|
|
|
Article paru dans
l'édition du 28 septembre 2011 Pourquoi
Paris doit soutenir la reconnaissance de la Palestine Dominique Vidal, historien et journaliste La journée du 23 septembre entrera-t-elle dans
l'Histoire ? Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, a bel et
bien déposé la candidature de l'Etat de Palestine au Conseil de sécurité des
Nations unies, avant de s'adresser à l'Assemblée générale. Et voilà que les
uns le qualifient de pyromane prêt à mettre le Proche-Orient à feu et à sang,
tandis que d'autres dénoncent une trahison des droits du peuple palestinien.
Mais tout ce qui est excessif ne compte pas, disait Talleyrand. Quiconque connaît l'histoire de cet
interminable conflit se demande en fait plutôt pourquoi l'Organisation de
libération de la Palestine (OLP) n'a pas effectué cette démarche plus tôt.
Car elle a, de longue date, cinq bonnes raisons de le faire. D'abord il ne s'agit que de confirmer une
décision prise par l'ONU le 29 novembre 1947 : ce jour-là, la jeune
organisation internationale partagea la Palestine, jusque-là sous mandat
britannique, en un "Etat juif", un "Etat
arabe" et un "régime international" pour
Jérusalem. Bref, en reconnaissant enfin l'Etat de
Palestine, la communauté internationale rattrapera un retard de...
soixante-quatre ans. Entre-temps, cette "disparition" et
l'expulsion de quatre Palestiniens sur cinq ont engendré un conflit
israélo-arabe qui s'est traduit par six décennies de guerres, de terrorisme
et de mal-développement... Deuxième raison : depuis les accords d'Oslo,
la négociation entre Israéliens et Palestiniens sous égide américaine a
échoué, provoquant de nouveaux bains de sang. Même l'ancien président Bill
Clinton reconnaît aujourd'hui que Benyamin Nétanyahou et son gouvernement
portent une responsabilité majeure dans l'impasse actuelle. Pour en sortir,
il faut donc modifier radicalement la règle du jeu. Ce sera le cas si la Palestine devient le
194e membre des Nations unies. Volens nolens,
Israël devra négocier avec un Etat reconnu comme lui dans le cadre de l'ONU
et sur la base de ses résolutions. Lesquelles posent les principes d'un
règlement sinon juste, en tout cas durable : établissement d'un Etat
palestinien dans les frontières d'avant la guerre de 1967 avec Jérusalem-Est
pour capitale, démantèlement des colonies et destruction du mur, solution
pour les réfugiés de 1948 fondée sur le droit au retour ou à compensation.
Autant de principes intangibles, dont seule la mise en oeuvre sera négociée. La démarche palestinienne met aussi fin au
"bal des hypocrites", où Barack Obama et Nicolas Sarkozy mènent,
hélas, la danse. Enthousiastes partisans, en paroles, de la coexistence de
deux Etats, ils s'y opposent en actes. Le premier menace de
"vetoïser" l'admission de l'Etat de Palestine, dont il avait
annoncé l'adhésion il y a un an dans son discours à l'Assemblée générale. Le second, après avoir claironné qu'en
l'absence de négociations bilatérales "la France prendra ses
responsabilités", offre maintenant aux Palestiniens non un siège,
mais un strapontin - proposition aussitôt balayée par Israël... Tout cela
sonne faux, tant l'écrasante majorité de l'opinion internationale espère
qu'une reconnaissance de la Palestine relancera les espoirs de paix - y
compris en Palestine, bien sûr, mais aussi en Israël, où 70 % des sondés
acceptent l'application d'une décision onusienne. Et la majorité des Etats
favorables dépasse d'ores et déjà les deux tiers... La cinquième et dernière raison concerne
Israël. Contrairement aux harangues des va-t-en-guerre, l'établissement d'un
Etat palestinien constitue peut-être la dernière chance de l'option
bi-étatique, autrement dit de l'insertion durable d'Israël dans son environnement
arabo-musulman en révolution. Qui a relevé, en France, les craintes
exprimées récemment par son président, Shimon Pérès ? "Quiconque
accepte le principe de base des lignes de 1967 bénéficiera du soutien
international. Quiconque les rejette perdra le monde", affirmait-il.
Et de redouter qu'"Israël devienne un Etat binational. (...)Nous
galopons à toute vitesse vers une situation où Israël cessera d'exister comme
Etat juif". Nombre d'Israéliens, juifs et arabes, ne
redoutent pas une telle perspective : ils se battent pour un "Etat
de tous ses citoyens", voire pour un "Israël-Palestine" où
les deux peuples se retrouveraient à droits égaux. Mais c'est à eux d'en
décider... La reconnaissance de l'Etat de Palestine ne
modifiera évidemment pas d'un coup de baguette magique la situation sur le
terrain. Beaucoup dépendra de la mobilisation des Etats et des opinions pour
que le droit international s'y applique. Dommage que la France ne joue pas une
partition digne d'elle dans cet indispensable concert. Elle servirait la
paix, mais redorerait aussi son blason passablement rouillé par son
rapprochement avec Israël et sa longue complaisance avec les dictateurs
arabes... Ouvrage : "100 clés du Proche-Orient"
(Pluriel, 752 pages, 17 €) avec Alain Gresh et Emmanuelle Pauly. |