La comparaison d'une année sur l'autre est
saisissante. Lors de l'Assemblée générale de l'ONU, en septembre 2011, la
cause palestinienne avait accaparé l'attention des médias du monde entier.
La quasi-totalité des discours lus à la tribune de marbre de l'assemblée
avait été éclipsée par celui qu'avait prononcé un petit homme à l'allure de
grand-père affable : Mahmoud Abbas. En annonçant sa volonté de faire
reconnaître la Palestine comme un Etat membre à part entière de
l'Organisation des Nations unies - et non plus comme un simple observateur,
le statut dont elle dispose depuis 1974 -, le chef de l'OLP avait replacé
la quête d'indépendance de son peuple en tête de l'agenda international.
Les habitants des territoires occupés avaient salué
la performance du patriarche, venu défier sur leur propre sol les
Etats-Unis de Barack Obama, opposés à ce projet. " Mon peuple a rendez-vous
avec la liberté ", avait lancé, sous un déluge d'applaudissements,
le successeur de Yasser Arafat, bien décidé à réinternationaliser la
question de la Palestine.
Or douze mois plus tard, dans la même salle et à la
même tribune, cette question ne suscite plus qu'un faible écho. Alors qu'en
2011 Nicolas Sarkozy y avait consacré l'essentiel de son intervention,
François Hollande s'est contenté de quelques propos convenus sur la
nécessaire "
coexistence de deux Etats ", " seule solution pour une
paix juste et durable dans cette région ". Pour les responsables
occidentaux, le conflit israélo-palestinien a été relégué au troisième,
voire quatrième rang des urgences internationales, après la guerre en
Syrie, les menées nucléaires iraniennes et la capture du nord du Mali par
des groupes djihadistes.
Durant ces douze mois, l'OLP n'est parvenu à obtenir
le soutien que de huit des quinze membres du Conseil de sécurité - seule
instance habilitée à accorder une adhésion pleine et entière à l'ONU, alors
qu'il lui en aurait fallu un de plus pour obliger les Etats-Unis à sortir
leur veto. Eût-elle atteint ce seuil, il n'est pas certain que ces
dirigeants auraient osé heurter de front la Maison Blanche, en soumettant
leur demande au vote.
Dans son discours, jeudi 27 septembre, Mahmoud Abbas
a pris acte de cette nouvelle donne. Il a rabaissé ses prétentions à
l'obtention d'un statut d'Etat non membre, semblable à celui du Vatican. Ce
rehaussement étant du ressort de l'Assemblée générale où l'OLP dispose
d'une majorité automatique, le succès est cette fois-ci garanti, quand bien
même les Etats-Unis ne voient pas ce projet d'un meilleur oeil que le
précédent. Mais quid des grands pays européens ? Si, en 2011, leur soutien
pouvait paraître acquis, M. Sarkozy poussant en ce sens, rien ne dit qu'il
le soit toujours cette année. Lors de son discours devant les ambassadeurs,
au mois d'août, M. Hollande n'a d'ailleurs pas prononcé les mots " Etat palestinien ",
le vocable de rigueur depuis la déclaration du Sommet européen de Berlin en
1999 lui préférant l'expression "
autodétermination ", une terminologie désuète, qui remonte à la
déclaration faite par la Communauté économique européenne à Venise... en
1980 ! Une bourde que des bons connaisseurs des arcanes de la diplomatie
française attribuent au désir du chef de l'Etat de ne pas paraître cautionner
par avance la nouvelle démarche palestinienne.
Consciente qu'une promotion au rang d'Etat non membre
votée par les seuls pays du Sud n'aurait qu'une valeur limitée - quand bien
même elle l'autoriserait à intégrer les agences onusiennes -, l'OLP
entretient désormais le flou sur la date à laquelle elle pourrait saisir
l'Assemblée générale. Le 29 novembre, date de la journée internationale de
solidarité avec la Palestine ? "
Pendant cette session ", s'est contenté de dire M. Abbas dans son
discours, ce qui lui donne jusqu'à septembre 2013 pour agir... ou pour ne
pas agir. En cas de réélection de M. Obama, le président palestinien
pourrait juger plus opportun de s'attirer ses bonnes grâces, dans l'idée
qu'un président américain en second mandat, débarrassé de considérations
électoralistes, peut être tenté de se réengager au Proche-Orient.
Une chose est sûre : Mahmoud Abbas aura le plus grand
mal à ranimer la dynamique initiée par son discours historique de 2011, qui
avait requinqué le Fatah, son parti. Après la victoire inespérée qu'avait
constituée l'adhésion réussie à l'Unesco, au mois d'octobre de cette
année-là, l'élan est retombé. Au lieu de se présenter devant l'Assemblée
générale dans la foulée de cette séquence, afin de recueillir les fruits
des efforts déployés par ses émissaires, Abou Mazen a cédé aux pressions
américaines.
Ce qui est en jeu dans cette affaire dépasse de loin
la revalorisation du statut de la Palestine à l'ONU. Car la démarche du
vieux dirigeant visait à briser le paradigme d'Oslo, ce carcan qui enferme
la résolution du conflit dans un tête-à-tête stérile parce que asymétrique
entre les Palestiniens et leurs occupants israéliens. En optant pour un
cadre multilatéral, fondé sur les résolutions de l'ONU et donc sur les
frontières de 1967, celles qu'il réclame pour son Etat, M. Abbas espérait
renforcer sa main.
Il s'agissait de renoncer momentanément aux
négociations bilatérales - qui étaient et sont toujours inexistantes -,
pour y revenir dans une position moins défavorable. Oublier le processus de
paix pour mieux le sauver. L'insistance des chancelleries occidentales sur
une reprise sans préalable des négociations montre que cette ambition
majeure est en passe d'avorter.
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