le
15 Décembre 2010
Rencontre Palestine
Georges Corm «Face au déni international,
il n’y a que la résistance»
http://humanite.fr/16_12_2010-georges-corm-%C2%ABface-au-d%C3%A9ni-international-il-n%E2%80%99y-que-la-r%C3%A9sistance%C2%BB-460225
Économiste
et
historien libanais, Georges Corm est l’auteur de nombreux
ouvrages consacrés au Proche-Orient et à la question religieuse. Il vient de
publier le Nouveau Gouvernement du monde. Idéologies, structures,
contre-pouvoirs, aux Éditions La Découverte. Rencontre autour de la question
palestinienne. Beyrouth (Liban), envoyé spécial.
Des
négociations directes avaient débuté entre Palestiniens et Israéliens. Elles
sont maintenant stoppées en raison
de la poursuite
de la colonisation. Quel est le contexte politique, notamment dans le cadre
de
la stratégie américaine ?
Georges Corm. Cette histoire de négociations de paix est
un mauvais théâtre. C’est ce que j’ai appelé un « processus de paix qui vient
remplacer la paix qui ne viendra jamais ». À chaque fois, ces processus
permettent à l’État d’Israël de continuer la colonisation, d’affaiblir et de
marginaliser encore plus les Palestiniens et, à chaque fois qu’on redémarre
des négociations, d’avoir de nouvelles exigences qui sont, en général,
inacceptables au regard du droit international et au regard des droits légitimes
du peuple palestinien sur sa terre. Rappelons-nous :
le président Clinton avait, en 2000, refait des négociations à Camp David qui
avaient fait couler beaucoup d’encre puisque les Israéliens avaient accusé la
partie palestinienne d’avoir refusé une offre extrêmement généreuse.
Heureusement que Robert Malley, alors conseiller de
Clinton, a rétabli la vérité en montrant que rien de sérieux n’avait été
offert aux Palestiniens. George W. Bush refait le coup à Annapolis, en
novembre 2007. Il est en fin de mandat et tout le monde sait que ça ne peut
déboucher sur rien. Un grand spectacle médiatique.
L’arrivée
d’Obama à la Maison-Blanche n’a-t-elle pas représenté
une
rupture ?
Georges Corm. Qu’a
fait Barack Obama ? Il a changé le ton de
George W. Bush. Il a prononcé un discours au Caire en juin 2009, lequel
confirme le cadre culturel et intellectuel : « Je parle à tous les
musulmans du monde. » Ce qui confirmerait une thèse un peu Huntington (auteur
du Choc des civilisations – NDLR) qui serait qu’il y a un problème avec des
musulmans, donc un Occident judéo-chrétien, comme il se définit maintenant,
qui a un problème avec un Orient arabo-musulman. Entre parenthèses, quand
vous mettez vos valeurs démocratiques sous un chapeau religieux, les valeurs
judéo-chrétiennes, on est dans l’incohérence la plus totale. D’autant que le
christianisme s’est bâti contre le judaïsme. Parler de valeurs
judéo-chrétiennes ne me paraît pas très sérieux. On m’avait appris que les
racines de l’Europe étaient gréco-romaines. Elles le sont restées jusqu’à la
fin des années soixante-dix ! J’ai appelé ça un « coup
d’État culturel ». Pour revenir à Obama, le fond de son discours était fort
aimable, la rhétorique est très belle. Il a en plus appuyé son propos avec
des sourates du Coran, ce qui lui a valu beaucoup d’applaudissements. Mais
quand vous analysez le discours, vous vous rendez compte que, sur le fond,
par rapport aux gouvernements américains précédents, il n’a rien cédé. Il a
dit qu’il compatissait aux souffrances palestiniennes. Mais il n’a rien dit
de plus. Comme d’habitude, il a appuyé les revendications de l’État d’Israël.
Et comme d’habitude, on demande aux Palestiniens de ne pas tirer un seul coup
de feu sur qui que ce soit. Ni sur l’armée occupante ni sur les colons. Ce
qui est une logique qui ne débouche sur rien. Le discours en lui-même n’a
rien apporté de nouveau. Au contraire. Il a confirmé une politique américaine
devenue traditionnelle : soutien sans limite à
l’État d’Israël. Bush faisait cela avec un mépris très fort des Arabes, avec
une rhétorique islamophobe. Barack Obama a rectifié le ton, un ton poli,
gentil, mais sur le fond, rien n’a changé. Il a bien un envoyé spécial pour
le Proche-Orient, George Mitchell. Mais si vous faites l’historique des
envoyés spéciaux au Moyen-Orient, qu’ils aient été des Nations unies, de
l’Union européenne ou des États-Unis, je crois que trente volumes ne
suffiraient pas. Tout ça n’a pas fait avancer d’un pas un quelconque respect
des droits palestiniens. Rien n’a dissuadé Israël de poursuivre sa
colonisation ou, plus récemment, de continuer d’encercler Gaza, en dépit de
toutes les lois humanitaires.
On a d’abord parlé
de négociations indirectes. Autant dire qu’on est dans le surréalisme
complet. Et puis, grande victoire, enfin on arrache à Mahmoud Abbas – dont le
mandat comme président de l’Autorité palestinienne est échu – le fait qu’il
retourne négocier directement et sans condition alors que lui parle de
l’arrêt de la colonisation. Donc, une nouvelle fois, on a eu droit au
théâtre. De Washington, la scène se transporte à Charm
el-Cheikh puis, comble de l’horreur, à Jérusalem. Car il s’agit d’abord de
faire accepter le fait accompli d’Israël à Jérusalem, côté Palestiniens,
alors qu’eux-mêmes ne peuvent pratiquement plus y accéder ou y résider !
Alors que les saisies de propriétés palestiniennes à Jérusalem n’ont jamais
été aussi importantes, l’expansion des colonies de peuplement autour de
Jérusalem continue. Ces négociations sont très payantes, électoralement,
aussi bien pour
M. Obama que pour M. Netanyahou, dont le
gouvernement boite un peu et qui reçoit un appui américain, ce qui lui permet
de survivre. Pour les deux partenaires concubins, l’opération est extrêmement
payante. Pour les Palestiniens, absolument rien n’est changé. Il est absolument
évident que ça ne va déboucher sur rien. Les Européens sont absents. Et puis,
« business as usual » (business comme d’habitude –
NDLR). Une fois les négociations échouées, on refera des campagnes
médiatiques pour dire que les Palestiniens ont, une fois de plus, loupé le
coche, ou on mettra ça sur le compte de la division interpalestinienne…
Cela dure depuis 1948.
Les
Palestiniens ont-ils vraiment
les moyens de s’opposer à
cela
et de refuser de retourner à la table des
négociations ?
Georges Corm. Bien sûr ! Ils n’ont qu’à dire :
« On va négocier pour quoi ? » Aujourd’hui, tout le
monde le dit : il y a eu des rapports des Nations unies, de
l’Union européenne, mis dans des tiroirs, des articles comme ceux de Régis
Debray, qui le montrent : il n’y a pas de
possibilité de créer un État palestinien en Cisjordanie. On sait très bien
qu’un échange de territoires, s’il a lieu, ce sera quelques arpents de désert
pour les Palestiniens contre des superficies très importantes de la
Cisjordanie pour les Israéliens où l’agriculture est possible et où se
trouvent les nappes phréatiques qu’Israël pille déjà et qui diminuent
rapidement. Il est illogique de demander à un peuple occupé de négocier avec
son occupant, de protéger l’armée de l’occupant et les implantations que
l’occupant développe en violation du droit international. Dès le départ, nous
sommes dans une situation complètement viciée. C’était déjà le problème des
accords d’Oslo. Avec Edward Saïd et d’autres, je les avais dénoncés à
l’époque, en faisant remarquer que les Palestiniens se mettent la corde
autour du cou. Un occupant, on le chasse. Et quand il n’obéit pas aux
résolutions des Nations unies et aux principes du droit international, il n’y
a que la résistance armée. Il n’y a pas autre chose.
Les
implications régionales
sont évidemment multiples :
l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran…
Georges Corm. Tout ça nous éloigne du problème
principal. Les intellectuels admirateurs d’Israël essaient de tout lier
ensemble ou parfois de tout séparer, en disant que les dossiers n’ont rien à
voir les uns avec les autres. Il est certain que lorsqu’il y a un mouvement
de résistance à une occupation, ce mouvement de résistance a besoin d’appuis
extérieurs. Le FLN algérien était soutenu par l’Égypte, les Palestiniens ont
utilisé le territoire jordanien quelques mois, puis le territoire libanais.
Puis ils ont reçu des moyens financiers venus d’un peu tous les États arabes,
c’était la belle époque de l’OLP au Liban. Aujourd’hui, l’aide arabe ne va
plus au Hamas, qui continue la lutte armée, et donc l’Iran a rempli un vide.
Ça fait crier mais moi, en tant que Libanais, je ne peux pas en vouloir à
l’Iran d’avoir aidé le Hezbollah à libérer un territoire occupé. Si les
Européens et les Américains ont un problème avec l’Iran, ce n’est pas le
mien.
Comment
sortir de l’impasse ?
Georges Corm. Cela prendra des décennies. Si on regarde
la carte de la Palestine, il est bien évident qu’à long terme, quand les
choses auront mûri dans la psychologie israélienne et chez les décideurs
européens et américains, la seule porte de sortie pour tout le monde est une
solution à la sud-africaine. Continuer à parler de deux États est
surréaliste. Plus la situation traîne, plus vous aurez des opinions publiques
arabes et, comme on dit, musulmanes ou islamiques, qui vont devenir « anti-occidentales ». Parce que cette politique de deux
poids deux mesures depuis 1947 en faveur d’Israël et à l’encontre des droits
des peuples de la région, des Palestiniens mais autrefois aussi des Libanais,
n’est pas supportable. Tout le monde oublie le nombre d’années où le Liban a
été occupé. Par rapport aux 30 000 morts qu’Israël a
faits l’été 1982 à Beyrouth, les choses sont presque meilleures aujourd’hui.
2006, attaque du Sud Liban, il y a eu 1 400 victimes, plus de 3 000
blessés et de nombreuses destructions. À Gaza, il y a eu plus de 1 500
morts. En tant que libanais, je me souviens des 30 000
morts et des trois mois pendant lesquels Beyrouth-Ouest a été assoiffée,
encerclée, bombardée par terre, par mer et par air, sans interruption. Dans
un certain sens, la machine de guerre israélienne n’a plus les capacités de
faire ce qui a été fait au Liban en 1982. Et en 2006, cette machine a dû
s’arrêter. Elle n’a pas pu continuer. L’État d’Israël est entrain de trouver les
limites de sa puissance. Évidemment, l’élément iranien est présent. On joue
beaucoup dessus en disant que si l’Iran a la bombe atomique, l’existence
d’Israël est menacée. Le raisonnement est très spécieux. Vous avez un État
ultra-islamique, le Pakistan, dont on pense tous les jours qu’il va
s’effondrer dans les quarante-huit heures qui suivent, qui a la bombe
atomique et ça n’empêche personne de dormir.
Vous
avez noté que l’Union européenne était singulièrement absente des
discussions.
Comment expliquez-vous cela ?
Georges Corm. Cela arrange beaucoup l’Europe. Parce
qu’il y a la mauvaise conscience européenne et les Européens préfèrent
laisser faire les Américains. Quant à la France, si vous enlevez l’épisode du
général de Gaulle… Tant qu’Israël est un espace sacré de nature
eschatologique par rapport aux Européens, il n’y a pas de solution. Si
l’Europe ne revient pas à un républicanisme laïc dans l’approche du conflit,
il n’y a pas de solution. L’approche du conflit ne peut être que profane.
Entretien réalisé
par
Pierre
Barbancey
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