Flottille de Gaza :
les citoyens du monde doivent réagir là où les gouvernements
ont échoué
Par
Stéphane Hessel,
survivant de l’Holocauste, militant des droits de l’Homme,
diplomate
15 juin 2010, traduit de The Huffington Post
en
anglais : http://www.huffingtonpost.com/stephane-frederic-hessel/gaza-flotilla-global-citi_b_612865.html)
L’attaque illégale et
immorale d'Israël contre le convoi d’aide humanitaire de la Flottille de la
Liberté, qui a fait au moins neuf morts et des dizaines de blessés, a, à
juste titre, stupéfié le monde. Le convoi entièrement civil de 6 bateaux
transportait plus de 10 000 tonnes d'aide humanitaire cruellement nécessaire,
et près de 700 citoyens de 40 pays. La Flottille était une tentative
ambitieuse de briser le siège imposé par Israël depuis 2007 à 1,5 million de
Palestiniens de la bande de Gaza occupée. Avec à son bord d’éminents
parlementaires, chefs religieux, écrivains, journalistes, un Prix Nobel de la
Paix et un survivant de l'Holocauste, le convoi humanitaire visait non
seulement à fournir des secours à Gaza ; il cherchait à attirer
l’attention internationale sur la crise humanitaire imposée aux habitants de
Gaza et sur l'impératif d'y mettre fin. Il est indéniable que ce dernier
objectif a réussi, mais avec des conséquences tragiques.
L'attaque israélienne contre le convoi d'aide non armé dans le s eaux
internationales a été « une violation [flagrante] du droit international
humanitaire, du droit international maritime, et [selon la plupart des
interprétations] du droit pénal international », pour reprendre les mots
de Richard Falk, professeur de droit international et rapporteur spécial des
Nations Unies sur les Droits de l'Homme dans les territoires palestiniens
occupés. Il est triste de constater que les gouvernements du monde sont
devenus depuis trop longtemps complices ou apathiques envers les crimes
d'Israël et ont renforcé sa culture de l'impunité, sous le bouclier de
soutien incontestable des États-Unis. Malgré sa condamnation initiale, le
gouvernement des Etats-Unis a fait pression sur les membres du Conseil de
Sécurité de l'ONU, à nouveau, pour adopter un langage ambigu qui allège
Israël de toute responsabilité et renvoie dos à dos l'agresseur et la
victime.
Typiquement, le gouvernement israélien a accusé le s victimes de son raid
d’avoir attaqué les soldats israéliens, prônant la « légitime
défense ». L'éminent expert juridique et directeur du Centre de droit
international de Sydney à l’Université de Droit de Sydney, le professeur Ben
Saul, réfute carrément l’affirmation d'Israël en argumentant :
« Juridiquement parlant, les forces militaires gouvernementales qui
arraisonnent un bateau pour le capturer illégalement ne sont pas traitées
différemment d’autres criminels. Le droit à la légitime défense dans de
telles circonstances est du côté des passagers à bord: une personne a
légalement le droit de résister à sa propre capture, enlèvement et détention
illégaux. » Il ajoute que « si les forces israéliennes ont tué des
gens, ils n’ont pas seulement enfreint le droit humain à la vie, mais ils
peuvent aussi avoir commis de graves crimes internationaux. Selon l'article 3
de la Convention de Rome pour la répression d'actes illicites contre la
sécurité d e la navigation maritime de 1988, c’est un crime international,
pour toute personne, de saisir ou d’exercer un contrôle sur un navire par la
force, et c’est aussi un crime de blesser ou tuer une personne dans le
processus. »
Malgré la déclaration du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon appelant à
mettre fin au siège illégal de Gaza par Israël, le Conseil de sécurité n'a
pas réussi à appeler à la fin inconditionnelle du blocus, autorisant ainsi
Israël à commettre en toute impunité de graves crimes de guerre, également
bien documentés dans le rapport Goldstone des Nations Unies.
L'absence d'action significative de la part des gouvernements pour rendre
Israël responsable devant le droit international laisse ouverte une voie pour
les citoyens de conscience : celle de prendre eux-mêmes cette responsabilité,
comme cela a été fait contre l'apartheid en Afrique du Su d. Les initiatives
non-violentes menées par les citoyens, dont la Flottille et les multiples
campagnes de boycott et de désinvestissement dans le monde entier sont des
exemples, présentent la façon la plus prometteuse de surmonter l'échec des
gouvernements du monde à résister à l'intransigeance et au comportement
débridé d'Israël. En attaquant de façon flagrante le bateau humanitaire,
Israël a provoqué par inadvertance une prise de conscience et une
condamnation sans précédent non seulement de son siège fatal de la bande de
Gaza, mais aussi du contexte plus large des pratiques de l'occupation
israélienne dans les Territoires palestiniens, de sa négation des droits des
réfugiés palestiniens et de sa politique d'apartheid contre les citoyens
indigènes « non-juifs » d'Israël.
La Flottille de la Liberté rappelle le genre d'initiatives de solidarité de
la société civile qui a mis fin aux lois de ségrégation aux États-Unis et à
l'a partheid en Afrique du Sud, une analogie impossible à ignorer. Comme pour
le régime d'apartheid en Afrique du Sud, la réaction d'Israël a été de
qualifier cet acte non-violent de
« provocation intentionnelle ». Comme dans le cas de l'Afrique
du Sud, l'appel à la solidarité internationale, sous forme de Boycott,
Désinvestissement et Sanctions (BDS) provenait d'une écrasante majorité de
syndicats et d’organisations de la société civile palestinienne en 2005, et
est en train d’être adopté par des citoyens de conscience et des mouvements
sociaux du monde entier. L'initiative BDS appelle à isoler efficacement
Israël, ses institutions complices économiques, universitaires et
culturelles, ainsi que les entreprises qui profitent de ses violations des
droits de l'Homme et de ses politiques illégales, aussi longtemps que ces
politiques continueront.
Je crois que l'initiative BDS est une stratégie morale qui a démontré son
poten tiel de réussite. Plus récemment, la Deutsche Bank allemande a été
la dernière de plusieurs institutions financières et grands fonds de pension
européens à se désinvestir du fabricant d’armes israélien Elbit Systems. La
semaine dernière, deux chaînes majeures de supermarchés italiennes ont
annoncé un boycott des produits provenant des colonies illégales
israéliennes. Le mois dernier, les artistes Elvis Costello et Gil Scott-Heron
ont annulé leurs représentations en Israël. Inspirée de la lutte populaire
anti-apartheid sud-africaine, la génération actuelle d'étudiants dans les
campus universitaires appelle activement leurs administrations à adopter des
politiques de désinvestissement.
Je soutiens les mots sincères de l'écrivain écossais Iain Banks qui, en
réaction à l'attaque atroce d'Israël de la Flottille de la Liberté, a suggéré
que la meilleure façon pour les artistes, écrivains et universitaires
internationaux de « convaincre Israël de sa dégradation morale et de son
isolement éthique » est « tout simplement de ne plus rien avoir
à faire avec ce gouvernement criminel. »
Stéphane Frédéric Hessel
est un diplomate, ancien ambassadeur, résistant français et agent du BCRA. Né
en Allemagne, il obtint la nationalité française en 1937. Il a participé à la
rédaction de la Déclaration Universelle
|