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"'Boycott,
désinvestissement, sanctions', une campagne pour la justice"
Par Ivar Ekeland, Annick Coupé, Nahla Chahal et Michèle
Sibony
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/03/31/boycott-desinvestissement-sanctions-une-campagne-pour-la-justice-par-ivar-ekeland-annick-coupe-nahla-chahal-et-michele-sibony_1326939_3232.html
Pour la Campagne
Boycott désinvestissement danctions (BDS) à l'égard d'Israël, l'heure est
semble-t-il en France à la criminalisation et aux attaques diffamatoires. La
tribune publiée par Me Michaël Ghnassia sur Le Monde.fr du 24
mars n'en est qu'un exemple. La rhétorique déployée par ce dernier renvoie un
geste citoyen pour obtenir l'application du droit international, le boycott,
à une "hérésie morale". Le boycott a pourtant une
histoire en forme d'arme des sans-armes, que Me Ghnassia semble
bien oublier : boycott des bus de Montgomery en 1955 à l'appel de Martin Luther
King, boycott de l'Afrique du Sud contre l'apartheid à la fin des années
1970… A une échelle plus modeste, en janvier 2001, des ouvriers de Calais et
Ris-Orangis menacés de licenciements appelaient à boycotter leur propre
compagnie, Danone. Aujourd'hui, la Campagne
internationale BDS, dont des dizaines d'associations, de syndicats et de
partis politiques sont signataires, relaie l'appel de la société civile
palestinienne lancé en 2005, enjoignant aux "hommes et femmes de
conscience du monde entier [d']imposer de larges boycotts et [de] mettre
en application des initiatives de retrait d'investissements contre Israël
tels que ceux appliqués à l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid".
Un appel repris depuis en France et dans le monde, et qui s'inscrit d'abord
dans un contexte politique dont Me Ghnassia ne saurait ignorer les
derniers développements les plus tragiques : lorsqu'Israël proclame il y
a trois semaines la construction de 1 600 logements supplémentaires à
Jérusalem-Est, continuant ainsi à coloniser et à expulser des familles
palestiniennes, il s'agit d'une violation totale de la résolution onusienne
242. Le rapport de la commission Goldstone, accusant Israël de "crimes
de guerre" et de possibles "crimes contre l'humanité"
lors de la guerre contre Gaza en janvier 2009, et qui a fait plus de 1 400
morts palestiniens, a été adopté par le Conseil des droits de l'homme et l'Assemblée
générale de l'ONU, sans que pourtant rien ne soit fait par les grandes
institutions internationales pour mettre fin au blocus imposé à l'ensemble de
la bande de Gaza. Or toute l'essence et
l'éthique de la Campagne BDS se situe à ce point précis : à l'heure où
ni la communauté internationale, ni l'Union européenne et encore moins la
France, ne jouent leurs rôles dans l'application des résolutions
internationales votées par l'ONU, il s'agit bien de construire un mouvement
citoyen, "par le bas", exerçant des pressions économiques et
politiques sur Israël afin qu'il applique les résolutions votées par les
Nations unies. C'est cela, la Campagne BDS, et rien que cela :
l'exigence du droit, et de tout le droit, à l'heure où les puissances
internationales abandonnent justement ces "sans-droits" que
sont aujourd'hui les Palestiniens. Michaël Ghnassia écrit à
juste titre que "la justice des hommes s'est construite sur ce
principe de la responsabilité individuelle, qui est aujourd'hui un droit
fondamental à valeur constitutionnelle, consacré par la Déclaration des
droits de l'homme et l'ensemble des conventions internationales". Or
c'est justement à cette notion de responsabilité individuelle que nous
appelons. Responsabilité individuelle de citoyens, qui s'interrogent sur les
Accords d'associations entre Israël et l'Union européenne qui ne valent,
comme l'indique leur article 2, que si Israël "respecte les droits de
l'homme". Responsabilité de consommateurs également : lorsque
l'entreprise israélienne Agrexco/Carmel, exportant fleurs, fruits et légumes,
compte s'installer dans le port de Sète, nous sommes en droit de dénoncer le
fait que cette entreprise exporte 70 % des productions des colonies
israéliennes installées dans les territoires de Cisjordanie (en toute
illégalité, selon les normes du droit international), et de refuser d'en
consommer les produits. Me Michaël
Ghnassia écrit encore que "l'objet de cette campagne-propagande
n'a finalement pour but que de réduire une nation, composée d'individus aux
opinions et aux engagements aussi différents que ceux qui peuvent exister en
France, en un unique ennemi désincarné et sans humanité : l''Israélien' ou le
'sioniste'". Or, faut-il aussi le rappeler, la campagne de boycott,
de désinvestissement et de sanctions, lancée à l'initiative d'acteurs
politiques, syndicaux et associatifs palestiniens, a été reprise et soutenue
en Israël même par des mouvements pacifistes et anticolonialistes israéliens,
qui, comme la Coalition des femmes pour la paix alimente depuis quelques
années un site nommé "A qui profite l'occupation" (Who Profit from
the Occupation?), permet de cibler les entreprises israéliennes et étrangères
impliquées dans la colonisation. C'est cela qu'omet de dire Me
Michaël Ghnassia : la Campagne BDS n'a justement aucune couleur
confessionnelle. Elle s'étend de la société civile palestinienne aux
mouvements anticolonialistes israéliens, des syndicats britanniques au
Conseil des étudiants de Berkeley (Californie) demandant à leur université de
se désinvestir de sociétés américaines impliquées dans la fabrication d'armes
israéliennes. C'est peut-être ce caractère pluriel, internationalisé et
antiraciste de la Campagne BDS qui fait peur aujourd'hui à un gouvernement
israélien dans lequel l'extrême droite tient plusieurs ministères, dont celui
des affaires étrangères. Et qui explique le déferlement de dénégations et de
mensonges à l'encontre d'une campagne internationale de boycott n'ayant qu'un
seul objectif reconnu : l'application du droit. Signataires : Ivar Ekeland
est ancien président de l'université Paris-Dauphine et président de l'Aurdip (Association des
universitaires pour le respect du droit international en Palestine), Annick Coupé
est porte-parole de Solidaires, Nahla Chahal
est coordinatrice de la Campagne civile pour la protection du peuple palestinien, Michèle Sibony
est co-présidente de l'Union
juive française pour la paix, tous sont membres de la Campagne
BDS France. |