19 Octobre 2011
Palestine : Pourquoi un Tribunal Russell Sur le modèle de
celui sur le Vietnam ?
Pour l’établissement d’une paix
fondée exclusivement sur le droit
http://www.humanite.fr/tribunes/pour-l%E2%80%99etablissement-d%E2%80%99une-paix-fondee-exclusivement-sur-le-droit-481935
Texte Collectif (*)
Sur le modèle du
tribunal Russell sur le Vietnam, le tribunal Russell sur la Palestine s’est
constitué à l’initiative d’un groupe d’intellectuels européens, réunis au
sein d’un comité organisateur international. Ken Coates,
président de la Fondation Russell, Leïla Shahid,
déléguée générale de la Palestine en Europe, et Nurit
Peled, professeur à l’université hébraïque de
Jérusalem, titulaire du prix Sakharov, ont lancé un appel à parrainer cette
initiative. Plus de cent vingt personnalités éminentes à travers le monde y
ont répondu.
Le tribunal, au vu de
l’empêchement persistant du peuple palestinien à exercer son droit à
l’autodétermination, droit inscrit dans la charte des Nations unies, se
propose d’en rechercher les causes et d’identifier les États ou les
organisations qui concourent à cet empêchement.
En la matière, le droit a été
dit. De nombreuses résolutions des Nations unies (181,194, 242, 338, 1322,
1397, 1435) appellent de manière explicite à l’établissement d’un État
palestinien. De plus, le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice de
La Haye a émis un avis qui, au-delà de l’appel au démantèlement du mur,
résume l’ensemble des violations du droit dont sont victimes les
Palestiniens. Le 20 juillet 2004, l’Assemblée générale des Nations unies a
intégré cet avis dans la résolution ES-10/15, résolution qui fait obligation
aux États d’agir pour faire cesser ces violations. Tout cela est resté lettre
morte.
Récemment, l’Autorité
palestinienne a adressé au Conseil de sécurité des Nations unies une demande
de reconnaissance et d’admission d’un État palestinien. Cette demande a été
accueillie, au mieux avec scepticisme dans le cas de l’Europe, au pire avec
hostilité dans le cas des États-Unis qui ont annoncé qu’ils y opposeraient
leur veto si elle recueillait 9 voix sur les 15 membres du Conseil.
L’Europe et les États-Unis ne manquent aucune occasion de proclamer la
nécessité d’un État palestinien. Leur attitude vis-à-vis de la demande
raisonnable de l’Autorité palestinienne est donc tout sauf cohérente.
Au vu de l’ampleur de
l’arsenal juridique pertinent, au vu du peu d’empressement des pays
développés de contraindre les acteurs à se plier aux règles du droit
international, il est apparu que la vraie question est celle de la complicité
d’acteurs politiques et économiques qui ont permis à Israël de persister dans
son refus de se soumettre au droit sans qu’il encoure les sanctions que cette
attitude aurait dû lui valoir.
Une première session du
tribunal s’est tenue à Barcelone en mars 2010 sur les responsabilités de l’UE
et de ses États membres dans la situation faite aux Palestiniens. Le jury a
conclu à leur complicité dans les infractions au droit commises par Israël
dans les territoires occupés et les appelle à y mettre un terme.
Une deuxième session s’est
tenue à Londres en novembre 2010 sur la responsabilité des sociétés
multinationales dans le développement de la colonisation. Le jury a reconnu
un certain nombre d’entre elles coupables de soutien à cette entreprise. Il a
aussi émis la possibilité d’appeler à leur traduction devant les juridictions
nationales d’États dont elles relèvent.
La troisième session se
tiendra au Cap, en Afrique du Sud, en novembre 2011. Elle sera centrée sur le
thème du crime d’apartheid, reconnu comme crime contre l’humanité par la
convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid adoptée
par l’Assemblée générale des Nations unies le 30 novembre 1973, entrée en
vigueur le 18 juillet 1976. Le jury étudiera l’éventuelle culpabilité des
dirigeants israéliens et, en fonction des témoignages et des éléments
recueillis, livrera ses conclusions à l’opinion internationale. Il examinera
l’ensemble des pratiques susceptibles de relever de ce chef d’accusation et
livrera ses conclusions sur l’influence de ces pratiques sur le tissu même de
la société palestinienne, influence pouvant être de nature à contrarier la
construction d’un État.
Le but du tribunal est de
contribuer à l’établissement d’une paix fondée exclusivement sur le droit,
donc à faire cesser le déni que subit le peuple palestinien, tout en le
soutenant dans la réalisation de ses droits nationaux.
Bien que la violence en
Palestine soit quotidienne, il est vrai que le conflit qui s’y déroule n’est
pas, loin s’en faut, le plus meurtrier de la planète. À cet égard, les
massacres en Afrique ou en Tchétchénie sont beaucoup plus sanglants.
Pourtant, le monde a les yeux rivés sur cette région…
Lieu de naissance des trois
monothéismes, elle est le théâtre d’une confrontation directe, physique,
entre le Nord et le Sud. Des États occidentaux, si prompts à bombarder, voire
à investir des pays jugés coupables d’infractions au droit, se montrent
étonnamment bienveillants envers un État qui refuse depuis des décennies de
respecter la loi. Cette situation symbolise la perpétuation d’un ordre
mondial injuste. Le message adressé aux peuples du monde, en particulier ceux
du Sud, est catastrophique. Il alimente la frustration et la haine. Il met en
place les conditions de l’autoréalisation de la prophétie de Huntington sur
le « choc des civilisations ».
Le Nord a pu compter sur la
collaboration complaisante de dictateurs arabes pour maintenir son primat.
Bientôt, il ne le pourra plus. Il lui faudra cohabiter avec des dirigeants
issus de sociétés affranchies, aspirant à la justice et l’égalité, ayant la
volonté de contribuer à la marche du monde. Choisira-t-il de composer avec
cette nouvelle réalité ou de l’ignorer ? Son attitude vis-à-vis de
la Palestine donnera une indication importante de la voie qu’il choisira,
celle du dialogue ou celle de la force.
La philosophie du tribunal
Russell s’inscrit dans la première voie. Que justice soit rendue aux
Palestiniens n’est pas seulement affaire de morale. C’est aussi d’une
préfiguration du monde de demain qu’il s’agit.
(*)
Stéphane Hessel, Edgar Morin, Mohamed Harbi,
Étienne Balibar, Marcel-Francis Kahn, François Maspéro, Albert Jacquard, Raymond Aubrac.
Jacques-Alain
de Sédouy, Pierre Hunt, Jean-Louis Lucet, anciens ambassadeurs de France.
Brahim
Senouci, membre du Comité organisateur
international du tribunal Russell sur la Palestine.
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