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Article paru
dans l'édition du 03 juin 2010 La cause palestinienne, victime de son
internationalisation Par Gilles Paris L'odyssée tragique de la
flottille internationale pour Gaza a soulevé une question. Qui parle
aujourd'hui au nom des Palestiniens ? En théorie, les choses sont on ne peut
plus claires. Depuis la défaite arabe de 1967 face à Israël, l'Organisation
de libération de la Palestine (OLP) est leur représentant « légal »,
jouissant d'un statut d'observateur aux Nations unies. L'OLP a été reconnue
comme tel par Israël en 1993. Depuis la même date, l'OLP dispose sur le terrain
d'un bras exécutif, l'Autorité palestinienne, d'un président, Mahmoud Abbas,
d'un premier ministre, Salam Fayyad, et même d'un gouvernement. Sauf que
Ramallah, la ville palestinienne dans laquelle est confinée cette Autorité, a
de plus en plus les allures de capitale (provisoire) Potemkine. Alors qu'Israël mène la
bataille contre les tentatives de délégitimation qu'il croit percevoir
derrière les discours critiques de sa politique dans les territoires
palestiniens, l'Autorité palestinienne et l'OLP luttent contre un effritement
constant de leur propre légitimité. La contestation la plus directe vient des
territoires palestiniens. Elle est portée par le Hamas, qui, depuis sa
création, en 1987, n'a cessé de gagner en puissance, jusqu'à pouvoir expulser
de Gaza, en juin 2007, un exécutif discrédité, en dépit de services de
sécurité pléthoriques. Si le triomphe du Hamas aux
élections de 2006 pouvait surtout s'expliquer par un vote de rejet des «
sortants », le mouvement islamiste n'en dispose pas moins d'un noyau dur qui
représente sans doute entre un quart et un cinquième de la population de Gaza
et de Cisjordanie. L'Autorité a aussi de plus
en plus de mal à convaincre de son utilité la fraction de la société que
révulse tout autant le conservatisme du Hamas et son mode de fonctionnement.
Une fraction silencieuse par défaut, qui n'a jamais pu s'incarner dans une «
troisième voie », agglomérant les porte-parole les plus brillants d'une
société civile dont l'influence culmina sans doute lors de la première Intifada,
au zénith du mouvement national palestinien. Le paradoxe est cruel. Ce
mouvement national, né dans les camps de réfugiés qui ont essaimé sur le
pourtour d'Israël, est aujourd'hui conduit par la génération qui s'y forgea
mais qui leur tourne le dos. Depuis la disparition de Yasser Arafat, sans
doute plus petit commun dénominateur pour des forces composites, mais dont la
plasticité politique pouvait embrasser pratiquement toutes les postures, de
celle de l'internationaliste à celle du musulman quasi bigot, la direction
palestinienne, incarnée par M. Abbas, dont le mandat de président court par
défaut, faute de pouvoir organiser des élections à Gaza comme en Cisjordanie,
ne cesse de se rétracter. Recroquevillée sur la
Cisjordanie, elle ne peut mettre en avant que la reconnaissance que lui
confèrent les parrains internationaux du processus de paix et le soutien
budgétaire (notamment européen) qui va de pair. Les fonctionnaires
palestiniens savent d'où proviennent leurs salaires. L'Autorité
palestinienne, mal nommée, qui ne pourrait tenir sans cette aide massive en
dépit d'une amélioration de l'économie en Cisjordanie, est ainsi un pouvoir
durablement faible. Cette faiblesse a libéré un
espace pour tout acteur capable ou désireux de se saisir du dossier palestinien.
Sans aller jusqu'à un retour aux années qui avaient suivi la création
d'Israël, en 1948, pendant lesquelles la cause palestinienne fut le jouet
presque exclusif des puissances arabes environnantes, la « dépalestinisation
» de ce mouvement, selon l'expression de l'historien Jean-François Legrain,
ne cesse de gagner du terrain. Les pays occidentaux
avaient ouvert la brèche en imposant à Arafat des aménagements
institutionnels (la création d'un poste de premier ministre) à une époque (en
2002) où la création éventuelle d'un Etat palestinien passait officiellement,
à Washington, par l'éviction de la direction historique. Lorsque les deux
principales factions palestiniennes s'affrontèrent dans une quasi-guerre
civile, en 2007, ce fut le royaume saoudien qui intervint pour imposer une
médiation indispensable à la relance de l'Initiative arabe, historique à plus
d'un titre, du roi Abdallah en direction d'Israël. La gestion de la
réconciliation interpalestinienne passa ensuite dans les mains de l'Egypte,
avec le souci manifeste, vu les résultats, de contenir le mouvement
islamiste, épigone des Frères musulmans égyptiens. Aujourd'hui, c'est au tour
du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, de se poser en défenseur de
la cause palestinienne à un moment où la Turquie ne fait plus mystère de ses
ambitions régionales et joue de ses bonnes relations avec les poids lourds
arabes proches des Occidentaux (Arabie saoudite et Egypte) comme avec la
Syrie et l'Iran. L'utilisation du mouvement
national palestinien (que l'on constate également dans la rhétorique du
Hezbollah, voire d'Al-Qaida) se fait à ses dépens, puisqu'elle s'inscrit dans
une politique globale dans laquelle il n'est souvent qu'instrumentalisé. Et
elle affaiblit encore plus une direction palestinienne qui doit composer avec
des mots d'ordre qu'elle ne contrôle plus, comme on a pu le constater avec la
flottille pour Gaza. |