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source: http://humanite.fr/03_11_2010-jean-genet-un-dr%C3%B4le-de-genre-pour-un-centenaire-456978 Jean Genet, un
drôle de genre pour un centenaire
4 Novembre, 2010 De
Notre-Dame-des-Fleurs à Quatre Heures à Chatila, il
a attiré à lui les étiquettes. Genet s’est installé
tôt, souverainement, à jamais, dans notre littérature comme un signe de
contradiction. Il a à peine plus de trente ans quand des écrivains influents,
Gide, Cocteau, Sartre, et d’autres, se liguent à plusieurs reprises pour lui
éviter la prison. « C’est le plus grand écrivain de l’époque »,
écrira Cocteau aux juges de la 14e chambre. Par un étrange
paradoxe, l’écrivain le moins récupérable de son siècle sera incorporé sans
difficulté au patrimoine littéraire français. Il est joué sur les scènes les
plus prestigieuses, entre au répertoire de la Comédie-Française, et son
édition récente en « Pléiade » n’a soulevé aucune difficulté
particulière. Pourtant, l’homme et ses écrits résistent à cette panthéonisation ambiguë et précoce : son théâtre fait scandale, ses
prises de position politiques dérangent. Jean-Paul Sartre
et l'engagement En 1952, Sartre écrit
Saint Genet, comédien et martyr, qui va établir durablement son mythe, au
risque de le réduire au silence. Pendant longtemps, la lecture de Genet va
être celle du philosophe. Genet est l’homme des trois conversions. Il se
tourne au mal, du « voleur » à « Caïn », puis se fait esthète, et enfin, au
terme d’une troisième métamorphose, écrivain. Lecture géniale, lecture datée,
où l’« expérience morale » est toujours la voie d’accès, et où la littérature
ne peut être conçue que comme ultime aboutissement. Genet se fait voleur
comme Rimbaud se faisait voyant, et son œuvre est une « expérience ascétique
qui se réalise par le Verbe et dont l’accomplissement doit dissoudre le
langage dans le silence ». Mallarmé n’est pas loin. On conçoit que l’essai
sartrien, qui devait être la préface à ses œuvres complètes, ait failli en
être la pierre tombale. Genet s’en sort par le théâtre, avec le Balcon, les
Nègres et les Paravents, et aussi, on en mesure aujourd’hui l’importance, par
les essais sur l’art, en particulier l’Atelier de Giacometti. Les années qui ont suivi
mai 1968 voient Genet comme un nouvel avatar de l’écrivain engagé. En 1970,
après la mort de cinq ouvriers immigrés dans un foyer d’Aubervilliers, avec
Roland Castro, Marguerite Duras, Pierre Vidal-Naquet,
et d’autres intellectuels, il occupe le CNPF, l’ancêtre du Medef. Il est
embarqué à Beaujon. On le verra aussi s’impliquer dans les mouvements de
solidarité avec les prisonniers. Mais c’est son compagnonnage avec les Black Panthers qui va marquer les esprits, et sa présence
illégale aux États-Unis, pour soutenir leur leader, Bobby Seale,
menacé de mort. Et bien évidemment sa lutte pour les droits des Palestiniens,
qu’il poursuivra jusqu’à sa mort, en 1986, et dont Quatre Heures à Chatila constitue le sommet et lui vaudra des haines qui
se poursuivront par d’indécentes polémiques post mortem. L’émergence des queer studies Les années 2000 vont
voir l’émergence des queer et autres gender studies, qui vont aider
à décoller les étiquettes qu’on s’est ingénié à coller sur le dos de Genet.
Si son militantisme reste incontestable, la version communautariste des
appartenances sexuelles, sociales et politiques est remise en cause. En
particulier la notion d’identité réduite à une préférence sexuelle. La
question de l’individualisme de Genet, qu’on disait parfois de son vivant
forcené, se pose à nouveaux frais. Refus de l’asservissement, de
l’affiliation, il est aussi sa crainte de se perdre en se trouvant « de »
quelque part, « de » quelque chose. Il y va ainsi de son
statut d’écrivain et d’artiste. Si nous avons encore à apprendre des
recherches biographiques et des études littéraires, c’est la découverte de
Genet comme artiste qui constituera peut-être le nouveau front des
connaissances genétiennes. La période du centenaire
qui s’ouvre aujourd’hui et sur laquelle nous reviendrons à la date
anniversaire devrait être féconde. Alain
Nicolas |