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La diplomatie
européenne peut-elle parler d'une seule voix ? Zoom Proche-Orient : du Quartet au Quintet ? Le voyage de Bernard Kouchner et
Miguel Angel Moratinos à Jérusalem, le 10 octobre,
quelques jours après une visite de Catherine Ashton, la haute représentante
pour les affaires étrangères de l'Union européenne, a illustré le caractère
aléatoire et souvent brouillon de la diplomatie européenne au Proche-Orient.
Les ministres français et espagnol des affaires étrangères ont subi un
accueil à la limite des convenances diplomatiques de leur homologue israélien,
l'ultranationaliste Avigdor Lieberman. La
personnalité abrupte de l'intéressé n'explique pas tout : Israël n'a jamais
considéré que l'Europe pourrait jouer un rôle d'intermédiaire de même nature
que celui dévolu aux Etats-Unis, parrain historique du processus de paix. Telle n'est pas a priori l'ambition de l'UE dans la région. «
Nous ne sommes pas en compétition, nous ne sommes pas jaloux, nous voulons
ajouter notre énergie et notre sensibilité » à celles des Américains,
avait plaidé, le 23 septembre, le ministre français, tout en faisant part de
l'« irritation » de l'UE de ne pas avoir été invitée aux pourparlers
directs israélo-palestiniens. La France déplore le peu de visibilité de Mme Ashton. Ces
critiques traduisent la frustration des Européens de ne pas être considérés
comme un acteur d'influence. D'où l'initiative isolée et mal préparée du duo
Kouchner-Moratinos (le second a aujourd'hui quitté
ses fonctions). « Ils sont passés, ils ont vu tout le monde, mais ils
n'étaient porteurs d'aucune proposition », résume un haut fonctionnaire
israélien. Un diplomate européen, qui s'est rendu récemment au Caire, à Amman
et à Ramallah, abonde : « Nos interlocuteurs se sont tous demandés ce que
Kouchner et Moratinos étaient venus faire, à part
relayer le message américain. » Constat sévère ? « L'Union européenne étant incapable
d'avoir une vision et une action communes au Proche-Orient, les initiatives
des Etats-membres sont positives », corrige un ambassadeur. L'Europe, qui
a été la première à soutenir la création d'un Etat palestinien et à conforter
l'Autorité palestinienne, veut sortir de son éternel rôle de bailleur de
fonds. Ou plutôt, elle estime que sa position de premier financier des
Palestiniens (420 millions d'euros par an) doit lui donner voix au chapitre
politique. C'est le sens des récentes critiques de Nicolas Sarkozy à
l'encontre de la « méthode » utilisée par la diplomatie américaine
pour tenter de faire progresser le processus de paix, et de l'inanité du
Quartet, qui associe les Etats-Unis, la Russie, les Nations unies et l'UE. La
raison d'être du Quartet est d'apporter à l'action de Washington au
Proche-Orient une caution internationale. Quant au soudain activisme de la
diplomatie française, il suscite, tant à Jérusalem qu'à Ramallah, un intérêt
poli : « C'est un coup de menton du président Sarkozy, lié, semble-t-il,
aux difficultés que connaît la politique intérieure française », estiment
plusieurs observateurs. Divisée quant à l'attitude à adopter à l'égard d'Israël, l'UE
dispose des outils de la puissance mais sa volonté de s'en servir est
émiettée entre les Vingt-Sept. Trop souvent, ceux-ci agissent en ordre
dispersé, quitte à donner l'impression de vouloir concurrencer la Haute
Représentante de l'UE pour la politique étrangère. Chaque année, les consuls généraux européens à Jérusalem se
mettent d'accord sur un rapport qui critique notamment « la politique
[israélienne] délibérée visant à rendre progressivement impossible une
solution à deux Etats ». Faute de consensus, décision est prise de ne pas
rendre public ledit rapport. Cette pusillanimité européenne peut-elle être
dépassée et l'UE pourrait-elle, par exemple, se faire le champion de la
reconnaissance par les Nations unies d'un Etat palestinien dans les frontières
de 1967 ? Une telle audace diplomatique semble improbable. Laurent Zecchini (à Jérusalem) |