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Des Livres daté du 13 août 2010
Raja Shehadeh Le Palestinien
voyageur
Jeune adolescent dans les années 1960, Raja Shehadeh aimait
cavaler dans les terrasses de Batn Al-Hawa (" le ventre du vent
"), l'oued qui borde le flanc ouest de Ramallah, en Cisjordanie. Le
visage fouetté par l'air du large qui s'engouffre dans cet entonnoir, le
jeune homme gambadait sur les murets de pierres qui descendent vers la plaine
côtière avant de remonter quatre à quatre pour ne pas rater le coucher du
soleil. Ce rituel, Raja Shehadeh ne peut plus s'y livrer avec la même
insouciance. Les années qui ont passé, les rides qui ourlent son regard
mi-rieur mi inquiet, n'en sont pas vraiment la raison. A mi-chemin de la
vallée, il y a désormais une route, qui relie la colonie juive de Beit El à
celle de Dolev, dont les toits de tuile rouge percent au milieu des sapins,
sur une colline avoisinante. Sur cette route, il y a souvent des soldats,
parfois un barrage. La course folle de sa jeunesse, sur une terre qui
semblait sortie tout droit d'un chromo biblique, s'est transformée peu à peu
en une marche à tâtons sur un terrain miné, fragmenté par les check points et
défiguré jour après jour par les pelleteuses israéliennes. C'est ce bouleversement géographique, ce lent effacement du
paysage traditionnel de la Palestine intérieure, qui forme la trame de Naguère
en Palestine, le dernier ouvrage de Raja Shehadeh, avocat de profession
et écrivain, qui fut le fondateur d'Al-Haq, une ONG pionnière en matière de
défense des droits de l'homme dans les territoires occupés. La version
originale, publiée en 2007 en anglais, a reçu le prix Orwell. En six
chapitres, qui couvrent les trente dernières années de sa vie et sont chacun
centrés sur le souvenir d'un " sarha ", ces promenades qu'il
affectionne, l'auteur raconte comment les Palestiniens ont perdu la bataille
de la terre. Dans les défilés rocheux du désert de Judée et les champs de
coquelicots des hauteurs de Ramallah, il dépeint un âge d'or, quand les
murets des terrasses étaient encore couverts de vigne, de plants de tomates
ou de concombres. Son écriture sent la camomille et le romarin, les criquets
sautillent entre les virgules. Avec l'exode rural et la concurrence du marché
du travail israélien, les paysans quittent la terre, les murets s'éboulent et
les sentiers des muletiers s'effacent. Puis la machine à coloniser se met en
branle. A chaque nouveau lacet, Shehadeh se remémore une anecdote tirée de la
bagarre acharnée qu'il mena dans les années 1980 contre les réquisitions de
terre. Il évoque notamment un conseiller juridique israélien qui se plaisait
à récolter des chardons sur les terrains lorgnés par les colons afin de
prouver au juge, en cas de recours, que le sol n'était pas entretenu et que,
par conséquent, la terre pouvait être confisquée sans porter tort à un paysan
palestinien... Promenade et méditation, intime et historique, tout se mêle. "
A bien des égards, la biographie de ces collines se confond avec la mienne, écrit
Raja Shehadeh. Les victoires et les échecs de la lutte pour sauver cette
terre sont aussi les miens. " Nul dolorisme dans ce récit. Entre deux exposés des tours de
passe-passe de la bureaucratie militaire israélienne, l'écrivain-marcheur raconte
comment il se fit aider par un soldat israélien, fusil en bandoulière, pour
gravir un rocher escarpé. Et comment, au détour d'un sentier, il dut se jeter
à terre, pour éviter une pluie de balles pas forcément tirées par ceux que
l'on aurait imaginés... Contrairement aux écrivains-voyageurs du XIXe siècle, comme
Mark Twain qui arpenta la Palestine sans voir les Palestiniens, Shehadeh pose
un regard sans oeillères sur sa terre. L'un des chapitres est consacré à sa
rencontre inopinée avec un jeune colon juif et à la joute verbale qui
s'ensuit, autour d'un narguilé parfumé au haschisch... C'est aux dirigeants de l'Organisation de libération de la
Palestine (OLP), et notamment au plus illustre d'entre eux, Yasser Arafat,
qu'il réserve ses flèches les plus acérées. Au début des années 1990, ses
mémos s'empilaient sur leurs bureaux, à Tunis, où l'OLP vivait en exil.
Instruit par les ordres d'expropriation massifs qui passaient sous ses yeux,
l'avocat expliquait comment Israël s'apprêtait à mettre la Cisjordanie en
coupe réglée. En vain. L'accord de paix d'Oslo, signé en 1993, ne concéda
aucun pouvoir de planification réel à l'Autorité palestinienne. "
Oslo a enterré ma vérité ", écrit Shehadeh, qui cessa aussitôt après
toutes ses activités publiques et s'abîma dans une longue dépression. Il s'en
extirpa grâce à la marche et à l'écriture, où il investit toute l'éloquence
qu'il réservait jusque-là aux prétoires israéliens. Benjamin Barthe
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