REPORTAGE
Ne
pas se fier aux volets baissés. Zam'n, le quartier général de la jeunesse
dorée de Ramallah, fonctionne à plein régime pendant le ramadan. A l'abri
des regards réprobateurs, ce café-restaurant continue de servir l'élite
occidentalisée des territoires occupés. Une faune en jean baggy, jupe à
fleurs ou costume-cravate, prête à payer 17 shekels (3,5 euros) pour
siroter une bière sur des canapés en cuir, avec la voie rauque d'Amy
Winehouse en musique de fond.
Rouba
et Eyad, la trentaine nonchalante, sont arrivés tôt ce dimanche 22 août
au matin, pour s'offrir un espresso avant de partir travailler. A la
télévision la veille, ils ont appris que les négociations directes avec
Israël, interrompues depuis deux ans, reprendraient le 2 septembre, avec
pour mandat officiel, la création d'un Etat palestinien au bout d'un an. "
Ça vient trop tard, soupire Rouba, vêtue d'un pantalon corsaire et
d'un chemisier mauve. Nous sommes prêts pour gérer notre Etat, les
institutions sont en place. Mais la terre nous échappe. Elle est dans les
mains de ces colons juifs dont le nombre ne cesse d'augmenter. Je ne
crois plus à l'Etat palestinien. "
Tous
les deux sont employés par Al-Siyadeh, un programme de modernisation des
douanes palestiniennes, financé par des donateurs occidentaux. Ce projet,
comme des dizaines d'autres dans le domaine de la sécurité, de la justice
ou de l'aménagement routier, participe du plan du premier ministre, Salam
Fayyad, visant à poser en Cisjordanie les fondations d'un Etat de fait.
Ne
serait-ce pas un motif d'espoir ? " La communauté internationale
peut nous donner tout l'argent qu'elle veut pour construire de nouvelles
routes, cela ne nous donnera pas un Etat ", tranche Rouba. Eyad,
en jean et chemise à carreaux, approuve sans réserve. " La clé du
conflit est dans les mains de Nétanyahou - le premier ministre israélien
- qui ne veut pas s'en servir. Il veut bien lever quelques check-points,
faciliter le commerce et envelopper le tout dans ce slogan bidon de paix
économique. Mais, nous, ce que nous voulons, c'est une paix conforme à
nos droits, pas une paix conforme aux desiderata d'Israël. "
La
pause-café est terminée. Rouba grimpe dans le 4 × 4 aux vitres teintées
d'Eyad qui s'évanouit dans la forêt de villas et d'immeubles coquets
d'Al-Teereh, le quartier résidentiel de Ramallah. Quasiment désert il y a
vingt ans, balayé par le vent qui remonte du littoral, l'endroit s'est
transformé en un immense lotissement à flanc de colline. Depuis son
épicerie, située sur la grand-route, Jamal, un gaillard au visage tanné,
a observé cette métamorphose.
"
C'est fini ou presque, dit-il. Toutes les
terres bonnes à construire ont été prises. Les terrains encore vides sont
ceux où Israël nous interdit de bâtir. " Interrogé sur la
relance du dialogue avec Israël, il déplie en guise de réponse l'édition
du jour du quotidien Al-Qods, qui traînait près de la caisse. A
côté de l'article de tête, consacré à la mise en service de la première
centrale nucléaire iranienne, un autre, plus petit, explique qu'un
pêcheur a été blessé au large de Gaza par des tirs de la marine
israélienne et un troisième décrit le calvaire de paysans des alentours
de Naplouse, harcelés par une bande de casseurs venus d'une colonie. "
C'est tous les jours comme ça. La lecture du journal me donne la
migraine. Nétanyahou ne cherche qu'à gagner du temps pour continuer à
nous voler nos terres. Alors à quoi bon négocier ? "
Quelques
blocs d'immeubles plus loin, accoudé à la balustrade de sa terrasse,
Ghassan, un consultant informatique aux cheveux grisonnants, ancien
militant marxiste, ressasse cette même question. " Mes vieilles
sympathies politiques m'inciteraient à penser qu'Abou Mazen - le
patronyme du président palestinien Mahmoud Abbas - aurait dû refuser,
car rien de bon ne sortira de ce nouveau processus, sinon encore un peu
plus de corruption. Mais je devine son dilemme. Il a des dizaines de
milliers de salaires de fonctionnaires à payer. Les régimes arabes
poussent à la reprise des négociations. S'il dit non à Obama, il prend le
risque de voir la Cisjordanie s'enfoncer dans un marasme économique
semblable à Gaza. Nous sommes pris à la gorge. "
Son
épouse Anita, suisse d'origine mais palestinienne de coeur, dépose des
tasses de café fumant sur la table de la terrasse. " Abou Mazen
ne devrait pas se prêter à cette mascarade, dit-elle. Il a un
peuple qui sait résister. Lors du siège de Beyrouth, en 1982, nous avons
tenu quatre-vingt-huit jours sans eau, sans électricité et avec des
conserves pour tout aliment. "
Ghassan
sourit à l'évocation du souvenir, puis se rembrunit. " Pour
résister, il faut un leader et une idéologie. A Gaza, nous avons le Hamas
et son idéologie étrange. Et en Cisjordanie, nous n'avons aucune
idéologie. Les gens ont perdu l'envie de se battre pour leurs droits.
"
Benjamin
Barthe
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