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Manuel
Musallam : "Il faut sortir de la guerre de religions" Par
Josyane Savigneau Dans votre livre
d'entretiens avec Jean-Claude Petit, "Curé à Gaza" (éditions de
l'Aube, 208 p., 18 euros), l'un des maîtres mots est
"réconciliation". Or la violence est constante. Croyez-vous
toujours à la paix entre Israéliens et Palestiniens ? Comme prêtre, et sans être
prophète, j'essaie de considérer les choses sur le long terme. Aujourd'hui,
on le voit encore avec le raid israélien contre la flottille humanitaire le
31 mai, la paix est impossible. Je crois qu'Israël bloque tout. Il y a des
Israéliens et des Palestiniens de bonne volonté, qui, pour l'heure, ne
peuvent pas grand-chose contre les fanatiques de tous les camps. Mais la paix
finira par arriver. On entend et on lit des choses terribles,
par exemple que les lieux saints chrétiens et musulmans sont des lieux
païens. Il y a des gens qui ne pensent qu'à exclure et à avancer vers le
Grand Israël, vers un Etat pur. Il faut arrêter cela. Mais d'abord il faut
des frontières claires. En ce moment, on peut se demander où est Israël ?
Est-ce l'Israël d'occupation ? Est-ce celui des frontières de 1967 ? Est-ce
l'Israël d'Oslo ? C'est un Etat qui flotte. Chez nous, ce qui n'a rien à voir
avec ce qu'on entend à l'extérieur, on ne dit plus Israël/Palestine, on dit
chrétiens/musulmans/juifs. Il faut sortir de la guerre de religions. Selon vous, la paix ne
pourra-t-elle être envisagée que lorsqu'on aura réglé la question de
Jérusalem ? Jérusalem est la clé de la
paix. Il faut que cette ville ait un statut particulier, pour qu'aucune
nation ne puisse l'annexer, ou prendre le glaive pour, comme on disait
autrefois, la libérer. Les trois religions sont là-bas chez elles. Mais il
faut aussi résoudre le problème de l'occupation en général. C'est comme un
cancer. Si on en finit avec l'occupation, on enlève la maladie. En ce moment,
la maladie est à Jérusalem, à Gaza, en Cisjordanie... Peut-on retrouver une
certaine sérénité ? Il le faut pour penser l'avenir. Et il faut cesser de
diaboliser les musulmans. Vous êtes palestinien et
catholique, donc minoritaire. Comment vivez-vous cela ? Je suis palestinien, je
suis arabe, je suis chrétien, catholique, et je suis prêtre. Mais pas pour
défendre une minorité. Je dois annoncer et vivre le message d'universalité de
l'Evangile. C'est pourquoi j'ai créé et dirigé une école qui accueillait les
enfants de toutes les religions. Il y avait environ cent cinquante chrétiens
et un millier de musulmans. Je travaillais pour mon peuple, pas pour une
communauté. Le terrain avait été donné par Yasser Arafat, la construction a
été financée par l'Espagne, et la direction était catholique. C'était une école qui se
voulait novatrice en matière de pédagogie. Nos pères et nous, nous
avons vécu dans l'humiliation et la pauvreté. Il faut aider les jeunes à
rompre avec ce sentiment, leur donner un avenir. L'éducation est une des
manières de leur permettre d'avoir un avenir. De les convaincre qu'il faut
changer de mentalité, d'habitudes, de vision. Et que la guerre n'est pas une solution.
Pour préparer un monde nouveau, il faut dès maintenant préparer les enfants
qui seront les leaders de demain. Et les convaincre qu'il ne s'agit pas de
mourir pour la Palestine, pour la libérer, mais qu'il faut vivre pour la
Palestine, pour la développer. Il faut d'abord essayer de cohabiter avec
Israël, de coexister. C'est le premier pas. Deux Etats, c'est la première
étape. Mais pour le futur, il faut encore autre chose. Il ne faut pas
continuer à seulement coexister, coopérer. Il faut vivre ensemble, exister
ensemble. Devenir un peuple. Evidemment, les chrétiens
et les musulmans n'ont pas la même position sur le sujet. Pour les chrétiens,
il faut faire à la fois justice, vérité et réconciliation. C'est le message
du Christ. Pour les musulmans, il faut absolument les droits d'abord et la
paix ensuite. Le Fatah est plutôt sur la position des chrétiens : on n'a pas
d'autre choix que les pourparlers. Le Hamas a la position inverse : il veut
la justice d'abord. Mais le Hamas n'est pas tout le peuple palestinien, ce
n'est pas avec lui qu'Israël doit discuter. Pourquoi, alors que vous
avez vécu en Palestine, vous sentez-vous un exilé ? Je ne me sens pas de
racines. L'histoire de ma famille est une histoire de personnes déplacées.
Mon grand-père, en 1917, a dû quitter Bir Zeit, qui était pris sous le feu
des Anglais et des Turcs. Avec mon père, qui avait 1 an et demi et était très
fragile. On pensait qu'il n'allait pas survivre. Je suis le produit de cet
exil. Et puis j'ai vu la guerre. Ordonné prêtre, j'ai été envoyé en
Transjordanie. J'y ai vu la guerre de 1967. J'ai perdu mes papiers. Puis je
suis resté vingt-cinq ans à Zababdeh (Cisjordanie), toujours sans papiers,
enfin je suis allé à Gaza et j'ai eu une carte d'identité. J'ai quitté Gaza
en 2009, et je suis revenu à Bir Zeit, le lieu familial. Mais je dois obtenir
d'Israël, tous les trois mois, un permis de séjour. Il est possible qu'on me
renvoie à Gaza. Il faut des permis pour sortir de tous les lieux... Je suis
donc toujours un exilé. Les juifs israéliens sont
souvent des exilés aussi. Les comprenez-vous ? S'ils continuent ainsi, ils
resteront à jamais des exilés. Pour en finir avec cela, il faut construire
une maison ensemble. Les Européens et les
Américains vous semblent avoir une responsabilité dans la situation au
Proche-Orient. Qu'attendez-vous d'eux ? Ils ne font pas grand-chose
pour que les résolutions des Nations unies soient appliquées. Par exemple, à
propos du mur. Il y a une résolution qui dit qu'Israël doit en revenir aux
frontières de 1967. Elle reste lettre morte. De même, que fait-on pour
résoudre la question du statut de Jérusalem ? Nous, Palestiniens, avons le
sentiment que les résolutions internationales sont appliquées partout sauf
chez nous. Et nous ne menaçons pas la sécurité d'Israël. En 1995, quand vous avez
pris vos fonctions à Gaza, c'était un moment d'espoir. Pas vraiment. Déjà à ce
moment-là, on ne pouvait pas circuler librement. Cependant, après les accords
d'Oslo, il y avait tout de même un espoir de développement. Israël avait
l'homme qui pouvait faire avancer les choses, Rabin. Il a été assassiné. Il a
quand même laissé une sorte de trésor, un testament qu'il faudrait respecter.
En 1995, en effet, à Gaza, malgré les difficultés, on construisait, on
jouait, on chantait. Moi j'ai formé des scouts et organisé des fêtes. J'ai
appris à des jeunes le folklore palestinien. Malheureusement, aujourd'hui, il
ne reste rien de tout cela. Tout est à refaire. Pourquoi vous a-t-on fait
quitter Gaza ? Ce n'est pas la bonne
question. La question est : "Pourquoi n'ai-je pas été remplacé par un
prêtre arabe palestinien ?" C'est un Argentin. Pensait-on que vous étiez
trop engagé politiquement et qu'il fallait à Gaza un prêtre plus neutre ? J'ai contesté la visite du
pape en Israël. J'avais écrit à Benoît XVI pour lui demander de passer par
Gaza. Pour moi, ne pas y être venu est une gaffe de l'Eglise. Je ne me suis
pas opposé au pape, je l'aime et je le respecte. Mais j'étais contre le plan
de sa visite. Il a donné trois jours aux Jordaniens, trois jours aux
Israéliens, mais pour les Palestiniens, il n'a fait qu'une messe dans un
camp. Ce n'était pas suffisant, je l'ai dit et écrit. La hiérarchie de
l'Eglise n'a pas apprécié ma liberté de parole. Que faites-vous désormais ? Depuis, je suis à Bir Zeit,
le Fatah m'a confié un poste. Dans sa commission des relations
internationales, je suis président du département chrétien. Je dois m'occuper
des relations avec les chrétiens du monde entier. J'ai pour cela un bureau à
Ramallah et j'en ai ouvert un à Bir Zeit. Dans le comité islamo-chrétien, où
j'ai été nommé par le président de l'Autorité palestinienne, je dois aussi
nouer le dialogue avec les musulmans du monde, et suivre le développement du
dialogue entre musulmans et chrétiens au niveau mondial. Nous préparons dans
ce cadre une conférence sur l'avenir de Jérusalem. |