Boycotter Israël,
c'est lutter pour une paix juste
"Une arme
indigne".
Telle serait la nature de la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanctions
(BDS) contre Israël, d'après les signataires d'une tribune publiée
dans Le Monde daté du 2 novembre. Ses auteurs n'hésitent pas à
accuser les acteurs de la campagne BDS de prendre le parti de la "censure",
de la "séparation" et de la "haine"…
Cette lourde charge contre BDS n'est pas la première du genre, mais la
longue liste des signataires lui confère une portée singulière, qui
appelle commentaires et éclaircissements.
Tout d'abord, les
signataires du texte omettent, ou dissimulent, le caractère international
de la campagne BDS, en réponse à un appel émanant de la société civile
palestinienne en 2005. Cette "entreprise qui commence à faire
parler d'elle en France", selon leurs termes, fait en réalité
parler d'elle depuis plusieurs années aux quatre coins du monde. Du
Canada à l'Australie en passant par l'Afrique du Sud, les Etats-Unis,
l'Amérique latine et l'Europe, c'est un mouvement international,
non-violent et populaire qui se développe. Syndicats, ONG, associations,
Eglises, universités, municipalités, personnalités de renommée mondiale
et simples citoyens se retrouvent pour défendre un même objectif :
l'application du droit.
En effet, et c'est un
deuxième oubli notable de la tribune du 2
novembre, la campagne BDS a pour seule exigence qu'Israël "honore
son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à
l'autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit
international". La campagne BDS n'est pas l'expression d'une
haine irrationnelle d'Israël. Comme l'écrit John Berger, écrivain britannique et
membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine, "BDS
n'est pas un principe, mais une stratégie ; ce n'est pas Israël qui
est visé, c'est sa politique ; si la politique change (dans le bon
sens), le BDS prendra fin".
Les signataires de la
tribune le répètent : "Nous sommes pour la paix".
Mais pensent-ils que la paix est possible sans la justice, c'est-à-dire
sans l'application du droit ? Car c'est bien ici que se situe le
nœud du problème. Israël refuse depuis des décennies de se soumettre aux
règles les plus élémentaires du droit international. Ce sont ainsi plus
de 30 résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU qu'Israël a refusé ou
refuse encore de respecter, attitude pour le moins paradoxale de la part
d'un état créé par une résolution des Nations unies. Chaque jour, avec la
colonisation, ce sont les conventions de Genève qui sont violées. En
juillet 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) demandait à Israël
de détruire le mur construit en Cisjordanie : le mur est toujours
là, et continue de s'étendre…
Que font nos gouvernements ?
Que font les représentants de la communauté des nations ? Exercent-ils
des pressions sur Israël ? Non. C'est fort de ce constat que la société
civile palestinienne, un an après l'avis de la CIJ concernant le mur, a
invité la société civile internationale à se charger elle-même de faire
pression sur Israël et sur nos gouvernements, pour que l'impunité cesse.
La fin de cette impunité est la seule voie possible vers une paix réelle,
où le droit et la justice seraient des principes intangibles et non pas,
comme c'est le cas à l'heure actuelle, des objets de négociation.
S'ils ont jugé
nécessaire d'avoir recours à l'arme du boycott international, les
animateurs de la campagne BDS ne confondent pas tout, contrairement aux
signataires de la tribune du 2 novembre.
Evoquant la charte de
la campagne BDS France, ces derniers affirment en
effet que [pour ses initiateurs], "tout ce qui est israélien
serait coupable". Ils auraient été mieux inspirés s'ils avaient
consulté ladite charte, dans laquelle on peut lire que "ce
boycott ne vise pas la société israélienne ni les individus qui la
composent, en tant que tels, il vise la politique coloniale d'occupation
israélienne et ses partisans".
Notre combat n'est pas
fondé sur le rejet d'un peuple. Il s'agit d'exercer une réelle pression
sur l'Etat d'Israël, en développant un
boycott économique, diplomatique, et un boycott des institutions académiques,
sportives et culturelles israéliennes. Ces institutions sont en effet
trop souvent utilisées par Israël pour soigner son image et mieux masquer
sa politique à l'égard des Palestiniens et son mépris des règles
internationales. Michel Platini, président de l'Union européenne des
associations de football (UEFA), l'a compris, menaçant d'exclure l'Etat
d'Israël de l'UEFA s'il continuait d'entraver le développement du sport
palestinien. Desmond Tutu, archevêque sud-africain récompensé par le prix
Nobel de la paix en 1984 pour son combat contre l'apartheid, s'est de son
côté élevé contre la visite prochainement prévue, en Israël, de la troupe
de l'Opéra du Cap. En tant que soutien actif de la stratégie BDS, Desmond Tutu mérite-t-il aussi les
titres de saboteur et de naufrageur d'espoir ?
A ceux qui s'inquiètent
de la dégradation de l'image d'Israël et qui accusent la campagne BDS
d'en être responsable, nous disons qu'Israël est le seul auteur de cette
dégradation. En violant chaque jour le droit international, en commettant
des actes criminels comme les bombardements massifs sur Gaza en 2008-2009
ou l'assaut sanglant contre la Flottille de la liberté, en poursuivant le
blocus de Gaza, la construction de colonies et l'arrachage des oliviers,
Israël ne peut susciter qu'un rejet de plus en plus fort. Au-delà de ce
rejet, cette fuite en avant meurtrière met en danger la population
israélienne elle-même : c'est pourquoi à l'intérieur d'Israël se développe
le mouvement de Boycott From
Within, au sein duquel des pacifistes,
intellectuels, artistes… se sont regroupés pour appeler la société civile
internationale à amplifier BDS.
Pour toutes ces
raisons, nous affirmons : tant que l'Etat d'Israël ne respectera pas
le droit international et tant que nos gouvernements n'exerceront pas de
véritables pressions pour qu'il le fasse, nous développerons BDS. Nous
savons, fort du précédent sud-africain et de la campagne victorieuse de
boycott contre le régime d'apartheid, que cette arme, loin d'être
indigne, peut être noble et efficace lorsque les circonstances l'exigent.
C'est le cas aujourd'hui. La campagne BDS est l'expression de la volonté
de tous ceux qui pensent qu'il est encore possible d'agir et d'éviter le
pire pour les peuples de la région. Car tant que le droit sera bafoué et
que l'impunité durera, aucune paix ne sera possible.
En soutien à l'appel
palestinien "Boycott, Désinvestissement, Sanctions" de 2005 et
à la Campagne française BDS :
Nicole Kiil-Nielsen, députée européenne
(Les Verts), Patrick Le Hyaric, député
européen (Gauche unitaire européenne), Olivier Besancenot, porte-parole
du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), Monique Cerisier Ben-Guiga, sénatrice (PS), présidente du groupe
d'information internationale France-Territoires palestiniens du Sénat, Alima Boumédiène-Thiery,
sénatrice (Les Verts), Patrick Braouzec,
député de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain,
directrice de "Regards", membre de la Fédération pour une
alternative sociale et écologique (FASE), Annick Coupé, porte-parole
nationale de l'Union syndicale Solidaires, Stéphane Tassel,
secrétaire général de la FSU, Mouloud Aounit,
co-président du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les
peuples (MRAP), Monseigneur Jacques Gaillot,
évêque, Eric Hazan, éditeur, Gérard Toulouse, directeur de
recherche au CNRS, membre de l'Académie des sciences, Mireille Fanon-Mendès France, Fondation Frantz Fanon, membre de
l'Union juive française pour la paix (UJFP), Gilbert Achcar,
politologue, écrivain et professeur à l'université de Londres et
Paris-VIII, Nabil Al Haggar,
universitaire, membre de l'Association des universitaires pour le respect
du droit international en Palestine (AURDIP), Jean-Marie Muller, membre
fondateur du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), Omar Barghouti,
palestinien, membre fondateur de la "Palestinian
campaign for the academic
and cultural boycott of Israel" (PACBI), Scandar Copti,
palestinien, réalisateur et co-auteur de Ajami
(mention spéciale à la caméra d'or du festival de Cannes 2009), Juliano Mer Khamis,
palestinien, acteur et réalisateur, fondateur du Théâtre de la Liberté à Jénine, Michel Warschawski,
israélien, journaliste, membre fondateur du Centre d'information
alternative (AIC) et de la campagne "Boycott from
within", Eyal Sivan,
israélien, réalisateur, auteur de Jaffa, la mécanique de l'orange
(2009) et membre de la campagne "Boycott from
within", Yael Lerer,
israélienne, éditrice, membre fondatrice des éditions Andalus,
spécialisées dans la traduction vers l'hébreu d'œuvres littéraire en
langue arabe, de la campagne "Boycott from
within" et de la Coalition des femmes pour
la paix (Tel Aviv).
|