Article paru
dans l'édition du 18 juillet 2010, page 13
Israël doit se
réapproprier son destin !
Le refus de négocier avec le Hamas est une erreur
Par David Grossman, écrivain
Au lieu de tergiverser sur le nombre et l'identité des
prisonniers du Hamas qui seront ou non libérés en échange de Gilad Shalit
- ils finiront bien par l'être un jour ou l'autre -, Israël ferait mieux
de se tourner vers le Hamas avec une proposition plus ambitieuse : un
protocole d'accord qui imposerait un cessez-le-feu total, mettrait un
terme aux activités terroristes de Gaza et lèverait le siège. Le sort de
Gilad Shalit et des prisonniers du Hamas ne serait ici qu'une clause
parmi d'autres, destinée à être appliquée dès l'ouverture des
négociations.
Dans
le contexte que nous ne connaissons hélas !, que trop, une telle idée
peut sembler irréaliste. Mais l'est-elle vraiment autant ? Encadrés par
des médiateurs internationaux, Israël et le Hamas ne pourraient-ils
atteindre ce genre de compromis, partiel mais néanmoins effectif ? Ne
pourrait-on arguer que les négociations en cours avec le Hamas "
légitiment " déjà une organisation terroriste ?
Israël
ne parviendra pas à obtenir une paix durable avec le Hamas dans un avenir
proche, ni même peut-être lointain. Mais pourquoi ne pas essayer
d'accomplir au moins ce qui est possible à l'heure actuelle ? Qui nous
dit que le Hamas n'est pas assez mûr et même souhaite un geste pour sortir
de la camisole qu'il a nouée autour de lui - et de son attitude butée de
refus ?
Il
est désolant de voir Israël s'enliser dans les mêmes schémas : le refus
de reconnaître l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme
un interlocuteur, l'évacuation des colonies du Goush Katif, en 2005, le
retrait précipité du Liban, et en 2010, enfin, l'affaire de la flottille
qui l'a obligé à desserrer le blocus de Gaza. Pendant des années, Israël
a campé sur ses positions et a joué des muscles, bien décidé à ne rien
céder, jusqu'à ce que la situation s'inverse du jour au lendemain. Quand
le sol, ou plutôt la mer, se dérobe sous ses pieds, Israël se trouve
acculé à des concessions bien plus importantes que celles qu'auraient
amenées des négociations.
Jusque
dans la triste affaire de Gilad Shalit, il semblerait que l'histoire se
répète. Mais cette fois-ci, alors que l'une et l'autre parties piétinent
et qu'aucune solution ne se profile, peut-être aurons-nous le courage de
lever nos œillères, de nous dégager de notre carcan et de prendre enfin
l'initiative (mot trop longtemps oublié !).
Le
Hamas est un gouvernement de fanatiques, coutumier de pratiques odieuses
et inhumaines, même envers les Palestiniens. Mais cela justifie-t-il la
paralysie israélienne ? En fait, celle-ci relève d'un mécanisme dans
lequel Israël est contraint de céder du terrain sans rien recevoir en
retour, comme l'ont montré le désengagement du Goush Katif et l'affaire
de la flottille. Dans cette situation calcifiée, personne ne bouge,
personne ne se décide à enclencher un processus qui pourrait obliger le
Hamas à changer ses méthodes. A terme, cela revient à nier notre liberté
d'action.
Les
arguments martelés au public israélien pour le convaincre que les
négociations avec le Hamas risquent de saper la position des leaders
palestiniens modérés en Cisjordanie doivent être réévalués. Il se peut au
contraire que des négociations avec le Hamas amènent les représentants de
l'Autorité palestinienne à accélérer le processus de paix... Une
dynamique de réconciliation viendra-t-elle apaiser les tensions entre les
deux partis palestiniens antagonistes, seule condition pour qu'un accord
de paix puisse s'inscrire dans la durée, même avec Mahmoud Abbas ?
Il
n'est pas irréaliste de supposer que le meilleur moyen de brider la
puissance et l'influence du Hamas à Gaza et de les ramener
progressivement dans des limites raisonnables consiste à promouvoir la
paix, la prospérité et la construction de l'Etat pour les Palestiniens de
Cisjordanie. Si certains partisans du Hamas à Gaza finissent eux aussi
par avoir confiance en l'avenir, le fondamentalisme et le fanatisme
religieux et nationaliste s'épuiseront. Même à supposer le retour à Gaza
de tous les prisonniers du Hamas, ceux-ci ne reprendraient pas forcément
leurs activités terroristes.
Ce
sont là des réflexions avec lesquelles on peut être d'accord ou non, ou
que l'on peut ignorer. Mais, au-delà de ces suggestions elles-mêmes, je
voudrais insister sur le phénomène qui les suscite : le sentiment que,
depuis plusieurs années, Israël se laisse gagner par une sorte de torpeur
qui tend à l'apathie, au désarroi et même à une perte de l'instinct de
survie. Voilà le véritable danger qui menace Israël, et qui est bien plus
destructeur que le Hamas.
Il y
a longtemps que le premier ministre aurait dû rassembler les pièces du
conflit pour essayer de redonner forme à tous ces débris épars, aussi
désespérants soient-ils. Pourquoi Israël, le pays le plus puissant de la
région, ne cherche-t-il pas à se réapproprier son destin et à prendre des
initiatives, au lieu d'abandonner son avenir aux mains des autres ?
Pourquoi polémiquer à n'en plus finir sur des détails ?
En
fin de compte, la tendance des dirigeants israéliens à trouver des
raisons et des excuses à leur inertie, leur incapacité à distinguer les
problèmes et dangers réels des problèmes et dangers imaginaires,
conduisent Israël à opposer un " non " retentissant à la
réalité et aux opportunités qui peuvent parfois se présenter. Or ce refus
est au-dessus de nos moyens. Ne serait-ce qu'en termes de survie.
Qu'attendons-nous pour nous secouer et lever le siège que nous nous
sommes imposé à nous-mêmes depuis si longtemps ?
Traduit
de l'anglais par Myriam Dennehy
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