Article
paru le 2 Aout 2010 – Page 10
Elias Sanbar : « Israël
ou l’ivresse de la force depuis des années »
Entretien réalisé par Pierre Barbancey
Elias Sanbar est ambassadeur
de Palestine auprès de l’Unesco et écrivain, auteur récemment du Dictionnaire
amoureux de la Palestine (1). Il évoque l’État israélien, le processus de
paix et l’attitude des États-Unis et de l’Union européenne vis-à-vis du
Proche-Orient.
Quel est
le
climat qui règne actuellement
en Israël et dans les
territoires palestiniens depuis l’attaque israélienne
contre
la flottille humanitaire qui se rendait à Gaza (mai 2010) ?
Elias Sanbar. Pour le
comprendre, je crois qu’il faut d’abord entendre ce qu’un certain nombre de
citoyens israéliens disent. En les écoutant, on voit bien que les
commentaires venant du côté palestinien, arabe ou même international ne sont
pas exagérés. Il existe aujourd’hui, en Israël, de nombreuses critiques
contre cette opération. Comme il existe dans ce pays une vague de mises en
garde de citoyens israéliens aux autorités, se demandant si la politique
menée par le gouvernement n’est pas en train de mener vers l’abîme.
« Dans ce sentiment d’impunité absolue, est-ce qu’on n’est pas en train
de changer l’image d’Israël et sa place dans le concert des nations ? »
C’est ce que l’on entend dans la presse israélienne.
Pourquoi en est-on là ?
Elias Sanbar. Ce qui
s’est passé est le fruit de plusieurs vecteurs. Il y a tout d’abord l’ivresse
de la force de la part d’Israël depuis des années. Cette ivresse l’a conduit
à de graves erreurs politiques. Israël est également, à chaque fois,
convaincu de son impunité. En règle générale, les responsables israéliens
estiment que les commentaires ou les condamnations, qui peuvent être faits,
passeront comme tous les autres. Autre chose, la plus grave, fruit d’un
calcul cynique derrière cette opération contre un convoi humanitaire qui est :
« Que faire ? » Une question permanente chez les
responsables israéliens. « Que faire pour que les Palestiniens ne
puissent plus négocier avec nous et montrer aux Américains que nous n’avons
pas de partenaire ? » C’est ce que cherche le
gouvernement israélien d’extrême droite. « Comment en finir avec les
pressions américaines ou européennes pour aller de l’avant et signer un
certain nombre d’accords avec les Occidentaux ? » Cette
opération devait, entre autres, rendre intenable non pas la position du Hamas
(le Hamas est encerclé à Gaza et n’est pas dans la négociation) mais la
situation de ceux qui, précisément, négocient. D’ailleurs, dès l’attaque, les
réactions en Palestine et dans les pays arabes ont été d’appeler à la
négociation avec Israël. Cette cible a été en partie atteinte et en partie
confortée par le fait que, quoi qu’on dise, il n’y a pas eu d’actions
vraiment coercitives vis-à-vis d’Israël après cet acte de piraterie.
Vous parlez de gouvernement
israélien « d’extrême droite ». Pourtant, la guerre menée contre
la bande de Gaza n’était-elle pas le fait de ce gouvernement même si le
ministre de la Défense, Ehoud Barak, est le même ?
Elias Sanbar.
Personne ne peut nier que ce gouvernement est un gouvernement d’extrême
droite. Que ce soit la somme de toutes les tendances existantes ou une
adhésion de toutes ces tendances à ces orientations, en tout cas, le résultat
est là. C’est une politique d’extrême droite menée contre toute négociation,
contre tout retrait des territoires occupés, qui se caractérise par un appui
au mouvement des colons. On dit toujours que la majorité des Israéliens sont
pour la paix. Peut-être. Mais, là encore, nous n’en sommes qu’au niveau des
déclarations ou des actes de foi. Nous ne voyons pas d’actions en ce sens. Si
cette majorité pour la paix existait, elle n’aurait pas élu des hommes comme
Lieberman ou Netanyahou dont le programme était très clair. Que les
Israéliens aient, comme tout le monde, des espoirs dans la paix, j’en suis
convaincu. Mais agissent-ils dans ce sens ? J’ai des doutes…
Personne n’agit ?
Elias Sanbar. Si,
bien sûr, une petite frange. Celle qui a des doutes sur l’action israélienne,
qui se prononce pour deux États et qui est d’autant plus respectable et
admirable qu’elle est isolée. Un journaliste du Yediot Aharonot relevait
récemment qu’il y avait un certain nombre de convictions dans la société
israélienne. Celle-ci est convaincue, dans son immense majorité, parce qu’on
le lui a répété pendant des décennies, que la totalité des territoires lui
appartient – et non qu’elle les occupe – et qu’elle est en train de
faire un cadeau aux Palestiniens. Ceux-ci sont dans l’ingratitude. Parce
qu’Israël leur donne. Israël ne se retire pas. C’est dire en même temps :
« Je suis pour la paix, mais ce n’est pas moi qui la fais, je la donne.
Que les autres se contentent de ce qu’on leur donne et qu’ils disent
merci. »
Que pensez-vous de l’attitude
américaine et de celle
de l’Union européenne ?
Elias Sanbar. Les
États-Unis sont à une croisée des chemins. Que comptent-ils faire ?
Continuer dans une position dont on ne voit pas la teinte véritable et
prendre le risque d’une détérioration gravissime de la situation régionale,
ce qui est en train d’arriver à grands pas. Ou agir en affrontant une partie
de leur opinion publique. Vont-ils continuer à attendre pendant que
la
situation se détériore? C’est la question qui est posée. Du côté de l’Europe,
il y a bien sûr de la déception. Depuis vingt ans nous sommes dans des
déclarations d’intentions.
Les autorités officielles n’ont rien fait.
Les véritables actions proviennent des associations ou des syndicats, comme
les dockers suédois
qui refusent de décharger les bateaux
israéliens.
(1) Éditions Plon, 2010.
481
pages.
24,50 euros.
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