|
|
|
Article paru dans l'édition du 12 Avril 2011 Le libraire palestinien et les écrivains israéliens Par Laurent Zecchini
(Jérusalem, correspondant) La décision
peut intervenir la semaine prochaine ou le mois prochain...". Le libraire
palestinien Munther Fahmi,
ce samedi 9 avril, est déprimé. On le serait à moins : il risque de ne plus
avoir le droit de vivre dans son propre pays. Son cas, insiste-t-il, "n'a
rien d'exceptionnel, c'est la norme". En 2008, dernière année pour
laquelle des statistiques sont disponibles, 4 577 Palestiniens ont perdu leur
"droit de résidence", cet ersatz de citoyenneté, à Jérusalem. Dans son malheur, il a de la chance : les écrivains israéliens
David Grossman et Amos Oz, le Turc Orhan Pamuk, ont pris la tête
d'une campagne en sa faveur. Plus de 3 000 signatures ont été recueillies
pour tenter de lui obtenir le droit de continuer à vivre dans le pays où il
est né, où vit sa mère, où il possède une maison et surtout... une librairie.
The Book Shop, qu'il a ouvert en 1998, est située dans l'enceinte de
l'American Colony, le très prestigieux et
historique hôtel de Jérusalem-Est. En dépit de cette notoriété, ou peut-être
à cause d'elle, Munther Fahmi
est menacé du couperet de la politique d' expulsion "tranquille "
du ministère de l'intérieur. Son "crime" est d'avoir enfreint la loi israélienne
qui permet à l'Etat de révoquer le "droit de résidence" de tout
Palestinien qui s'absente longtemps à l'étranger ou y acquiert une autre
nationalité. Par l'"étranger", Israël entend toute partie du
territoire israélien située au-delà de la ligne verte (celle de l'armistice
de 1949). Ainsi, à Ramallah, à quelque 6 kilomètres de l'American Colony, on est à l'étranger. UNE POLITIQUE DE "JUDAÏSATION" Munther Fahmi, lui, a
passé vingt ans aux Etats-Unis, et s'est marié à une Américaine. Il usait
donc d'un visa de touriste, valable trois mois. Pendant des années, il s'est habitué
à sortir, puis rentrer, régulièrement, en Israël. Mais, depuis trois ans, les
autorités israéliennes mènent une politique systématique de
"judaïsation" de Jérusalem, destinée à réduire le nombre des
Palestiniens qui y vivent. A l'aéroport, Munther Fahmi était de plus en plus harcelé de questions,
jusqu'au moment où on lui a signifié que son séjour en Israël ne pourra
excéder trois mois... par an ! Autant dire que c'était la mort annoncée de
The Book Shop. Le 17 février, la Cour suprême d'Israël a rejeté son appel, en
lui conseillant de s'adresser au ministère de l'intérieur, qui pourrait,
peut-être, "pour raisons humanitaires", invalider cet
oukase. Las, le ministre de l'intérieur n'est autre qu'Eli Yishai, chef du parti Shass
(droite religieuse), un partisan déclaré du maintien de la supériorité
démographique des juifs à Jérusalem. En cas de verdict hostile, Munther Fahmi devra quitter le pays, et The Book Shop fermera ses
portes. Le libraire veut profiter de la médiatisation de son cas pour attirer
l'attention sur une loi qui participe d'un dessein politique, à l'encontre de
la création d'un Etat palestinien. |