du 16 aout 2012 page 4
Gaza craint l'asphyxie
économique avec la fermeture des
tunnels vers l'Egypte
Par Véronique Falez (Gaza, envoyée
spéciale)
Sur une des grandes places de Gaza City, au milieu du flot de
véhicules, trône, lundi 13 août, une photo géante de la poignée de mains
entre le nouveau président égyptien Mohammed Morsi
et le premier ministre du gouvernement Hamas à Gaza, Ismaïl Haniyeh, sur fond de drapeaux mêlés. L'image date de leur
rencontre du 26 juillet, durant laquelle les deux hommes avaient discuté des
mesures à prendre pour alléger le blocus de la bande de Gaza.
Il était alors question
d'élargir les plages d'ouverture du point de passage entre les deux
territoires, à Rafah, ou d'autoriser les hommes âgés de moins de 40 ans à entrer
sans visa à la condition qu'ils voyagent en famille.
L'inverse s'est produit.
Le blocus a été renforcé parce que Le Caire soupçonne des Palestiniens venus
de Gaza d'avoir participé, le 5 août, à l'attaque du poste-frontière entre l'Egypte
et Israël où 16 militaires égyptiens ont été tués.
L'Egypte a aussitôt fermé
le terminal de Rafah – l'unique frontière de Gaza qui échappe au contrôle
d'Israël – et les centaines de tunnels de contrebande qui irriguent l'enclave
palestinienne. Une décision "catastrophique", selon
l'économiste gazaoui Omar Shaban,
qui considère les tunnels "comme une source de vie pour Gaza".
RESTRICTIONS
Sur le marché de la
vieille ville de Gaza City, les restrictions se font déjà sentir. Certes, les
commerçants ne dépendent pas entièrement des tunnels depuis l'allégement, il
y a deux ans, du blocus israélien sur les produits de consommation courante.
Mais ils sont plus chers que ceux entrés en contrebande depuis l'Egypte.
"Un tiers de mes
fromages passent par les tunnels, détaille Hassan Abou Shabad, propriétaire d'une épicerie. Le kilo venu
d'Egypte coûte 8 shekels , contre 24 shekels pour
son équivalent importé d'Israël. Compte tenu de leurs difficultés, les
habitants de Gaza cherchent les produits les moins chers."
Certaines marques de chips
et de biscuits ont déjà disparu des étals. Le prix du sucre et du lait en
poudre a augmenté. "Cela fait neuf jours que les tunnels sont
fermés, c'est une première. Si ça dure, les prix vont flamber",
prévient le commerçant.
Les automobilistes
souffrent également du rationnement de l'essence à bas prix en provenance
d'Egypte. Les tuyaux n'auraient pas été complètement fermés, mais la queue
s'allonge devant les stations-services de Gaza, qui vit au rythme des pénuries
de fuel depuis plusieurs mois.
Sur les grandes artères de
la ville, les chantiers sont à l'arrêt. Les tunnels permettaient d'importer
du ciment, des graviers et de l'acier, interdits d'entrée par les autorités
israéliennes. Hadj Hussein Abou Obeid, patron d'une
société de matériaux de construction, a mis ses 40 employés au chômage technique.
Rien ne bouge dans son grand atelier.
"J'ai sept
camions qui, d'ordinaire, font les trajets Rafah-Gaza City pour ramener les
matériaux. Ils n'ont pas démarré depuis la fermeture des tunnels. C'est une
grosse perte car chaque jour, on charge 700 tonnes de graviers et 100 à 150
tonnes de ciment, souligne l'entrepreneur. Quand Mohamed Morsi est arrivé au pouvoir en Egypte ,
j'étais optimiste, comme tout le monde à Gaza, je pensais qu'il autoriserait
la création d'une zone commerciale entre nos deux pays. Aujourd'hui, je suis
déçu, on est redevenu une prison."
Les Gazaouis
ne cachent pas leur amertume à l'égard de leur voisin. Ceux qui sont restés
bloqués quelques jours du côté égyptien de la frontière, avant que le
terminal de Rafah n'ouvre à nouveau en direction de Gaza, racontent
l'hostilité de certains Egyptiens.
"Il se dit en
Egypte que nous, les Palestiniens, nous prenons leur eau, leur pétrole, leur
électricité... Ils nous rendent responsables de tout", rapporte
Hussam, un père de famille.
PUNITION
COLLECTIVE ET COMPLOT CONTRE LES PALESTINIENS
Le Hamas, allié des Frères
musulmans égyptiens, n'hésite pas non plus à dénoncer l'intransigeance du
Caire. "La fermeture de Gaza est injustifiée, tranche Ghazi
Hamad, vice-ministre des affaires étrangères du gouvernement Hamas. Nous
ne sommes pas impliqués dans cette attaque, aucune preuve ne mène à nous. Les
Egyptiens doivent comprendre que Gaza n'est une menace ni pour l'Egypte, ni
pour la sécurité dans le Sinaï. Nous sommes prêts à coopérer, à empêcher les
groupes radicaux et dangereux de circuler entre Gaza et le Sinaï."
Comme de nombreux Gazaouis, le responsable du mouvement islamiste opte pour
le complot, avec Israël en chef d'orchestre de l'assaut à la frontière
égyptienne.
A l'autre extrémité du
spectre politique, le directeur du Centre palestinien pour les droits de
l'homme (PCHR), Raji Sourani,
dénonce "une punition collective infligée au peuple de Gaza qui
souffre déjà assez" et note que "ces pratiques rappellent
celles de l'ancien système Moubarak", le raïs déchu. Déçu par
l'Egypte, le responsable de l'ONG donne en revanche quitus au Hamas.
"Je ne suis pas
un grand fan du Hamas, ni politiquement ni idéologiquement, mais en ce qui
concerne leur gestion des groupes djihadistes et salafistes dans la bande de Gaza, je leur dis : chapeau
!", s'enflamme Raji Sourani.
"C'est un miracle, ajoute-t-il, qu'Al-Qaida
ne soit pas implanté à Gaza, alors que
tous les ingrédients sont là : isolement, pauvreté, chômage, oppression,
bombardement... Nous devrions avoir le diable à Gaza, mais le Hamas a fait un
gros travail pour contrôler et contenir ces groupes radicaux."
Alors que l'enclave
palestinienne suffoque, les Gazaouis attendent des
autorités égyptiennes la levée rapide du blocus. Ayoub
Abou Shaar, le directeur du terminal de Rafah, a
annoncé une ouverture partielle du point de passage pendant trois jours à partir
de mardi 14 août pour les urgences humanitaires et les étudiants. Une
première étape.
"Le Hamas est
dans une position délicate et il fait profil bas, analyse un
diplomate européen à Jérusalem. L'Egypte lui demande de fermer les
tunnels et il obtempère. Il cherche à s'attirer les bonnes grâces de son
voisin. Cet épisode a valeur de test. Les Egyptiens montrent qu'ils n'ont
aucune indulgence dès lors que la sécurité de leur territoire est en jeu. La
solidarité islamiste a des limites."
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