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du 27 décembre 2011 page 4 REPORTAGE Bethléem - Envoyée spéciale A Bethléem, chrétiens et musulmans vivent en bon
voisinage L'équilibre entre les communautés est menacé
par la forte émigration chrétienne de Cisjordanie Dans la basilique de la Nativité de
Bethléem, lieu de naissance de Jésus pour les chrétiens, une crèche grandeur
nature a été installée représentant la Sainte Famille et les Rois mages
richement vêtus. Parmi les pèlerins et la foule, nombreuses sont les jeunes
musulmanes, voile coloré sur les cheveux, à venir la découvrir. " Beaucoup de Palestiniens musulmans
fréquentent la Nativité,
précise Frère Stéphane, le responsable de la communauté des franciscains. Parce qu'ils la considèrent comme un lieu
culturel, mais aussi parce que dans le Coran, Jésus est un prophète, et
l'islam n'a pas de mal à dire que Jésus est né ici. " Avant la création d'Israël en 1948 et
l'arrivée massive de réfugiés palestiniens dans la région, 90 % de la
population de Bethléem était chrétienne - aujourd'hui, ils ne sont plus que
35 %. Le soir, la ville clignote en vert et rouge. Un sapin de 15 m de haut
et 7 m de diamètre a été dressé sur la place de la Mangeoire. Et, à la tombée
de la nuit, des chorales et des groupes de musique chrétiens jouent devant un
public majoritairement musulman. " Nous sommes un exemple de
cohabitation, estime Fadi Kattan,
chrétien militant au sein d'un mouvement de résistance populaire non violente
à l'occupation israélienne. Etre
une minorité, ce n'est pas qu'une question de nombre d'habitants, c'est aussi
un rôle au sein de la société. A Bethléem, les chrétiens ne sont pas une
minorité car, concernant le fonctionnement de la ville, les engagements
économiques et le rôle politique, ils sont à égalité avec les musulmans. Nous
sommes très loin de ce qui se passe en Irak, ou avec les coptes en Egypte.
" Même sentiment chez Victor Batarseh, le
maire catholique de Bethléem. "
Il y a parfois des frictions, souvent liées à des histoires d'amour entre
jeunes des deux communautés, car notre société ne croit pas aux mariages
mixtes pour l'instant. Mais la coexistence entre chrétiens et musulmans est
très bonne, insiste-t-il. Le président Mahmoud Abbas assiste tous les
ans aux trois messes de minuit de Noël - catholique romaine, grecque orthodoxe et arménienne - . Cela montre que nous, chrétiens et
musulmans, ne formons qu'un seul peuple en tant qu'Arabes palestiniens.
" A Bethléem, comme dans neuf autres villes de
Cisjordanie, le maire est chrétien par décret présidentiel - renouvelé à
chaque élection municipale -, afin de " maintenir la particularité de ces villes liées à
l'histoire de Jésus-Christ ". Le conseil municipal compte huit élus chrétiens et sept élus
musulmans, dont certains sont membres du mouvement islamiste du Hamas. Cet équilibre sera menacé à terme si l'exode
des chrétiens se poursuit. "
L'émigration a commencé sous l'Empire ottoman, qui, lors de la première
guerre mondiale, a recruté de force la population locale, raconte Fadi Kattan. Les chrétiens étaient souvent commerçants,
ils exportaient la nacre et le bois d'olivier, cela a été plus simple pour
eux de partir. Mon grand-père paternel et ses quatre frères ont émigré en
1914 ; deux au Japon, les autres en Angleterre, au Chili et au Soudan. Alors,
quand les habitants de Bethléem ont perdu leurs terrains en 1948 puis en
1967, ils avaient tous des cousins à l'étranger, et les ont rejoints. C'est
ce que font encore les jeunes aujourd'hui lorsqu'ils ne trouvent pas de
travail. " Le maire situe le pic de l'émigration au
début des années 2000, lors de la deuxième Intifada, mais constate que le
mouvement se poursuit, à cause du mur de séparation construit par Israël, des
conditions économiques et du manque de perspectives politiques. " Les difficultés des chrétiens
aujourd'hui sont les difficultés des Palestiniens en général, confirme frère Stéphane. Le mur les empêche de sortir vers Jérusalem,
vers Israël, vers la Méditerranée. Ils sont bloqués dans les territoires
occupés. " Pour maintenir une forte présence
chrétienne, les franciscains, présents depuis le XIVe siècle à Bethléem,
mettent à la disposition de la population une école pour 2 100 élèves, un
centre sportif et social, et, grâce aux pèlerinages, fournissent 300 emplois
aux chrétiens. Différence de culture Derrière la basilique, dans la petite ruelle
commerçante qui mène à la grotte du Lait, Jacques Giacaman possède une
boutique de souvenirs. "
Le principal problème, note-t-il, c'est qu'il n'y a pas de travail, ici.
Aujourd'hui, il y a beaucoup de musulmans, qui possèdent peu de terres, et
des chrétiens, minoritaires, qui détiennent beaucoup de terres. Et ceux qui
sont partis à l'étranger n'ont pas vendu. Des mafias ont falsifié les titres
de propriété, mais elles sont aussi bien musulmanes que chrétiennes. " Le commerçant reconnaît également une
différence de culture avec les musulmans les plus pauvres des villages
alentour et d'Hebron, qu'il juge " plus fermés ", "
sans que ce soit un obstacle pour vivre ensemble ". Bassem Giacaman, le cousin de Jacques, tient
la boutique voisine. Il est parti avec sa famille à l'âge de 11 ans pour la
Nouvelle-Zélande. Vingt ans plus tard, il est de retour à Bethléem. Et compte
bien y poser ses valises, définitivement. Véronique Falez |