|
|
|
Article paru le 27 Novembre 2010 – Page 18 Ces survivants palestiniens
qu’on voudrait nous cacher
Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris expose les clichés perturbants de Kaï Wiedenhöfer, premier lauréat du prix Carmignac Gestion du photojournalisme. Il n’y a pas que l’exposition Larry Clark qui fait scandale, ces temps-ci, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) se dit « indigné » par « Gaza 2010 », sidérant inventaire des effets de la guerre sur les Palestiniens, dressé par le Berlinois de quarante-quatre ans, Kaï Wiedenhöfer. Cette œuvre, qui s’est vu attribuer une bourse par un jury professionnel que présidait William Klein, dont la Fondation Carmignac Gestion était le mécène, est considérée par le Crif comme « une œuvre de propagande contre Israël ». Dimanche, une manifestation a tenté de pénétrer dans le musée pour porter atteinte à l’exposition et la faire fermer. En vain. Qu’y a-t-il donc de si scandaleux pour Israël sur les cimaises du musée d’Art moderne ? Des faits, rien que des faits. De l’information brute, dépouillée, sans pathos ou sensationnel. La confrontation la plus simple, la plus directe, yeux dans les yeux, avec quelques-unes des 1 400 victimes de l’attaque israélienne « Plomb durci ». Dans une bande de Gaza déclarée par Israël « entité hostile », dévastée comme l’épicentre d’un tremblement de terre et sur le point d’être déblayée par le programme des Nations unies pour le développement, le photographe a pris des vues très frontales de jeunes gens aux corps suppliciés par la mutilation, l’amputation, réduits à l’état de moignons, de chairs brûlées au phosphore, de membres vidés de muscles, de crânes cabossés, d’orbites vides. Crime contre l’Humanité Ces crimes de guerre sont d’autant plus incarnés que son enquête lui a permis de rédiger des légendes qui sont des comptes rendus factuels : Mahmoud Zorba, dix-huit ans, ouvrier de tunnel. Le 5 janvier, à 21 heures, il a été touché par un missile. Trois personnes ont été tuées, trois autres blessées. Mahmoud a perdu la partie inférieure de sa jambe, un doigt et la vue. Le 4 janvier, à 15 heures, Jamila Al-Habash, lycéenne de seize ans, a été touchée par un missile alors qu’elle jouait sur le toit de sa maison. Sa sœur et un cousin ont été tués, un cousin a perdu une jambe. Malgré des opérations en Arabie saoudite et en Slovénie, Jamila n’a plus de jambes… Il a fallu vingt ans à Kaï Wiedenhöfer pour, à la manière d’un Gilles Peress ou d’un Eugene Richards, apprivoiser ce territoire, en apprendre la langue, mettre en confiance ses habitants, restituer la sérénité d’un regard doux et produire, en prenant le temps, des images documentaires en couleur très dérangeantes. Édouard Carmignac, fondateur de ce prix, déclare notamment : « Le thème de Gaza a été retenu en partant du constat qu’il est inacceptable de voir les victimes de l’une des plus terribles tragédies du siècle rester pratiquement oubliées et abandonnées de tous. Vu d’Europe, ce n’est pas parce que la réalité effroyable des camps de concentration nazis a vu le jour sur le sol de notre continent que l’on peut accepter aujourd’hui la réalité de ce qui est devenu, en soixante ans, avec la radicalisation du conflit israélo-palestinien, un véritable camp d’internement des Palestiniens aux portes d’Israël. Il ne s’agit pas ici de prendre parti pour un camp ou un autre, mais de montrer la réalité nue, dans toute son atrocité, et de contribuer ainsi, non seulement au devoir de témoignage du photojournaliste qu’est Kaï Wiedenhöfer, mais aussi à la prise de conscience des citoyens que nous sommes tous. Ces photos choqueront sans doute, et c’est aussi leur rôle pour contribuer à faire émerger la vérité. »
« Gaza 2010 », musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris 16e. Jusqu’au 5 décembre. Entrée libre. Catalogue The Book of Destruction, Steidl Publishers/Fondation Carmignac Gestion, 152 pages. |