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Boycotter le juge
français ou l'avocat d'Israël ?
par Etienne
Tête, conseiller régional, membre du Conseil National des Verts
La campagne "Boycott, Désinvestissement, Sanction" prendrait-t-elle tant d'importance au point que le Crif (Conseil Représentatif des Institutions Juives) trouve nécessaire d'invoquer le droit dans une lettre adressée à différentes formations politiques dans l'espoir de les faire renoncer à une démarche politique ?Ironie du calendrier ! Les observateurs attentifs des jugements de la Cour Européenne pour l'application de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, ont été récemment stupéfaits. La Cour (Affaire Willem c. France, 16 juillet 2009, arrêt non définitif) a estimé qu'il n'y a pas eu violation du droit à la liberté d'expression pour un maire, condamné à 1000 € d'amende, ayant publiquement, le 3 octobre 2002, en conseil municipal en usant des moyens matériels de la collectivité, annoncé un boycott des produits israéliens en "réaction contre les massacres et tueries quotidiennes commises contre les enfants, les femmes, les vieillards palestiniens". Le maire de Seclin avait explicité : "Le peuple israélien n'est pas en cause, c'est un homme, Sharon, qui est coupable d'atrocités, qui ne respecte aucune décision de l'ONU et continue à massacrer." Dans la bataille qui oppose des droits différents, la liberté d'expression contre la liberté du commerce et de l'industrie, le respect de la vie privée…, la CEDH s'était inscrite jusqu'alors comme protectrice de la liberté de penser, de dire, d'écrire… Parmi de nombreux exemples, elle donne raison au Canard enchaîné pour avoir publié une photocopie d'un extrait des trois avis d'imposition du PDG de Peugeot (1999). Un tel dérapage de la justice va-t-il détruire toute initiative citoyenne pour appeler au boycott pour quelque cause politique (Irak, Palestine, Tibet…), pour quelque cause environnementale (OGM, amiante, destruction des baleines…), pour quelque cause morale (travail des enfants, peine de mort…) que ce soit ? Sur le plan juridique, les décisions successives de la Cour d'appel de Douai et de la Cour de Cassation sont véritablement inconcevables, effarantes… Il ne s'agit pas, à partir d'une affaire, de réaliser le procès de la justice pénale qui disjoncte trop souvent, en tout cas bien plus que ses sœurs administratives ou civiles. Médiatiquement, les affaires de la "petite Céline", "d'Outreau", des "six lycéens de Mâcon", résonnent dans les mémoires comme l'éternelle succession de drames humains, du "plus jamais ça" au "toujours cela recommence". Cependant, sous le même vocable de l'article 225-2 du Code pénal, "entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque", la Cour de Cassation rend innocent le Maire de Charvieu-Chavagneux, droite extrême, pour avoir utilisé la procédure de préemption afin d'empêcher une personne dont le nom avait une consonance étrangère évoquant le sud de la Méditerranée, d'acquérir un bien économique, une maison d'habitation, mais rend coupable un maire communiste pour avoir déclaré son intention de ne pas acquérir des biens en provenance d'Israël. Mais la bavure est encore plus grossière. Pour condamner le maire de Seclin, la Cour d'appel va faire l'amalgame entre le droit de la presse (la loi de 1881) et les dispositions spécifiques du Code pénal sur la discrimination, en considérant que les articles 23 et 24 de loi sur la presse renvoient aux discriminations prévues par les articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. Or, le fameux renvoi provient de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Jean-Claude Willem a donc été jugé sur le fondement d'un texte qui n'existait pas au moment des faits. De plus, la simple lecture des débats parlementaires montre que le renvoi aux articles 225-2 et 432-7 du Code pénal ne vise pas les nations, un autre alinéa du texte, mais les personnes "à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap". Autrement dit, le texte n'était pas lui-même applicable sur le fond. Il est impossible d'affirmer que cette condamnation pénale, totalement atypique, pour "appel au boycott" puisse faire jurisprudence, d'autant plus que l'élu était poursuivi dans le cadre de ses fonctions administratives. Demeure donc la question de savoir si chaque citoyen, chaque homme politique, peut appeler au boycott politique, environnemental, éthique... Hormis l'affaire Willem, la chambre criminelle de la Cour de Cassation ne s'est jamais prononcée sur l'appel au boycott. Il ne faut pas confondre avec les actes de boycott effectifs qui relèvent de dispositions spécifiques du Code pénal exclusivement applicables aux personnes morales ou physiques tenues au principe d'égalité dans leurs actions publiques ou privées ; par exemple le Code des marchés publics. Au civil, la jurisprudence sur l'appel au boycott est variable et modérée. Incertitudes juridiques, le débat est politique. Fort heureusement, pour de nombreux motifs, des gens honnêtes dans des structures les plus variées appellent aux achats responsables et le traduisent dans le cadre de leur fonction. Historiquement, à la demande de Nelson Mandela, pas d'oranges qui proviennent de l'Afrique du Sud de l'apartheid ; aujourd'hui, à la demande des peuples d'Amazonie, pas de bois exotique en provenance des forêts primaires… Chacun parle de commerce équitable et de placement éthique. Certes, l'image du libéralisme, "la liberté du renard dans le poulailler", est dépassée. Cela fait bien longtemps que les renards, après avoir invité quelques poules aux ambitions de coqs sur quelques yachts, font voter des lois pour bâillonner les becs afin de ne plus entendre caqueter les gallinacés qui se font croquer. Ainsi, un
monde économique où les produits mis en vente sont, au nom du secret de
fabrication, de moins en moins transparents, sur leurs provenances, sur
l'existence du travail des enfants, sur les produits potentiellement
cancérigènes pouvant se trouver à l'intérieur, sur l'existence ou non d'OGM,
n'est pas le libéralisme, mais l'atteinte au choix "libre et
éclairé" des consommateurs. Il ne faut pas confondre l'action de
prohiber la vente d'un produit avec celle d'interdire de ne pas acheter. |