Jésus est juif en Amérique
Droite évangélique
et lobbies chrétiens pro-Israél
Par
Christian Bouchet
http://www.voxnr.com/cc/di_antiamerique/EFpAZFpFEuLKMjLQYm.shtml
Docteur
en sciences politiques et enseignant à l’Université Panthéon-Assas, Célia
Belin a récemment publié, aux Éditions Fayard, un passionnant ouvrage Jésus est
juif en Amérique consacré à la droite évangélique et aux mouvements chrétiens
pro-Israël
Le soutien inconditionnel
des États-Unis à l’État hébreux est habituellement attribué au poids du lobby
sioniste américain. Célia Belin ne conteste nullement la réalité de celui-ci
et son influence, tout au contraire même elle nous en donne dans son livre un
aperçu très précis. Cependant, elle insiste sur un point que l’on oublie trop
souvent : les juifs ne représentent que 1.75 % de la population américaine et
tous ne sont pas sionistes ou pro-israéliens. Alors qui fournit au lobby
sioniste le « poids politique et démographique » qui lui fait défaut ? La
réponse est paradoxale : ce sont des protestants fondamentalistes,
historiquement antisémites, qui constituent désormais la frange la plus
radicale des Américains soutenant Israël… Comptant environ 80 millions
d’adeptes – soit plus d’un américain sur quatre – les diverses Églises qui
constituent cette nébuleuse religieuse ont en commun d’être très militantes,
très organisées, de posséder un réseau audiovisuel développé et de vouloir
plus que tout voir pour des raison messianiques
restaurer le royaume d’Israël. C’est pour cela que, par ricochet, le soutien
à l’État juif actuel, voie vers celui-ci, fait partie de leur dogme, au même
titre que l’opposition à l’avortement ou au mariage homosexuel.
Là réside un des deux paradoxe de cette unholly alliance. Comme le souligne Célia Belin, relevant
de deux traditions politiques américaines hostiles, opposés sur la plupart
des questions de société (dont l’avortement, l’euthanasie et
l’homosexualité), les juifs américains avaient fort peu de raison de s’allier
avec les fondamentalistes protestants, et pourtant ils l’on fait, sous la
pression de Tel Aviv qui avait perçu depuis longtemps
les ressources inouïes que les chrétiens évangélistes pouvaient procurer à la
cause sioniste.
L’autre paradoxe de cette alliance est que les protestants qui soutiennent
Israël, le font car ils espèrent voir, au final, le judaïsme disparaître. En
effet, selon les prophéties bibliques auxquelles ils se réfèrent, le retour
du Christ sur Terre n’est possible que si les Hébreux disposent des terres
que Dieu leur a données. Ensuite, les juifs auront à choisir entre
reconnaître le sauveur ou être précipités dans l’enfer !
De ces deux paradoxes, l’AIPAC et les autres organisations du lobby sioniste
américain n’ont que faire. La survie d’Israël compte plus pour eux que les
questions de société aux USA, quand au retour du Christ sur Terre et
l’inéluctable conversion des juifs qui devrait suivre, il ne suscite que des
sourires polis de leur part ou des réflexions cyniques comme celle d’Irving Kristol : « Pourquoi est-ce que les juifs devraient se
préoccuper de la théologie d’un prêcheur fondamentaliste ? En quoi ces
abstractions théologiques ont-elles de l’importance en comparaison du fait
plus prosaïque que ce même prêcheur est vigoureusement pro-Israël ».
Dans la conclusion de son livre, Célia Belin estime que le sionisme chrétien
est désormais un aspect incontournable des problématiques du Proche Orient
avec lequel les prochaines administrations américaines et les prochains
gouvernements israéliens devront composer. Or, s’il a apporté une aide
notable à l’État hébreux, le sionisme chrétien, selon Célia Belin, pourrait à
l’avenir être pour lui un handicap. Elle note qu’il comporte pour Israël et
pour la région des risques dont on ne prendra la pleine mesure qu’avec le
temps. Tel Aviv n’a que peu de pouvoir sur ces
soldats de Dieu, qui ne répondent qu’à la seule volonté divine. Ils
contribuent à radicaliser le discours politique autour du conflit et à
populariser des solutions extrémistes, et, pire, ils « rajoutent une
dimension religieuse à un conflit politique, économique, démographique et
territorial. Sous leur influence, ce qui était un problème de revendication
nationale et d’auto-détermination des peuples, devient un combat chaque jour
un peu plus inextricable pour la vérité religieuse. » Un combat qui, comme
toutes les guerres de religion, n’a guère de chance de bien se terminer.
Des sionistes chrétiens parlent
« Toutes les autres nations ont été créées par un acte humain, mais Israël a
été créé par un acte de Dieu. »
Pasteur John Hagee
« Les chrétiens ont une dette de gratitude éternelle envers le peuple juif
pour ses contributions qui ont donné naissance à la foi chrétienne. »
Pasteur John Hagee
« Les chrétiens doivent démontrer amour et préoccupation sincère pour le
peuple juif, comme Dieu l’ordonne. »
Pasteur Jerry Falwell
« J’aime le peuple juif. Oui, je l’aime. C’est un ordre de Dieu. Un ordre.
Pas une suggestion. Un ordre. »
Déclaration d’un participant, lors du rassemblement des Christians
United for Israël, 2006.
Ce qu’en pensent les vrais protestants
Depuis les années 1970, la plupart des protestants mainline,
c’est-à-dire les calviniste, luthériens, épiscopaliens et presbytériens,
soutiennent la cause des Palestiniens.
Ainsi, le théologien Reinhold Niebuhr,
qui était un fervent partisan du sionisme dans les années 1940-1950, s’est
progressivement insurgé contre la situation des Palestiniens, devenant même
un porte-parole du Christian Council for Palestine et de l’American Christian
Palestine Committee. En 2004, l’Église
presbytérienne américaine a choisi d’utiliser le désinvestissement économique,
déjà employé à l’encontre du régime d’apartheid d’Afrique du Sud, pour
protester contre le traitement des Palestiniens par Israël. À la suite de
cette décision, d’autres Églises protestantes mainlines
– World Council of Churches, United Church of
Christ -l’ont imitées, d’autres encore – Episcopal Church USA, Anglican
Communion et United Methodist Church – ont débattu
de cette option sans encore l’adopter.
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