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Discorde sur le Musée de la
tolérance
Par Laurent Zecchini Désormais, les Nations unies sont le seul recours. Le 10 février, après
avoir épuisé toutes les possibilités d'appel devant la Cour suprême d'Israël,
les opposants au projet de construction d'un Musée de la tolérance/Centre
pour la dignité humaine au coeur de Jérusalem, sur l'emplacement d'un ancien
cimetière musulman remontant au XIIe siècle, ont déposé une
plainte auprès de l'ONU : la profanation des lieux, estiment-ils, relève
d'une "violation des droits de l'homme par l'Etat d'Israël" Les 60 signataires sont
issus des quinze plus vieilles familles de Jérusalem, dont les ancêtres ont
été enterrés au cours des siècles dans le cimetière Ma'man Allah (ou
Mamilla). Parmi elles, les Husseini, Dajani, Imam, Khalidi et Nusseibeh, qui
ont contribué à l'histoire de la Palestine. Leur démarche, soutenue par de nombreuses
organisations de défense des droits de l'homme, palestiniennes et
israéliennes, est une ultime tentative pour faire prévaloir un droit moral
sur une procédure juridique. Ses chances d'aboutir sont
minces. Depuis sa création en 1948, l'Etat juif a ignoré nombre de décisions
et recommandations de l'ONU, y compris une résolution du Conseil de sécurité
du 30 juin 1980 déplorant la persistance d'Israël à vouloir "changer
le caractère physique, la composition démographique, la structure
institutionnelle et le statut de la ville sainte de Jérusalem". Les signataires disent les
choses plus crûment : le projet de construire un Musée de la tolérance sur
l'emplacement historique du cimetière Mamilla participe d'une politique de
judaïsation de Jérusalem, qui se poursuit aujourd'hui avec les nombreuses
expulsions de familles palestiniennes dans la partie orientale de la ville.
La polémique juridique de plus en plus âpre qui oppose le Centre
Simon-Wiesenthal, promoteur du projet, à ses détracteurs, est donc aussi
politique : le différend touche aux racines du conflit israélo-palestinien. "Ce qu'ils veulent,
insiste Adnan
Husseini, gouverneur de Jérusalem-Est, c'est effacer toute l'histoire
musulmane de Jérusalem. Ils construisent un Musée de la tolérance sur nos
tombes et sur nos corps !" Situé au coeur de Jérusalem-Ouest, l'emplacement du futur
Centre pour la dignité humaine est ceinturé d'une palissade métallique de 5
mètres de haut, protégée de barbelés. Des caméras de surveillance et des
projecteurs placés à intervalles réguliers permettent de repérer d'éventuels
intrus. Lorsqu'on frappe, un gardien entrebâille la porte pour confirmer
qu'il est strictement interdit d'entrer. Depuis janvier 2006, le
projet n'a cessé d'alimenter les controverses. Celles-ci ont été relancées
avec la décision de l'architecte américain Frank O. Gehry, prise le 14
janvier, de se retirer. Officiellement, le père du Guggenheim
de Bilbao n'était pas d'accord avec la volonté du Centre Simon-Wiesenthal
de réduire de plus de moitié (de 250 à 100 millions de dollars) l'ampleur
d'un projet conçu comme la réplique du Musée de la tolérance de Los Angeles,
ville où cette organisation internationale juive de défense des droits de
l'homme a son siège. Une visite du site permet
d'envisager d'autres explications. Quelques mètres à peine séparent cette
enceinte sous haute sécurité des tombes musulmanes à moitié détruites. Le
lieu est à l'abandon : les autorités israéliennes n'entretiennent pas les
tombes et les familles palestiniennes n'ont ni la liberté d'en prendre soin
ni celle d'y enterrer leurs morts. Le musée devrait occuper la limite nord du
cimetière musulman, sur l'emplacement d'un ancien parking. A l'ouest, c'est
le parc de l'Indépendance. Au milieu du cimetière se cache l'impressionnante
Mamilla pool, un ancien réservoir d'eau construit à l'époque du roi Hérode. Toute cette zone était
comprise dans le périmètre originel du cimetière. Pendant les soixante
dernières années du règne ottoman, les trente années du mandat britannique et
les vingt premières de l'Etat juif, le cimetière est resté inviolé, explique
le professeur Yehoshua
Ben-Arieh, expert réputé d'histoire-géographie à l'université hébraïque
de Jérusalem. En 1948, les autorités israéliennes avaient rassuré le
gouvernement jordanien qui s'inquiétait d'une possible profanation : "La
Mamilla est considérée comme l'un des plus importants cimetières musulmans,
où 70 000 guerriers des armées de Saladin ont été enterrés, en compagnie de
nombreux érudits musulmans. Israël saura toujours protéger et respecter ce
site." Cette promesse n'a pas été tenue. Avec l'extension urbaine de
Jérusalem-Ouest, une partie importante du cimetière a été annexée. Le rabbin Marvin Hier,
directeur du Centre Simon-Wiesenthal, n'a pas d'états d'âme : "Le
site du parking, qui a été utilisé pendant cinquante ans, nous a été donné en
2001 par le gouvernement et la municipalité, qui est à 100 % derrière
nous." Le porte-parole du maire de Jérusalem, Nir Barkat,
précise : "La mairie soutient le musée mais c'est une question qui
relève d'un projet privé, décidé bien avant que le maire prenne ses
fonctions." D'autres services officiels
ne se sentent pas si à l'aise avec l'interprétation des tribunaux. La propre
présidente de la Cour suprême, Dorit Beinisch,
a renoncé à mettre en place une cour de district à proximité du site, parce
que des ossements y avaient été découverts. Quant à ceux retrouvés dans le
sous-sol du parking, il était de la responsabilité du Centre Simon-Wiesenthal
d'en opérer la translation. Le rabbin Hier nous a indiqué qu'ils ont été
réenterrés "au printemps 2009, dans le cimetière musulman
voisin", tout en refusant de préciser l'endroit. A écouter le rabbin Hier,
les choses sont simples : le 23 décembre 2009, la Cour suprême a rejeté un
nouveau recours et condamné les plaignants à une amende, estimant que ceux-ci
n'avaient d'autre but que de "retarder la construction du musée".
Le rabbin Hier entend manifestement diaboliser ses opposants en soulignant
que Cheikh Raëd
Salah, chef du Mouvement islamique israélien, considéré comme proche du
Hamas, a pris la tête de cette croisade, ce qui revient à faire fi de la
mobilisation des vieilles familles de Jérusalem, comme celle de Sari Nusseibeh,
homme politique et intellectuel réputé, président de l'université Al-Qods. |