du 31 aout 2012
Israël secoué par le
lynchage d'un Palestinien à Jérusalem
Par Hélène Sallon
Il est 22 h 30, jeudi 16 août. Une
cinquantaine de jeunes Israéliens squattent la place Hahatulot,
une zone animée du centre-ville de Jérusalem-Ouest, la partie israélienne de
la Ville sainte. Les commerçants alentours sont habitués à voir ceux qu'ils
appellent les "chebab" prendre possession des lieux le week-end, raconte le quotidien
israélien Maariv (en hébreu). "Chaque week-end, il y a ici
une bagarre entre juifs et Arabes, dit un commerçant
du quartier. C'est devenu une routine : ils viennent, crient 'mort
aux Arabes' et cherchent des Arabes pour les frapper."
Le scénario est bien
rodé. Ce soir-là, une jeune fille disant avoir été violée par des
Arabes crie des plaisanteries racistes et appelle à traquer et à attaquer des
Palestiniens. Les jeunes gens émêchés s'engagent
alors dans les rues du centre-ville, scandant "un juif a une
âme, un Arabe lui est un fils de p...", "Si
t'es un homme viens cogner les Arabes" et "Mort
aux Arabes".
A une
centaine de mètres de là, place Sion, la horde en furie tombe sur quatre
Palestiniens de Jérusalem-Est, le secteur annexé de la ville, à majorité
palestinienne. Djamal Joulani,
17 ans, n'a pas le temps de fuir. Il est roué de coups de poing et de pied et
laissé pour mort, victime d'un arrêt cardiaque. Des centaines de passants ont
observé la scène sans intervenir, selon la police.
Batya Houri-Yafin, volontaire d'une association pour les jeunes à
problèmes, y était. "Deux de nos volontaires se sont immiscés au
milieu du groupe d'adolescents et ont essayé de faire [à la victime] un
massage cardiaque. Le groupe d'adolescents nous a reproché de tenter de
ressusciter un Arabe", déplore-t-elle sur sa page Facebook (en hébreu). Hospitalisé dans un état
critique, Djamal Joulani
n'est sorti de l'établissement qu'une semaine plus tard.
Neuf de ses assaillants présumés ont
été arrêtés et mis en examen le 21 août pour agression et incitation au
racisme et à la violence. Huit d'entre eux sont mineurs, le plus jeune
est âgé de 13 ans, et deux sont des filles. Le principal accusé, un
adolescent de 15 ans, qui a admis avoir frappé Djamal
Joulani, n'a exprimé aucun remords. "Il
peut mourir, qu'est ce que j'en ai à faire. Il a insulté ma mère",
s'est-il défendu devant le juge, indique le Yedihot
Aharonot. Si je l'attrape, je le frapperai. Il
doit mourir. C'est un Arabe", poursuit-il.
"UN PROBLÈME
NATIONAL"
De par sa violence et l'absence de remords affichée par certains
des suspects, "le
lynchage de Jérusalem" a créé un électrochoc au sein de la population et de la
classe politique. "C'est quelque chose que nous ne
pouvons pas accepter — nous ne le pouvons pas en tant que juifs, en tant
qu'Israéliens", a ainsi déclaré, le 21 août, le
premier ministre, Benyamin Nétanyahou.
Au chevet
de la victime, le député du Likoud Reuven
Rivlin a tiré la sonnette d'alarme face à ce qui
n'est pas selon lui un cas isolé, mais "le microcosme d'un
problème national qui pourrait mettre en péril la démocratie
israélienne". L'affaire a ainsi permis de
souligner le racisme que peuvent vivre au quotidien des Palestiniens vivant
des deux côtés de la ligne verte. "Ce qui a eu lieu à Jérusalem a été couvert par les médias,
mais des incidents surviennent chaque jour, dans des lieux où se trouvent des
bars et des cafés, contre des jeunes Arabes qui veulent juste sortir et
s'amuser",
confirme ainsi Rabia Sagir,
une Arabe israélienne de Haïfa, au Yedihot Aharonot .
Quelques heures
avant le lynchage de Djamal Joulani,
un taxi collectif palestinien avait été la cible
d'une bombe incendiaire près de la ville palestinienne de Bethléem, dans le
sud de la Cisjordanie. Trois suspects de la colonie juive voisine de Bat Ayin, âgés de 12 et 13 ans, ont été arrêtés. Le lynchage
a toutefois davantage marqué les esprits que cette attaque. "Des
actes haineux, criminels, ont lieu en Cisjordanie en permanence. Aussi
longtemps que ces actes se déroulent en Cisjordanie, le public israélien y
est en général plutôt indifférent car c'est loin. Soudainement, deux ou trois
actions violentes ont lieu en Israël et c'est le choc, car cela arrive près
de chez soi. Cela, les gens ne peuvent pas le tolérer", analyse Gavriel Salomon, professeur
émérite de psychologie éducative à l'université de Haïfa, en Israël.
LA RADICALISATION DE LA
JEUNESSE
Le choc est d'autant
plus grand pour le public israélien que l'affaire met en lumière la
radicalisation de la jeunesse. Quelques voix se sont élevées pour mettre ces
incidents sur le compte de "mauvaises graines", à l'instar de l'éditorialiste de droite du quotidien Ma'ariv, Ben Dror Yemini. Les jeunes auteurs
du lynchage ont en effet le profil idéal : ils sont issus de familles
religieuses, de droite voire d'extrême droite. Le principal suspect aurait
été interné plusieurs fois en hôpital psychiatrique.
Mais, assure le Pr.
Salomon, il y a bien une radicalisation de la jeunesse dans son ensemble et
une généralisation de la violence. "Un pourcentage croissant
de jeunes pensent que les Arabes ne devraient pas avoir le droit de vote ou
d'être élus à la Knesset", s'alarme-t-il. Le
vice-premier ministre, Moshe Ya'alon, a lui-même
reconnu que ces "actes terroristes" et ces "crimes haineux" étaient le résultat d'un échec moral et éducatif contraire aux
valeurs juives. Un constat partagé par le ministre de l'éducation, Gideon Saar, qui a demandé aux professeurs de collège et
de lycée de tout le pays de consacrer, lors de la rentrée scolaire, une heure
à une discussion en classe sur ces événements. Or, estime Gavriel
Salomon, il est impératif que soit mis en place rapidement un vaste programme
de lutte contre le racisme et de promotion de la coexistence auprès des deux
millions d'élèves du système éducatif israélien.
"L'ÉTAT LE PLUS RACISTE DU
MONDE DÉVELOPPÉ"
Pour de nombreux
observateurs, le "lynchage de Jérusalem" est l'expression d'un mal
qui ronge non seulement la jeunesse mais toute la société israélienne. "Israël
peut se targuer d'être l'Etat le plus raciste du monde développé", a ainsi lancé avec sarcasme l'écrivain israélien Sami Michael.
"Ne nous leurrons pas, la culture en Israël est déjà souillée
depuis autant de temps que les courants extrêmes dans l'islam. Depuis le
jardin d'enfants, nous transmettons à nos enfants un bagage de haine, de
suspicion et de dégoût pour l'étranger, en particulier l'Arabe", a-t-il déclaré lors d'une conférence à l'université de Haïfa,
relatée dans le journal Haaretz (en hébreu). Ainsi, renchérit le journaliste israélien Gal Uchovsky, ces jeunes gens ne sont finalement que "le
rejeton du monstre : de la culture des colonies, de la haine des Palestiniens
et de la haine juive en général".
"Le racisme a toujours existé,
mais avant il n'était pas couplé à la violence ni considéré comme légitime.
Aujourd'hui, racisme, violence et légitimité vont de pair et cela est un
processus graduel qui n'est pas près de s'arrêter", alerte le Pr Gavriel Salomon. "Le
fait d'avoir légitimé le recours à la violence en Cisjordanie induit que
cette violence s'étende graduellement de l'autre côté de la ligne verte, explique-t-il. C'est désormais devenu légitime
d'attaquer des migrants africains, de faire de la discrimination à l'encontre
des étudiants éthiopiens, d'attaquer des Arabes dans la rue", dit-il.
Les appels répétés
du ministre des affaires étrangères, Avigdor
Lieberman, à transférer les citoyens arabes d'Israël dans les Territoires
palestiniens ou ceux, plus récemment, du ministre de l'intérieur, Eli Yishai, à expulser tous les migrants africains,
participent, pour beaucoup, à cette légitimisation
du racisme et de la violence. "Les politiques mises en place
par le gouvernement contribuent à cette situation. Leurs provocations et
incitations à la haine ne sont pas prises au sérieux par la plupart des gens,
mais par certains, oui, parce que cela reflète ce qu'ils pensent", estime Gavriel Salomon. A tel point
que Gal Uchovsky tisse "un lien
direct entre cet incident et la culture de la haine envers les Arabes que la
droite cultive depuis des années. Quand le premier ministre met autant de
temps à condamner et que l'opposition se tait, les auteurs du lynchage ne
peuvent comprendre qu'une chose : les gens sont derrière eux".
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