Article paru dans l'édition du 06 juillet 2011
Pas de "crise
humanitaire" à Gaza,
mais un blocus persistant et
destructeur
Les
organisateurs de la nouvelle flottille pour Gaza, dont le départ des ports
grecs est désormais sérieusement compromis en raison du refus des autorités
d'Athènes de la laisser appareiller, se trompent-ils de discours en
justifiant leur action par la "crise
humanitaire" qui sévirait dans la
bande de Gaza ? Les autorités israéliennes, qui ne cessent de l'affirmer,
assurent en avoir convaincu un bon nombre de gouvernements étrangers.
La
dernière manifestation du succès remporté par cette offensive diplomatique israélienne
est la déclaration publiée, samedi 2 juillet, par le Quartet pour le
Proche-Orient (Etats-Unis, Union européenne, Nations unies et Russie), qui
demande "à tous les gouvernements
concernés d'user de leur influence pour dissuader toute nouvelle flottille,
qui met en péril la sécurité des participants et fait peser la menace d'une
escalade".
Le
Quartet emboîte le pas au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, en
enjoignant aux organisateurs de la flottille de livrer des marchandises à la
population gazaouie "par
l'intermédiaire des circuits existants, de façon à ce que leur cargaison
puisse être inspectée et transférée par les itinéraires terrestres
établis". Sur
le plan régional, Israël a obtenu une victoire tactique significative en
convainquant la Grèce, Chypre et la Turquie de refuser toute aide logistique
à la flottille.
L'argumentation
du gouvernement a reçu un soutien inespéré, il y a quelques jours, avec la
publication d'un rapport de Gisha, une organisation
non gouvernementale (ONG) israélienne dont l'objectif est de protéger la
liberté de mouvement des Palestiniens, pour qui le problème de Gaza "n'est
pas un manque de nourriture, mais plutôt une violation du droit à un travail
productif digne". "Insister sur l'aide
humanitaire, comme le font les organisateurs de la flottille et le
gouvernement israélien, est à la fois exaspérant et trompeur",
souligne Gisha.
L'ONG
rappelle que 83 % des usines de la bande de Gaza sont soit fermées, soit
tournent à moins de 50 % de leur capacité, et estime que le principal
problème rencontré par les Gazaouis n'est pas le manque d'importations de
produits de consommation, mais le niveau extrêmement faible des exportations. "Ehoud Barak (ministre
israélien de la défense) n'a pas tort de dire qu'il n'y a pas
de crise humanitaire à Gaza", résume, à Jérusalem, un haut
responsable européen, "les gens ne meurent pas de
faim dans les rues, mais tous les indicateurs, l'éducation, la pauvreté, le
chômage, l'accès à l'eau, montrent une évolution négative".
Plus
de 70 % des quelque 1,5 million de Gazaouis reçoivent une aide humanitaire
internationale, et le taux de chômage, officiellement estimé à 30,7 %,
atteint en réalité 45,2 % (l'un des taux les plus élevés du monde), selon l'Unwra, l'office de l'ONU pour les réfugiés palestiniens.
Depuis que le blocus de Gaza a été imposé par Israël, le nombre de gens
vivant dans une extrême pauvreté (avec 1,5 dollar par jour), a triplé, pour
atteindre 300 000 personnes. Celle-ci, insiste Gisha, "a
été accrue par des années de blocus et de restrictions de mouvements".
Gaza
souffre surtout d'une carence aiguë de pouvoir d'achat : avec des salaires
inexistants ou insuffisants, les Gazaouis ne peuvent s'offrir les
marchandises qui, depuis l'allégement du blocus consenti par Israël début
2011, rentrent désormais à Gaza et qui s'ajoute à la contrebande venue
d'Egypte par les tunnels creusés sous la frontière. Restent prohibées, celles
qui, selon les autorités israéliennes, pourraient avoir un usage dual (civil
et militaire), ainsi que les matériaux de construction autres que ceux
destinés à des projets internationaux. C'est pour cette raison que, selon le
Programme alimentaire mondial (PAM), l'allégement du blocus n'a eu qu'un "impact
positif marginal". Gaza
reste, d'autre part, un territoire étranglé : alors que quatre points de
passage existaient en 2005 entre l'étroite bande de terre et Israël, un seul
- Kerem Shalom - est
aujourd'hui ouvert pour les marchandises alors que les importations restent
inférieures à ce qui prévalait avant juin 2007.
Entre
novembre 2010 et avril 2011, Israël a accepté un nombre très limité
d'exportations gazaouies vers les marchés européens
: des fleurs, des fraises, des poivrons et des tomates. Vers le sud, le
blocus de Gaza n'a été que partiellement allégé : l'Egypte a annoncé, le 28
mai, l'ouverture du point de passage de Rafah. Mais celui-ci est
exclusivement réservé aux mouvements de personnes et ces derniers restent
limités.
Les
organisations humanitaires et internationales s'inquiètent enfin de la raréfaction
des financements des donateurs. Selon le bureau de coordination de l'ONU pour
les affaires humanitaires (OCHA), fin mai, seuls 24 % des besoins des
territoires palestiniens pour 2011 (estimés à 585,6 millions de dollars, soit
403 millions d'euros), étaient financés. Le premier ministre palestinien,
Salam Fayyad, a ainsi annoncé, dimanche 3 juillet,
que pour cette raison
les fonctionnaires palestiniens ne recevront qu'un demi-salaire en juillet.
Laurent Zecchini
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