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Article paru dans l’édition du Monde des
livres - Vendredi 29 janvier, p. 7 Joe Sacco, BD-journaliste
engagé
Par Philippe Périn http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/01/28/joe-sacco-bd-journaliste-engage_1297854_3260.html Si
journalisme et BD sont, depuis "Les Aventures de
Tintin" et "Spirou et Fantasio", de vieilles
connaissances, l'essor du BD-journalisme en tant que genre est beaucoup plus
récent. En France, on peut citer, dans cette veine, Le Photographe, de
Didier Lefèvre
et Emmanuel
Guibert (récompensé à Angoulême en 2007), ou les reportages graphiques
publiés par la revue XXI dans chacune de ses livraisons. Précurseur et figure
emblématique de ce nouveau genre, l'Américain Joe
Sacco est invité au Festival de BD d'Angoulême à l'occasion de la parution de
Gaza 1956. A 49 ans, il a à son actif plusieurs bandes dessinées
traitant du conflit israélo-palestinien (regroupées dans une nouvelle édition
sous le titre Palestine, chez Rackham, 26 €) et de la guerre en Bosnie
(Goradze, Rackham, 2001 ; The Fixer, une
histoire de Sarajevo, Rackham, 2005). Il a aussi écrit des reportages,
notamment pour Time, le New York Times Magazine,
ou le Guardian. Engagée, sans concession,
fouillée jusqu'à l'obsession, Gaza 1956 est une somme de plus de 400
pages qui mêle la reconstitution de deux massacres perpétrés par l'armée
israélienne en 1956 et des scènes de la vie dans la bande de Gaza, en 1982 et
1983, pendant l'enquête menée sur place par l'auteur. En octobre 1956, réagissant
à la nationalisation du canal de Suez par Nasser, la France, le Royaume-Uni
et Israël attaquent l'Egypte. Le 2 novembre, Tsahal envahit la bande de Gaza,
où vivent de nombreux réfugiés palestiniens. Selon un rapport de l'ONU, le 3
novembre, 275 Palestiniens sont tués dans la ville de Khan Younis. Les
autorités israéliennes dénoncent une résistance à leur occupation, mais les
réfugiés affirment que tout combat avait cessé au moment des incidents, et
que de nombreux civils non armés ont été abattus. En 2001, lors d'un
reportage dans la bande de Gaza, Sacco découvre le rapport de l'ONU.
"Pour moi, l'histoire des meurtres de Khan Younis avait quelque chose
d'essentiel, et elle ne devait pas retomber dans l'oubli, explique-t-il
dans son avant-propos. Ces tragédies contiennent souvent les graines du
chagrin et de la colère qui façonnent les événements du présent." La reconstitution de ces
événements, ainsi que celle d'un autre massacre, survenu dans la foulée à
Raffah, fait la part belle aux témoignages des Palestiniens, mais s'appuie
aussi sur des entretiens avec des militaires et des historiens israéliens.
Elle est entrecoupée d'épisodes détaillant les démarches menées pour
retrouver des témoins des faits, dans lesquelles Sacco se met en scène,
entouré des Palestiniens qui le secondent dans son enquête. On reste marqué
par le regard porté sur le quotidien sans issue de Khaled, combattant du
Fatah recherché par Tsahal, ou sur les difficultés des habitants de Rafah,
comme par le récit glaçant des raids d'un ex-fedayin en Israël. On est aussi
frappé par la capacité des dessins en noir et blanc à faire revivre les
événements de 1956, dont il n'existe aucune photo, et à rendre palpable
l'atmosphère de Gaza pendant l'Intifada. GAZA 1956. EN MARGE DE
L'HISTOIRE
de Joe Sacco.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sidonie Van den
Dries. Futuropolis, 424 p., 29 €. |