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Analyse Israël et
Proche-Orient : les menaces s'accumulent Par Laurent Zecchini (Jérusalem,
correspondant) Ce
furent des réjouissances moroses : l'anniversaire de l'indépendance d'Israël
a été célébré, le 20 avril, dans une atmosphère festive mêlée d'une sourde
inquiétude. Comme si, soixante-deux ans après sa création en 1948,
l'existence de l'Etat juif était de nouveau menacée. Le spectacle des rues de
Jérusalem et de Tel-Aviv a fait illusion : des milliers de drapeaux
israéliens ont été fixés aux balcons et sur les voitures, et les feux
d'artifice ont illuminé le ciel. Si le
ton des discours est resté alarmiste, c'est qu'Israël n'a jamais été aussi
fort et aussi vulnérable à la fois. Les Israéliens sont 7,59 millions (75,5 %
sont juifs), la population croît au rythme singulier de 1,8 % par an, et la
croissance économique pourrait atteindre 3,7 % en 2010. Les frontières sont
pour l'essentiel calmes, preuve que la capacité de dissuasion d'Israël reste
forte. D'où vient alors ce sentiment que l'environnement géopolitique
d'Israël se caractérise par une accumulation de menaces, et qu'il faut s'y
préparer ? Comme
en 2003, lors de l'invasion américaine en Irak, une distribution nationale de
masques à gaz a été entreprise ; la psychose terroriste reste latente, et il
ne se passe pas de jour sans que la presse livre des informations sur le
programme nucléaire iranien ou l'arsenal du Hezbollah. L'Iran
est devenu une obsession nationale et existentielle, mais ce n'est pas la
seule explication de cette inquiétude latente. Celle-ci est justifiée par une
succession de défis stratégiques, qu'accentue une propension à en exagérer
l'importance. Il y a en Israël un syndrome permanent de tension, et peut-être
aussi une stratégie : l'Etat juif doit rester sur ses gardes. Soixante-deux
ans après son indépendance, Israël se vit comme une forteresse assiégée, qui
ne doit compter que sur elle-même, et qui reste hantée par la menace d'une suprématie
démographique arabe. Un faisceau de raisons alimente cet état d'esprit.
L'Etat juif traverse une crise diplomatique inusitée avec les Etats-Unis,
pays dont le soutien stratégique pourrait se révéler crucial en cas de
confrontation militaire avec Téhéran. L'isolement
international d'Israël, dû à l'opprobre que lui a valu le comportement de son
armée lors de la guerre de Gaza, et à son intransigeance pour faire avancer
le processus de paix avec les Palestiniens, est sans précédent. Son
environnement régional bruisse de manière récurrente mais croissante de
rumeurs de conflits, avec la Syrie et le Hezbollah notamment. Le
récent épisode des missiles Scud, qui auraient été livrés par Damas au
mouvement chiite libanais, est de ceux qui peuvent mettre le feu aux poudres.
Comme pareille "révélation" tomberait à pic si Israël cherchait un
prétexte pour prendre sa revanche de l'été 2006 sur le "Parti de
Dieu", Benyamin Nétanyahou a démenti "les rumeurs selon
lesquelles Israël prépare une attaque contre la Syrie". Celle-ci
demeure pour Israël un voisin intraitable : Damas ne renoncera pas à son
alliance avec l'Iran et le Hezbollah pour obtenir la récupération du Golan.
L'isolement régional d'Israël s'est accru avec la décision de l'ex-allié
stratégique turc de se rapprocher des pays musulmans : son premier ministre,
Recep Tayyip Erdogan, vient de qualifier Israël de "principale menace
pour la paix régionale", et d'annoncer des exercices communs avec
l'armée syrienne. L'Etat
juif a signé des traités de paix avec l'Egypte (1979) et la Jordanie (1994),
mais il s'agit de "paix froides", n'ayant donné lieu à aucun
rapprochement sur les plans politique, économique ou culturel. Trois
décennies plus tard, la relation égypto-israélienne est symbolisée par des
murs : celui qu'Israël a décidé d'édifier sur la frontière avec son voisin du
sud, et la barrière souterraine que Le Caire construit le long de la bande de
Gaza, afin d'accentuer le blocus imposé par Israël au Hamas. Son
économie étranglée, son ravitaillement militaire menacé, confronté à la
surenchère des groupes radicaux, le Hamas, pris au piège, peut redevenir
belliciste. Parallèlement, les autorités israéliennes s'inquiètent des
progrès de l'"Intifada blanche" (non violente) en
Cisjordanie, parce qu'il n'est pas sûr que l'Autorité palestinienne soit en
mesure de contrôler un nouveau mouvement populaire palestinien. Les
généraux de Tsahal se disent convaincus de pouvoir mener de front une guerre
contre le Hezbollah et le Hamas, mais ils reconnaissent qu'un conflit avec
l'Iran aurait de dangereuses conséquences régionales. Or, il ne s'agit plus
d'une perspective lointaine. Spécialiste de l'Iran à l'Institut pour les
études de sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv, Ephraim Kam estime que, "du
point de vue technique et dans des conditions optimales", Téhéran
serait capable de produire une bombe d'ici fin 2010. Il
reconnaît que rien ne permet d'affirmer que l'Iran a pris la décision de
passer au stade de la fabrication de l'arme atomique, et qu'il pourrait en
rester au "seuil" nucléaire. Si ce pas était franchi, les
Iraniens seraient-ils tentés d'utiliser une telle arme ? "C'est une
question théorique, souligne-t-il, et un premier ministre ne peut
baser la politique de défense de l'Etat d'Israël sur une théorie." Les
Israéliens estiment que, confrontés aux guerres d'Afghanistan et d'Irak, les
Etats-Unis n'ouvriront pas un troisième front avec un pays musulman. La
perspective d'une attaque israélienne pour retarder le programme nucléaire
iranien est donc ouvertement débattue. Avec un sentiment d'urgence : si
l'Iran se dote d'une seule bombe, il devient de facto intouchable. Certains
experts défendent la thèse d'un équilibre de la terreur qui permettrait à
Israël de vivre aux côtés d'un Iran nucléaire, mais Ephraim Kam n'y croit pas
: "Peut-on imaginer la coexistence au Proche-Orient de deux
puissances nucléaires qui ne se parlent pas ?" Le roi
Abdallah II de Jordanie a récemment alerté sur le risque d'une guerre
régionale si le processus de paix israélo-palestinien n'est pas remis sur les
rails d'ici l'été. L'Iran, Israël, la Syrie, le Hezbollah, le Hamas, une
troisième Intifada... Comme les boutefeux potentiels ne manquent pas, ce
n'est pas jouer les Cassandre de craindre un nouveau conflit au Proche-Orient
d'ici fin 2011. |