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édition
du du 11-12 mars 2012 - page 23 Hold-up télévisuel à
Ramallah Lettre du Proche-Orient par
Laurent Zecchini Le raid s'est
déroulé mercredi 29 février, à 2 heures du matin, en toute discrétion et
impunité. Les Jeep et véhicules blindés israéliens, avec à leur bord une
quarantaine de soldats, techniciens du ministère des télécommunications et
agents du Shin Beth (le service de sécurité intérieure) ont foncé dans les
rues désertes de la capitale du non-Etat palestinien. La ville dormait, ils
n'ont pas rencontré âme qui vive et, de toute façon, les Ramallahwis
s'écartent au passage d'une troupe de soldats israéliens. Cette
prudence est d'abord celle des forces de sécurité palestiniennes. Cela ne
fait pas plaisir au général Adnan Damiri, leur
porte-parole, de l'admettre, mais c'est un principe de réalité : “Mes
hommes ont pour consigne de s'éloigner, nous confirme-t-il. Nous
ne voulons, ni ne pouvons, entrer en confrontation avec l'armée israélienne.
Alors, nous laissons faire.” Les soldats israéliens se sont arrêtés
devant l'immeuble de Watan-TV, dans le quartier de Qaddoura, l'ont cerné, puis ont mené tambour battant leur
razzia. En un peu
plus d'une heure, les deux émetteurs, 25 ordinateurs, les archives, des
vidéos, les contrats, les factures, une foule de dossiers, ont été
confisqués. Peu de mots ont été échangés : les soldats avaient "
des ordres ", notamment de se saisir des émetteurs. Puis, le convoi
s'est ébranlé, pour se rendre à peu de distance, à Al-Bireh,
au siège de Al-Quds Educational TV. Il était 3 h 30 du matin. Le même
scénario s'est déroulé, mais le butin a été plus maigre : l'émetteur de la
station et quelques équipements. Le lendemain,
les réactions des Palestiniens ont été empreintes de stupeur, avant de
laisser place au fatalisme : l'armée israélienne est chez elle à Ramallah.
Les Etats-Unis, l'Union européenne, la France, ont protesté, enfin plus
exactement " déploré ". Le président de l'Autorité
palestinienne, Mahmoud Abbas, a dénoncé " un assaut flagrant
contre la liberté d'expression " et le premier ministre, Salam Fayyad, a estimé que le but d'Israël est "
d'affaiblir ce qui reste de la stature de l'Autorité nationale palestinienne
". Ramallah est
située en zone " A " de la Cisjordanie, laquelle, aux termes des
accords de paix d'Oslo II (1995), est sous contrôle exclusif de l'Autorité
palestinienne. Rien à voir, en principe, avec la zone " B ", où
Israël conserve la responsabilité de la sécurité, et encore moins avec la
zone " C ", entièrement sous l'emprise de la puissance occupante.
Le siège de l'Autorité palestinienne, c'est la Mouqata'a,
au centre de cette ville bourgeonnante de 200 000 habitants (durant le jour),
où Mahmoud Abbas a sa résidence officielle. Mais le roi
est nu : le raid de l'armée israélienne a rappelé que l'Etat palestinien,
dont M. Fayyad s'efforce avec ténacité de poser les
fondations, et dont M. Abbas demande qu'il soit reconnu par les Nations
unies, est un Etat croupion, dont la souveraineté est virtuelle, tout comme
l'autorité de son président. Huit jours après la descente des soldats
israéliens, les directeurs de Watan-TV et Al-Quds TV, Mouammar Orabi et
Haroun Abuarrah, ne se perdent pas en conjectures
sur les raisons de cette opération coup- de-poing : " Il
s'agissait de nous réduire au silence ", dit le premier. Leur but
était double, précise le second : " Ils veulent récupérer nos
fréquences, pour des raisons politiques tout autant que commerciales. Ils
voulaient aussi rappeler aux médias palestiniens un message simple :
"Nous sommes là, chez vous ; quand nous voulons, nous pouvons tout
contrôler." " L'explication des autorités israéliennes est
autre : les soldats sont intervenus pour fermer " deux
télévisions pirates à Ramallah ", Watan-TV
et Al-Quds TV, qui " interrompent
significativement d'autres chaînes légales et perturbent les communications
aériennes " de l'aéroport Ben-Gourion,
à Tel-Aviv. Suleiman Zuhairi, ministre
adjoint des télécommunications palestiniennes, s'en étranglerait presque de
rage : il montre, documents à l'appui, que les deux chaînes émettent sur les
mêmes hautes fréquences UHF depuis quinze ans et sont enregistrées comme
telles depuis 2004 à l'Union internationale des télécommunications (UIT). Il
souligne que Watan TV et Al-Quds
TV diffusent respectivement sur 615,2 MHz (mégahertz) et 607,2 MHz, alors que
la bande de fréquence des aéroports et des avions est comprise entre 108 et
137 MHz. "
Techniquement, martèle-t-il, les interférences sont impossibles. La
vérité est que les Israéliens veulent faire taire toutes les voix qui luttent
contre l'occupation et la colonisation. Ils veulent récupérer les fréquences
des Palestiniens sur la bande UHF et, par-dessus tout, ils veulent tuer la
solution de deux Etats. " Suleiman Zuhairi rappelle que les accords d'Oslo ont créé une
commission conjointe des télécommunications (JTC), et que celle-ci n'a été
saisie d'aucune plainte israélienne. Il est vrai que ladite commission est
une feuille de vigne : " Depuis dix ans, aucune fréquence ne
nous a été accordée, et nous n'avons pas le droit d'importer des émetteurs
", souligne-t-il. Dans leur
malheur, Mouammar Orabi et Haroun Abuarrah ont presque de la chance : en 2002, au début de
la deuxième Intifada, les soldats israéliens avaient occupé les locaux de Watan-TV et Al-Quds TV pendant
40 et 19 jours, et tout avait été détruit. S'agit-il du signe avant-coureur
d'un nouveau tour de vis sécuritaire en Cisjordanie ? Les deux hommes ont une certitude : " Ils vont revenir. " Ce n'est pas le général Damiri
qui les démentira : "
L'armée israélienne fait des incursions deux ou trois fois par semaine à
Ramallah ; et la nuit, je ne le sais pas toujours... |