Qui sont les Français
pro-palestiniens ?
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/06/04/qui-sont-les-francais-pro-palestiniens_1367665_3210.html
La «mouvance pro-palestinienne»
Hier, Gilles Paris, rédacteur en chef adjoint du
service International du Monde, répondait à cette grave question (que
personne ne se pose pourtant): «Qui
sont les Français pro-palestiniens?».
Poser ainsi la question, c'est introduire l'idée d'un oxymore, comme si
«Français» et «pro-palestiniens» étaient deux termes contradictoires. L'image
accompagnant l'article montre d'ailleurs une jeune femme au teint très mat et
aux cheveux noirs, le visage masqué par sa pancarte, et dont on ne voit que
les yeux très maquillés. Genre orientale. Et le résumé de l'article, tel
qu'il est passé dans le flux RSS, explique:
«La
mouvance pro-palestinienne en France repose essentiellement sur la gauche,
l’extrême gauche et les écologistes, ainsi que sur un réseau dense
d’associations et d’organisations.»
Ce résumé
est détaillé dans l'article et se termine par la mention d'une association
«interdite aux États-Unis»:
«La
composante politique de la mouvance pro-palestinienne se double d’un réseau
dense d’associations et d’organisations, qu’il s’agisse de mouvements de
défense des droits de l’homme (Ligue des droits de l’homme), d’associations
de collectivités locales (Association des villes françaises jumelés avec des
camps de réfugiés palestiniens) ou d’ONG comme le Comité de bienfaisance et de
secours aux Palestiniens (CBSP), dont sont membres la majorité des Français
présents dans la flottille de Gaza. Le CBSP, qui a son siège en France, est
interdit aux Etats-Unis pour ses liens supposés avec le Hamas.»
«Mouvance»
n'est évidemment pas un terme neutre, puisqu'il désigne un groupuscule
ultra-minoritaire suspecté d'activités dangereuses sur la base d'opinions
politiques extrémistes. Je n'ai jamais entendu parler, par exemple, de
«mouvance pro-israélienne». Pourtant, ce sont bien les «pro-israéliens» qui
sont ultra-minoritaires (ce qu'on va voir dans la suite), qui mènent des
activités dangereuses et sont motivés par des opinions politiques
extrémistes.
Les
motivations des partis politiques «pro-palestiniens», tels qu'exposées, sont
assez navrantes:
«Sur cette
question, la position de l’extrême-gauche (Lutte ouvrière et Nouveau parti
anticapitaliste) est assez similaire, avec la dénonciation de l’axe
diplomatique entre Israël et les Etats-Unis.»
Quant aux
Verts, c'est encore pire:
«C’est en
grande partie du fait de leur ancrage historique à gauche, du moins pour une
partie d’entre eux, que les Verts prennent également position en faveur du
mouvement national palestinien.»
Pour ne
reprendre que des événements extrêmement récents, la destruction du Liban et
de Gaza en 2006 et leur lot de crimes, les violations constantes des
résolutions internationales, le racisme israélien (gouvernement
d'extrême-droite, sondages montrant la montée des opinions racistes...), le
bombardement en Syrie en 2007, les crimes de guerre à Gaza en 2009,
l'assassinat à Dubaï avec des passeports européens en 2010 et le récent
meurtre des militants de la flottille humanitaire internationale, tout cela
n'a aucune raison de constituer des motifs. Non, ce qui motive la «mouvance»,
c'est la dénonciation de l'axe israélo-américain pour des raisons
idéologiques (archaïques) et, pour les Verts, c'est du suivisme lié à leur
positionnement «à gauche».
Plus généralement, cela renvoie aux très nombreux articles qui s'interrogent
sur la dégradation de l'«image» d'Israël. Quand ça ne concerne pas
directement des Occidentaux, les articles s'inquiètent de la «colère» dans le
Monde arabe (manière de désamorcer le sujet: Israël assassine à Dubaï avec
des passeports européens, mais la seul conséquence serait une baisse de
l'image dans le monde arabe, comme si les citoyens occidentaux n'avaient
aucune raison d'être en colère).
Ces très nombreux articles sur l'«image» d'Israël sont eux-mêmes, en réalité,
des opérations de communication. Ils suggèrent que c'est seulement à la suite
de quelques épisodes spécifiques, et seulement à l'intérieur d'une très
restreinte «mouvance pro-palestinienne», ou dans la «rue arabe», qu'il y
aurait une «mauvaise image» d'Israël.
Ce qui permet ensuite à nos politiques de poursuivre les partenariats
économiques, politiques et militaires avec Israël, et de ne jamais rien faire
pour forcer Israël à respecter un droit international minimal.
Au point que, chaque fois qu'on discute entre copains de la «mouvance» (hé
hé), il y a toujours quelqu'un pour se demander comment «on pourrait informer
les gens», «faire comprendre la situation»... C'est-à-dire que même au sein
de la «mouvance», les gens ont tendance à se croire/sentir minoritaires. Ce
qui, à mon avis, produit de la perte de temps, de l'inefficacité et une
grande «timidité».
Pourtant, et ça me semble important, les seules questions légitimes seraient
aujourd'hui:
· Qui
sont (encore et malgré tous les crimes israéliens) les Français
pro-israéliens?
· Qu'est-ce
qui constitue la mouvance pro-israélienne? Quelles sont ses motivations?
· Pourquoi
autant de politiciens européens soutiennent-ils Israël et proclament leur
«amitié» pour cet État, alors que les populations qui les élisent sont aussi
majoritairement critiques envers Israël?
Parce que
c'est le point aveugle de toute cette communication: occulter le fait que
toutes les statistiques démontrent de manière constante que l'«image»
d'Israël est catastrophique depuis des années dans les opinions publiques
occidentales.
Toutes ces statistiques démontrent que les gouvernants occidentaux adoptent,
concernant Israël, des positions opposées à leurs opinions publiques. Elle
expliquent également que la «guerre de communication» menée par Israël, qui
peut sembler d'une nullité ahurissante, ne vise pas réellement l'opinion
publique occidentale, mais bien avant tout l'opinion publique israélienne.
Parce que les opinions occidentales, malgré ce que croient beaucoup de
«pro-palestiniens», sont largement au courant, et particulièrement sceptiques
concernant la grande «démocratie» israélienne et la moralité de son armée.
On pourrait les reprendre systématiquement, mais je vais me contenter de
quelques exemples qui rappellent que la «mouvance pro-palestinienne» désigne
en réalité la majorité des citoyens occidentaux, et que c'est bien la
«mouvance pro-israélienne» qui constitue une minorité spécifique et isolée,
mais agissante, efficace et sur-valorisée médiatiquement et politiquement.
Une enquête menée deux jours après l'attaque contre la flottille humanitaire
indique que 40% des
Norvégiens sont partisans d'un boycott des produits israéliens. Ça n'est
pas qu'une «opinion négative», c'est une volonté d'agir: or, mobiliser les
opinions publiques pour les amener à «agir», même a minima, est quelque chose
de très difficile à obtenir.
Gilles Paris, qui s'interroge sur l'identité de la «mouvance
pro-palestinienne», avait pourtant signalé quelques semaines plus tôt (avant
l'attaque israélienne), un
sondage réalisé par la BBC:
«Un sondage
de la BBC publié le 19 avril témoigne de la mauvaise image d’Israël dans le
monde. Dans un échantillon de 28 pays, l’Etat juif est rangé dans le peloton
des pays mal vus, avec la Corée du Nord, le Pakistan et l’Iran, le plus mal
classé.»
En France,
seulement 20% des répondants ont une image «plutôt positive» d'Israël, et 57%
une image «plutôt négative» de l'influence d'Israël. En Allemagne, ça monte à
13% d'image positive et 68% d'image négative. En Grande-Bretagne, 17% d'image
positive, 50% d'image négative. Vraiment, il faudrait se poser la question:
«Qui est cette mouvance pro-israélienne ultra-minoritaire qui peine à
atteindre les 20% dans les pays européens?» Quand nombre de nos politiciens
proclament leur «amitié» pour Israël, ils parlent pour qui?
Même aux États-Unis, seul pays où l'image d'Israël est plus positive que
négative (et où le discours politique est orienté à sens unique d'une manière
stupéfiante), les chiffres ne sont pas si bons: certes 40% d'image positive,
mais tout de même 31% d'image négative. Au Canada, seulement 23% d'image
positive et 38% d'image négative.
L'un des sondages les plus spectaculaires a été publié à
l'initiative de la Commission européenne (qui n'est pas, à ma
connaissance, membre de la «mouvance pro-palestinienne») en octobre 2003.
C'est-à-dire bien avant les guerres de 2006 et les massacres qui se sont
succédés depuis.
À la question: «Pour chacun des pays suivants, dites-moi si, selon vous, il
représente ou non une menace pour la paix dans le monde?», c'est Israël qui a
obtenu le plus mauvais score: 59% des Européens interrogés (55% des Français)
estiment qu'Israël représente une menace pour la paix dans le monde. Aucun
autre pays proposé n'obtient un aussi mauvais score (même l'Iran, même la
Corée du Nord, même les États-Unis de Bush).
Plus précisément: Israël représente-il une menace pour la paix dans le monde?
· 18%
Oui, tout à fait
· 41%
Oui, plutôt
· 24%
Non, plutôt pas
· 13%
Non, pas du tout.
J'insiste:
la question est très spécifique. Elle ne demande pas si les gens ont une
image «plutôt négative» d'Israël, mais si Israël constitue une «menace pour
la paix dans le monde». C'est donc un résultat particulièrement spectaculaire
à une question extrêmement forte.
À noter:
· Même
chez ceux qui, à l'époque, trouvent l'intervention en Irak justifiée, 57%
considèrent qu'Israël est une menace; peu de différence avec ceux qui
trouvent l'intervention non justifiée.
· Plus
le niveau d'éducation augmente, et plus Israël est considéré comme une menace
(passant de 50% à 66%).
Ces
derniers points sont assez remarquables. Contrairement à l'image très
répandue, d'une «élite» pro-israélienne, représentant l'opinion majoritaire,
opposée à une «mouvance» populiste et jouant sur un antisémitisme inavoué,
plus les gens sont instruits, plus ils considèrent qu'Israël est un danger
pour la paix.
Par ailleurs, contrairement à la présentation de Gilles Paris (une mouvance
politiquement motivée contre l'axe américano-israélien), on obtient quasiment
le même jugement négatif à l'encontre d'Israël chez ceux qui soutiennent
l'intervention en Irak et ceux qui s'y opposent. Si les «Français
pro-palestiniens» étaient bien cette mouvance qu'il décrit (axe gauchiste
anti-américain), on aurait une forte adéquation entre méfiance envers Israël
et condamnation de l'intervention américaine en Irak; adéquation qu'on ne
retrouve que marginalement dans les chiffres.
J'aimerais savoir, Gilles Paris, si ces 59% d'Européens qui considèrent
qu'Israël menace la paix dans le monde (aucun pays n'obtient un aussi mauvais
score) constituent ce que vous appelez «la mouvance pro-palestinienne»?
Pourriez-vous enquêter sur les motifs de cette minorité de seulement 37%
d'Européens qui pensent qu'Israël ne constitue pas une menace contre la paix,
ces seulement 20% qui en ont une opinion «plutôt positive»? Sont-ils une
mouvance, ont-ils un agenda politique inavouable, dans quelle mesure
recoupent-ils les opinions racistes et islamophobes en Europe?
|