n'a pas
(encore) eu la faveur d'un engagement présidentiel poussé. En dépit de fortes
pressions internes et externes, et quoi qu'on puisse penser des choix qui ont
été faits, Washington a maintenu le cap sur la question iranienne,
renouvelant ses appels à un dialogue avec le régime ; c'est que le président
s'est emparé de ce dossier et lui a imparti cohérence et continuité. Rien de
tel jusqu'à présent dans le cas israélo-palestinien. Là, hormis la
proclamation de vagues principes - centralité du conflit, importance du rôle
américain, illégitimité des colonies de peuplement -, M. Obama ne semble pas
savoir précisément où il veut aller et au prix de quels risques politiques.
Cela peut se comprendre. De la réforme du plan de santé au redressement
économique en passant par l'Afghanistan ou l'Irak, l'hôte de la Maison
Blanche fait face à des épreuves autrement prioritaires. Mais au sein d'une
administration plus présidentielle que celles de ses prédécesseurs, l'absence
de direction claire provenant du bureau Ovale est inévitablement génératrice
de flottement. L'indécision se sent. Les acteurs locaux en profitent. Le troisième déficit, le plus
grave, concerne le manque d'ajustement à la nouvelle donne régionale. Depuis
2000, date à laquelle les démocrates étaient précédemment au pouvoir, le
contexte, les repères et même les protagonistes ont radicalement changé. Les
traditionnels relais de l'influence américaine - Egypte, Jordanie ou Arabie
saoudite - sont essoufflés. D'autres acteurs ont, depuis, approfondi leur
présence dans l'arène palestinienne et pèsent de tout leur poids au sein de
l'opinion publique : c'est le cas de l'Iran, de la Syrie ou même de la
Turquie. Conséquence en grande partie des
choix désastreux du président George Bush, les Etats-Unis ne sont pas ceux
qu'ils étaient naguère, ayant dilapidé prestige et autorité. La scène
palestinienne s'est considérablement émiettée, politiquement, idéologiquement
et géographiquement. Impossible dorénavant de bâtir une stratégie crédible
fondée exclusivement sur la Cisjordanie, le Fatah, l'Autorité palestinienne
ou ses dirigeants. Quant à l'outil américain de
préférence - négociations bilatérales entre Israël et l'OLP sur un statut
final -, il est de plus en plus désuet et discrédité. Palestiniens et
Israéliens s'accordent chaque jour davantage pour ne plus croire qu'elles
puissent déboucher sur une paix véritable ou qu'un éventuel accord puisse
satisfaire à leurs besoins les plus profonds. Il est temps de changer de
méthode et, même, d'objectif. Quand bien même il se voulait candidat du changement,
M. Obama reste otage du passé, captif involontaire d'un legs politique qui
limite sa marge de manoeuvre et de concepts idéologiques qui restreignent ses
capacités d'action. La méprise n'a rien
d'inhabituelle - on se convainc de pouvoir mieux faire ce que son devancier
avait fait mal, sans se rendre compte que les fondements eux-mêmes étaient
erronés et non pas seulement la manière. Division de la région entre
"modérés" et "radicaux", appui aux uns et boycottage des
autres, désintérêt envers Gaza et son drame humanitaire, exhortations creuses
pour la paix : de tout cela découle un écart frappant entre ce que font les
Etats-Unis et ce qui se fait au Proche-Orient. De là cette impression de
surplace, contrecoup d'une diplomatie américaine qui s'agite dans le vide.
Que Barack Obama ait passé l'an I de sa présidence à vérifier la pertinence
de conceptions périmées n'a rien de surprenant. On ne se défait pas
facilement d'un héritage politique ou idéologique. C'est maintenant, alors
que l'administration achoppe sur des réalités en décalage avec sa vision, que
commence l'épreuve de vérité. Parmi les innombrables défauts de la présidence
de George Bush, la principale sans doute était son incapacité à se renouveler
et à adapter ses dogmes aux réalités du terrain. Au nouveau président de
prouver qu'il peut faire mieux, et autrement. Robert
Malley est directeur du programme Moyen-Orient de l'International Crisis
Group, ancien conseiller du président Clinton pour les affaires
israélo-arabes. |