Article paru le 27 février 2010 – Page 12
Je l’avoue, je boycotte les marchandises d’Israël
par Serge Grossvak, membre de l’Union juive française pour la paix
Une lettre
ouverte à Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux
Madame la Ministre,
je l’avoue,
je l’avoue, je boycotte les marchandises d’Israël. Je ne veux pas de ces produits
poussés dans le sang et la domination. Ils puent la haine et l’oppression. Je
les refuse et je pense à mes parents m’enseignant le martyre nazi. Cette
géhenne qui avait dévoré notre famille. « Plus jamais ça », était
la clameur venue du cœur au sortir du malheur. « Plus jamais ça »,
avaient dit les survivants. Enfant de juifs immigrés, j’avais entendu cette
leçon comme un devoir d’humanité, comme un engagement de solidarité, comme
une exigence de vie. Je boycotte, aujourd’hui, pour que les petits-enfants
d’un grand martyre sortent du chemin assassin, pour que l’État d’Israël et
son peuple égaré dans un grandissant extrémisme sortent de leur tyrannie. Je
l’avoue, j’appelle au boycott des produits de ce pays aujourd’hui guerrier,
conquérant et oppresseur, de ce pays abdiquant toute morale. Je l’avoue,
c’est de toute ma voix et de tout mon cœur que je convie à cet acte de
résistance. Acte pacifique. Acte raisonné. Mon appel est une clameur contre
l’indignité des crimes commis, la pratique des colonies. Mon appel est pour
peser et faire renoncer à la guerre. Lorsqu’un pays a renoncé à
l’intelligence et à la morale, c’est le porte-monnaie qui oblige.
Je l’avoue, j’y étais. J’étais dans ce supermarché
de Cormeilles pour sortir les produits israéliens des rayons et les déposer
en vrac à l’entrée des caisses. J’y étais et j’y ai pris la parole. Les
services de police peuvent en attester, j’avais donné mon nom. Lorsqu’on agit
pour l’honneur nul n’est besoin de se cacher.
Je l’avoue, j’y étais et j’ai accompli tout cela
pour mon humaine dignité et l’honneur de mes ancêtres. Parce que je ne peux
supporter d’abandonner dans la souffrance et l’injustice le peuple de
Palestine. Parce que je suis juif descendant de Marek Edelman, de Joseph
Epstein et de Raymond Aubrac, ma racine juive est du côté des opprimés, de
tous les opprimés.
Madame la Ministre et garde des Sceaux de justice
et des lettres de cachet, condamnez-moi, pas Sakina (1) !
Madame la Ministre, puisque vous avez accompli votre vœu de châtiment de ces
gestes de résistance et d’honneur, oubliant qu’ils visent un État désigné
comme relevant de « crime de guerre, voire crime contre
l’humanité » par le juge Goldstone (juif comme moi), condamnez-moi, pas
Sakina. Madame la Ministre, je ne redoute pas vos geôles et vos invectives,
je suis prêt à affronter vos fureurs comme mon père avait dû affronter
l’internement par une police mise aux ordres d’un pouvoir totalitaire. J’y
suis prêt, lâchez Sakina. Madame la Ministre, rien ne me fera renoncer à mon
engagement pour la paix et la justice, pour que le peuple palestinien
recouvre sa dignité dans son pays indépendant, aux frontières de 1967 et à la
capitale en Jérusalem-Est. Que les criminels soient traduits devant un
tribunal international. Que cette page de haine se tourne, enfin !
Madame la Ministre, je vous prie d’agréer toute ma
détermination à combattre vos menaces à l’encontre d’une lutte juste et votre
soutien à un extrémisme nationaliste qui fait honte à ma culture juive.
(1) À la suite d’une plainte du magasin
Carrefour
de Mérignac (33), Sakina Arnaud, qui participait
à
une action collective et pacifique d’appel au boycott de produits israéliens,
a été condamnée le 10 février dernier, en première instance, à une amende
pénale de 1 000 euros, pour « incitation à la
discrimination raciale, nationale et religieuse ».
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