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Géo & Politique du 11 mars 2012 - page 3 En Cisjordanie, même l'eau est une
arme 12-17 MARS Forum mondial de l’eau à Marseille Face à la pénurie hydrique organisée par Israël, Par Laurent Zecchini - Tarqumiya
(Cisjordanie), envoyé spécial Peut-on qualifier la politique israélienne de gestion de la
ressource hydrique en Cisjordanie d’apartheid de l'eau " ? Pour Youssef Dabassé, adjoint au maire de Tarqumiya,
un gros village de 20 000 habitants situé à l'est d'Hébron, la question
est théorique. La situation au quotidien de ses administrés est suffisamment
éloquente : tous les dix jours, son village obtient de l'eau courante pendant
soixante-dix heures. Puis c'est le tour d'un autre village proche, pendant le
même laps de temps. Lorsque les robinets coulent, il faut faire des provisions
pour l'eau potable, pour le bétail et, s'il en reste, pour les cultures. "
Quand nous sommes connectés, explique Youssef Dabassé, les
parties basses de Tarqumiya en profitent et, la
fois suivante, c'est le village d'en haut qui est alimenté. " Le
reste du temps, il faut acheter l'eau aux camions-citernes de passage et
puiser dans les réservoirs, dont sont équipées environ 40 % des maisons. Evidemment, le prix n'est pas le même : l'eau du robinet est
facturée 2,6 shekels/m3 (0,5 euro), et celle des camions atteint 25
shekels/m3 (5 euros). En été, la situation devient intenable, souligne le
maire adjoint : " Mekorot - la
compagnie de l'eau israélienne - coupe l'alimentation, parce qu'ils
privilégient les colonies juives alentour. Lorsque nous nous plaignons, ils
disent : "Nous avons vérifié, tout est normal." Et l'eau reste
coupée pendant des jours. " Pour comprendre, il faut rouler dans les collines avec Khayni Damidi, un ingénieur de
l'Autorité palestinienne de l'eau (PWA). Sur la route 35, l'embranchement
vers Tarqumiya longe la colonie juive de Telem. Un peu avant, sur un mauvais chemin de terre
flanqué d'oliviers, on débouche sur une station de pompage au bruit
assourdissant. L'installation, qui dessert une vingtaine de villages,
appartient à la compagnie Mekorot. En principe,
elle est gérée en coordination avec l'Autorité palestinienne, à une réserve
près : sur la grosse canalisation qui s'enfonce sous terre, l'ingénieur Damidi désigne une valve protubérante. "
Elle sert de goulot d'étranglement, explique-t-il, le débit est
régulé selon le bon vouloir des Israéliens. " Contrairement au nord de la Cisjordanie, où il existe des
centaines de puits illégaux, en particulier dans la région de Jénine, cette pratique est rare dans la région d'Hébron,
située en zone C, cette partie de la Cisjordanie où, selon les accords d'Oslo
(1993), Israël exerce un contrôle civil et sécuritaire quasi absolu. "
Il est illusoire de vouloir creuser un puits en zone C, confirme Khayni Damidi, l'armée
est omniprésente. " Les connexions illégales, en revanche, sont légion. Selon
l'expert israélien Haim Gvirtzman,
elles représentent un manque à gagner de 3,5 millions de mètres cubes par an.
Les Palestiniens contestent cette évaluation, mais ne nient pas le phénomène. "
Nous payons pour toute l'eau qui part vers nos villages, mais bien sûr, nous
ne recevons pas la quantité équivalente, à cause du piratage : globalement,
50 % de l'eau n'est pas facturée aux consommateurs ", indique M. Damidi. Outre que les fuites - résultat d'une maintenance défectueuse
- affectent 33 % du réseau palestinien, il n'y a pas si longtemps, en période
de grande sécheresse, les villages n'hésitaient pas à détourner les
canalisations du village voisin. De tels comportements, justifie cet
ingénieur, sont le résultat de la pénurie hydrique organisée par Israël. Sur
l'eau, comme sur bien d'autres sujets, les positions des Israéliens et des
Palestiniens semblent irréconciliables... Les autorités israéliennes se sont déclarées "
indignées ", courant février, par la publication d'un rapport de
l'Assemblée nationale française qui dénonçait " un nouvel
apartheid de l'eau " dans les territoires palestiniens occupés.
L'auteur, le député socialiste Jean Glavany, soulignait que "
les 450 000 colons israéliens en Cisjordanie utilisent plus d'eau que 2,3
millions de Palestiniens ". Il assurait que, en cas de sécheresse,
la priorité de l'eau est accordée aux colons, que la barrière de sécurité en
Cisjordanie permet le contrôle de l'accès aux eaux souterraines, et que les
puits forés par les Palestiniens sont systématiquement détruits par l'armée
israélienne. " Au Proche-Orient, concluait-il, l'eau est plus
qu'une ressource, c'est une arme. " Les exemples de
discriminations sur l'eau dont sont victimes les villageois palestiniens
abondent. Et il ne fait pas de doute que la politique de colonisation menée
par Israël a notamment pour objectif stratégique une appropriation des
ressources hydriques. L'eau, pour les Israéliens, est avant tout une question
militaire. Quant à ce terme d'" apartheid ", le maire d'Hébron,
Khaled Osaily, a son idée : " Bien sûr
qu'il s'agit d'apartheid ! Globalement, nous n'obtenons que 50 litres d'eau
par jour et par personne, alors que les Israéliens disposent en moyenne de
400 litres ! " Ces chiffres sont contestés par Israël : selon
le professeur Gvirtzman, si l'écart entre
Israéliens et Palestiniens était de 508 litres contre 93 litres en 1967, il
s'est réduit aujourd'hui à 150 litres pour les Israéliens contre 140 litres
pour les Palestiniens. Le maire d'Hébron reconnaît que l'une des principales
accusations des Israéliens, à savoir le creusement de puits illégaux et les
connexions pirates, est fondée, mais c'est pour en relativiser l'importance : "
Des connexions illégales, il y en a partout, y compris à Tel-Aviv. Quant aux
puits illégaux, c'est un phénomène d'ampleur limitée, et parfaitement
gérable. " Shaddad Al-Attili,
directeur de la PWA, résume ainsi le dialogue de sourds qui prévaut au sein
de la commission conjointe israélo-palestinienne sur l'eau : comme les
Palestiniens refusent d'approuver les projets hydriques israéliens dans les
colonies (ce qui reviendrait à légitimer celles-ci), Israël réplique en
refusant la quasi-totalité des projets palestiniens, y compris les usines de
retraitement des eaux usées. Israël argue de sa bonne foi en soulignant qu'il a doublé l'allocation
d'eau aux Palestiniens par rapport aux quotas prévus par les accords d'Oslo
II (1995), mais l'argument ne convainc pas : non seulement ce partage - qui
n'accordait aux Palestiniens que 18 % de la nappe phréatique dite " des
montagnes ", la principale ressource hydrique partagée entre Israéliens
et Palestiniens - devait être temporaire, mais la population palestinienne a
doublé depuis cette date. Le refus d'Israël d'accepter une répartition plus équitable se
justifie d'autant moins que, selon le professeur Gvirtzman,
en 2013, l'Etat juif devrait disposer de cinq usines de désalinisation de
l'eau de mer, qui lui permettront d'équilibrer sa production et sa
consommation d'eau douce. La question de l'eau est l'une des clés des négociations en
vue de la création du futur Etat palestinien. Si elle n'est pas aussi
médiatisée que celle des frontières, dont elle est pourtant inséparable, ou
que celles du statut de Jérusalem ou du retour des réfugiés palestiniens, il
est devenu urgent de trouver une solution pour partager équitablement cette
ressource vitale. A laisser pourrir la situation, le risque est grand de voir
les microconflits de l'eau se multiplier comme des
métastases qui embraseront la Cisjordanie. " La prochaine guerre,
prévient le maire d'Hébron, pourrait bien être celle de l'eau. " |