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C'est une vallée couverte d'oliviers, de vignes et de
plantes rupestres, qui exhale un air de sérénité. Mais tout n'est
qu'apparence... En silence, les chrétiens palestiniens de Beit Jala prient. Ils prient
pour stopper la construction du mur de séparation (la " barrière de
sécurité ", disent les Israéliens) érigé entre l'Etat juif et la
Cisjordanie, et dont le tracé menace leur village, celui tout proche de Walaja, ainsi que le domaine de Crémisan.
Ce n'est pas se montrer mécréant que d'être songeur
sur le pouvoir de la prière face aux bulldozers israéliens, mais après
tout... Un peu plus loin, entre Bethléem et Jérusalem, une grande icône
représentant une Vierge triste a été dessinée sur le mur de séparation, et
la " prière à Notre Dame qui fait tomber les murs " est récitée
par de nombreux chrétiens. Début juillet, pourtant, l'armée israélienne a
annoncé la reprise prochaine des travaux de construction du mur.
Si Crémisan, enclavé entre
les colonies juives de Gilo et Har Gilo, n'est pas encore
traversé par la barrière de béton, celle-ci a déjà fait son travail de sape
en semant la discorde entre Frères et Soeurs de
l'ordre catholique des salésiens. C'est en 1863 que le Frère italien
Antonio Belloni s'installa à Crémisan.
Un saint homme assurément, qui créa un orphelinat, avant de se lancer dans
la production vinicole.
Intuition commerçante : depuis 1885, les vignobles de
Beit Gemal et Crémisan produisent d'honnêtes vins dont la rusticité
est nourrie de la terre rocailleuse de Palestine. A Crémisan,
Frères et Soeurs sont autonomes : les premiers
règnent sur les chais tandis que les secondes gèrent une école maternelle
et élémentaire, ainsi qu'un centre de jeunesse.
Les Soeurs sont
naturellement tournées vers la population palestinienne, alors que les
Frères vignerons visent plutôt... les consommateurs de Jérusalem. En 2006,
l'armée israélienne a présenté deux options pour le tracé du mur, avec,
pour point commun, de morceler les terres des Soeurs
: la première laisserait l'école et le couvent du côté palestinien, mais
entourés par un mur de béton de 8 mètres de haut. Les terrains agricoles
des salésiennes, exploités par des familles de Beit
Jala, seraient accessibles par une porte gardée
par des soldats. Dans la seconde option, c'est l'inverse : l'école et le
couvent sont du côté israélien, le mur est toujours là, la porte aussi,
parents et enfants devant franchir ce check-point tous les matins...
Bref, résume Manal Abou Sineh, avocate des Soeurs au
nom de la Société Saint-Yves, le centre catholique pour les droits de
l'homme, "
l'école serait placée dans une zone de guerre ". Comme d'habitude,
les autorités militaires ont excipé de "
raisons de sécurité ", mais le doute n'est pas permis : le tracé,
comme ailleurs en Cisjordanie, a aussi pour fonction d'annexer un peu plus
de terre palestinienne. Les Soeurs, avec l'appui
du Patriarcat latin de Jérusalem, se battent face à l'armée et à la justice
israéliennes, se solidarisant ainsi avec le combat des habitants du village
de Walaja.
En septembre, un tribunal israélien entendra les
dernières auditions. Si les Frères sont restés remarquablement discrets ces
dernières années, l'explication réside dans le tracé du mur, lequel laisserait
le couvent des salésiens et les chais du côté israélien, ce qui n'est pas
le plus mauvais scénario pour l'avenir de la production vinicole de Crémisan...
Du coup, dans un entretien au journal Haaretz, début janvier
2012, Soeur Adriana Grasso,
supérieure des salésiennes, n'a pas caché qu'elle trouvait les raisins des
Frères un peu acides ! "
Les Frères et nous avons des idées très différentes sur le tracé de la
barrière ", a-t-elle lâché. La rumeur d'une connivence de fait des
Frères avec l'occupant israélien grossissant en même temps que celle de la
discorde au sein de la communauté salésienne, Frères et Soeurs
ont publié un communiqué commun pour affirmer " qu'il n'existe entre eux
aucune divergence en ce qui concerne la construction du mur ".
Auparavant, Don Maurizio Spreafico,
supérieur provincial des salésiens, avait tenté de mettre les choses au
point : les salésiens de Crémisan n'ont jamais
demandé de " passer
du côté israélien ". Depuis, la consigne de mutisme est
scrupuleusement respectée : Le
Monde a trouvé porte
close auprès des Soeurs, comme des Frères. Le
représentant du Patriarcat latin de Jérusalem, en revanche, ne mâche pas
ses mots : " Le mur
est illégitime et illégal : le Saint Père l'a rappelé, insiste le Père
Emile Salayta, directeur du tribunal
ecclésiastique. Il s'agit
d'annexer par petits bouts la Cisjordanie pour éviter une mobilisation
populaire massive. "
La hiérarchie catholique, qui a pris fait et cause
pour les salésiennes et pour les villageois palestiniens, se refuse à tout
compromis, quitte à ce que la querelle dégénère en conflit entre le Vatican
et Israël. S'agissant des Frères, le Père Emile reste prudent : il veut
croire qu'ils n'ont pas conclu d'accord avec l'armée, mais constate que " toute la vie des moines
serait compliquée s'ils devaient se retrouver en Palestine ". Dans
cette affaire, résume-t-il, "
il y a un conflit entre les intérêts personnels et les principes ".
Le sort de la propriété des salésiens, partant l'avenir de la production
vinicole de Crémisan, est lié à la clôture de
séparation. Quand elle sera achevée, 9,5 % de la Cisjordanie sera situé en
territoire israélien.
Un tel processus est-il inéluctable ? Sur le mur, la
prière de l'icône entourée de barbelé demande à la Vierge de faire " tomber ce mur, et tous
les murs qui génèrent haine, violence, peur et indifférence, entre les
hommes et entre les peuples ".
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